Le Pilat, avec ses 1 400 mètres d’altitude, est le massif montagneux le plus proche de Lyon, de Saint-Etienne et d’une bonne partie de la vallée du Rhône. Car malgré son altitude modeste, le Pilat est bien une montagne. Une montagne étonnement secrète, qui gagne à être redécouverte…
Il est tellement présent dans notre paysage qu’on ne le regarde même plus, tel un grand oncle dont les seuls souvenirs qu’il nous laisse sont ceux de notre lointaine jeunesse. Le Pilat, avec ses 1 400 mètres d’altitude, est le massif montagneux le plus proche de Lyon, de Saint-Etienne et d’une bonne partie de la vallée du Rhône. Car malgré son altitude modeste, le Pilat est bien une montagne. Une montagne étonnement secrète, qui gagne à être redécouverte…
Quel Lyonnais, quel Stéphanois n’a pas eu l’occasion, une fois au moins dans sa vie, coincé à l’arrière de la voiture de ses parents, de jeter un regard oblique sur le panorama étourdissant du Cret de l’Oeillon, avant de retenir une nausée provoquée par les virages de la route ? Le Pilat, c’était la sortie du dimanche après-midi en famille, après un trop long repas chez Mamie. Et quand on est gamin, franchement, on préfère souvent jouer avec les copains plutôt que de se faire conduire là-haut, à l’arrière de la R16, entre le chien qui bave et la sœur qui écoute Sheila à la radio. Et pour être honnête, voici le souvenir que je gardais de mes escapades familiales au Pilat : une route sinueuse, et le chien qui vomit dans la voiture. De quoi faire passer au second plan la beauté exceptionnelle des lieux.
…C’est dire d’où je partais quand j’ai décidé d’affronter, 45 ans plus tard, la redécouverte de ce massif que j’étais trop jeune pour apprécier. Mon amie ligérienne Françoise Boissonnat, qui fut rédactrice en chef à France 3 Loire – donc suspecte à mes yeux de ne pas être objective quant à sa suggestion d’aller tourner un "Chroniques d’en Haut" dans son Pilat natal – essuyait un refus de principe, mal argumenté mais néanmoins affectueux de ma part à chaque tentative. "C’est pas de la montagne, y’a rien à voir, ça me rappelle les dimanches"… Mea Culpa !
Car un mont qui accroche les nuages, fait naître les orages, se dresse contre les vents permanents, un mont qui s’affranchit des villes voisines pour exister en tant que tel a forcément une sacrée personnalité. C’est déjà un sauvage… C’est forcément une montagne. Une montagne qui tranche avec son symbole visible par tous et partout, son émetteur TDF, qui ne m’avait jusqu’ici jamais donné envie d’y retourner.
Mais les ondes dispensées par cette montagne sont d’une toute autre nature. Le massif étend ses vagues successives depuis les confins de l’Ardèche et de la Haute Loire jusqu’aux rives du Rhône. La nuit, il est comme une île sombre, émergée par miracle par-dessus les lumières citadines. Le Pilat offre un répit salutaire au cœur de la plus grande conurbation de notre région. De bonnes ondes, donc, qui font du bien à la tête, surtout que les Stéphanois ont l’immense privilège de pouvoir y accéder aux portes de leur ville.
Le Pilat possède tous les codes de la montagne
Extrême à ses heures, lorsque soufflent les tempêtes, inhospitalier sur ses steppes sommitales flanquées d’arbustes et de genêts tordus par les vents, paisible lors des belles journées d’hiver lorsqu’il émerge comme un roi par-dessus les grisailles collées aux plaines. Le Pilat est pourtant l’un des rares massifs non volcanique de cette région. C’est le soulèvement alpin qui lui a donné son altitude actuelle. Comme pour l’ensemble de la chaine orientale du massif central, le Pilat a été surélevé par l’énergie créatrice alpine. Et les Alpes ne sont pas bien loin, magnifiques, lorsqu’elles émergent des nuages, pour s’offrir en panorama inoubliable. Le petit coup de main des voisines d’en face n’aura pas été suffisant pour lui donner l’altitude nécessaire aux neiges éternelles de notre ère.
Mais ce massif a été, tout comme les Alpes, façonné par les glaciers en d’autres temps. Lors de leur disparition, ces glaciers ont laissé des traces uniques dans le paysage : les fameux Chirats, des amas de pierres abandonnés sur place par la lente fonte de la calotte glaciaire. Et mine de rien : cette formation géologique typique est si rare qu’on n’en trouve qu’aux Etats Unis dans les Appalaches, ou ici dans le Pilat ! Certains Chirats mesurent plus de 1000 mètres de long. Le Vieux Mont est un peu âgé, mais il a encore de la ressource…
Son versant rhodanien sent déjà un peu le sud, avec ses vignes, ses forêts de feuillus, ses pentes abruptes et ses garrigues parfumées aux genêts florissants lors d’un printemps explosif. Le versant stéphanois est verdoyant, plus doux, visiblement plus arrosé aussi, et les sapins dessinent des forêts noires, limitées par des champs sereins qui ouvrent des perspectives lointaines vers les sucs de la Haute Loire. Et tout ça promet l’odeur des champignons lorsque l’été déclinera.
Comment ce petit paradis vert, apaisant et rude à la fois peut-il s’accommoder si bien de la proximité immédiate de grandes agglomérations totalisant plus de 2 millions d’habitants ?... Pas si bien que ça, d’après ses habitants venus chercher calme et air pur, et qui doivent, le dimanche, supporter les "prend l’air", comme ils les appellent, ceux qui, sans sortir de leur voiture, sillonnent les routes du Pilat en pleine digestion dominicale. Mais le Parc Naturel Régional, en édifiant quelques règles de préservation, d’urbanisme et de savoir-vivre a limité les dégâts. L’équilibre est fragile… La tentation est forte de lâcher tout et d’en faire un parc d’attraction pour citadins en mal de verdure, mais le massif tient bon, jusqu’ici, et gère avec délicatesse (ou pas, ça dépend sur qui on tombe) la forte houle qui frappe à ses portes, comme le ferait un phare au bord de l’océan.
Peut-être que la presbytie des urbains, qui ne voient bien que de loin, lui a permis de se faire oublier des Lyonnais, tant la chaine alpine, plus haute, plus blanche, plus valorisante, capte tous leurs regards. Peut-être que les stéphanois n’ont pas besoin de le coloniser puisqu’il fait déjà partie des hauts quartiers de leur ville. Peut-être que les habitants de la vallée du Rhône, poussés vers le sud par un mistral salutaire, oublient de tourner les yeux vers l’ouest. Et peut-être bien que c’est mieux comme ça. Le Pilat reste donc ce qu’il est, une île verte par-dessus le monde, si proche, et si lointain à la fois.
>> "Pilat, l'île verte" un magazine présenté par Laurent Guillaume et réalisé par Frédéric Fiol, diffusé le dimanche 2 octobre à 12H50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, puis disponible en REPLAY sur france.tv
Revoir l'émission en intégralité