Rarement exposée en Europe depuis leur découverte en 2008, une centaine de photos provenant de la mystérieuse "valise mexicaine" du célébrissime photographe Robert Capa sont présentées lors du festival international de photo de Turin. L'occasion de redécouvrir l'œuvre du "père" du photo journalisme mais aussi de sa compagne Gerda Taro.
C'est le portrait en noir et blanc d'un jeune couple souriant, qui ouvre l'exposition "Robert Capa - Gerda Taro : la photographie, l'amour, la guerre" présentée au centre italien pour la photographie de Turin.
En dessous, sa reproduction en relief et écriture braille, permet également aux non-voyants d'apprécier le cliché. Pour ce qu'il a longtemps été : un simple instant de bonheur fugace entre Robert et Gerda, saisi, en 1936 à la terrasse d'un café parisien.
Mais désormais, ce portrait est aussi appréciable pour ce qu'il représente dans l'histoire du couple : un dernier sourire de France avant de replonger dans la tourmente de la guerre d'Espagne, où Gerda perdra finalement la vie.
Un génie et son double ?
C'est qu'en Espagne, le "père" d'une spécialité qui allait devenir le photojournalisme, ne travaille pas en solitaire.
"Pendant la guerre d'Espagne, ils ont presque toujours travaillé côte à côte", explique Monica Poggi, commissaire de l'exposition. "Ils étaient d'ailleurs engagés à parts égales dans la cause dans laquelle ils croyaient, autant l'un que l'autre : celle des républicains espagnols".
L'exposition turinoise fait, à ce titre, la part belle à une mise en parallèle des deux œuvres. C'est que le "génie" de Robert du cliché pris dans le vif de l'action (on dirait le "live" aujourd'hui, NDLR), ne trouve pas son double en Gerda dans tous les domaines.
Ils s'épaulent - appareil photo en main - au contact des combats, ils partagent souvent les mêmes personnages, ils capturer les mêmes scènes de guerre dans leurs chambres noires respectives...
Mais pour le reste... "Ils ont chacun leur style. Gerda soigne toujours particulièrement ses cadres, aidée en cela par le type d'appareil de moyen format qu'elle affectionne. Au contraire, Robert Capa préfère, quant à lui, les images plus horizontales, beaucoup moins bien composées mais qui privilégient le dynamisme de l'image."
Une signature pour deux
Une dualité... On pourrait presque dire une complémentarité qui n'apparaît pourtant, dans les journaux de l'époque, que sous une seule et unique signature : Capa.
"C'est Gerda qui a inventé le personnage de Robert Capa. Robert s'appelait de son vrai nom : André Friedmann. Et c'est elle qui l'a convaincu de changer. Pour faciliter, à la fois la narration des histoires qu'il racontait dans ses photos, mais aussi la vente de ses clichés."
Une marque est née. Une griffe "Capa", qui cache en fait deux conceptions de la photographie.
"Les photos qu'ils vendent aux journaux paraissent presque toujours sous la signature "Capa", alors qu'elles sont très différentes. Robert raconte une histoire, alors que Gerda crée des images plus iconiques et donc aussi plus propagandistes. Malheureusement, elle a eu beaucoup moins de temps que son compagnon pour montrer la mesure de son talent. C'est certainement aussi la raison pour laquelle sa renommée à lui s'est renforcée au fil du temps, alors que celle de Gerda a, peu à peu, disparu".
L'autre outrage du temps à la mémoire de la photographe s'est également fait jour. Plus pernicieux encore, certainement.
Sous le coup de cette unique signature, il a été souvent impossible dans les décennies suivantes, d'attribuer précisément à chacun des deux photographes, les photos qui lui revenaient. Une faille dans la postérité de l'œuvre de Gerda qu'il allait falloir attendre 70 ans pour voir, enfin, combler.
Une miraculeuse "valise mexicaine"
En 2008, la question de la paternité des photos de la guerre d'Espagne signées "Capa", est en grande partie résolue lorsque l'ICP (International Center of Photography) de New-York, acquiert, au Mexique, une valise pleine de photos prises pendant le conflit.
"Cette valise, ce sont en fait trois boîtes qui contiennent plus de 4000 négatifs. Chacun d'entre eux porte le nom de l'auteur exact du cliché : ceux pris par Capa, mais aussi tous les autres qui sont signés Gerda ou d'un autre photographe célèbre de la guerre d'Espagne : David Seymour."
Un vrai miracle, salué comme il se doit par un orage médiatique mondial, et qui aura l'insigne mérite de faire sortir de l'oubli l'œuvre de Gerda Taro. Bien davantage que la seule compagne d'arme de Robert Capa : une artiste à part entière.