Comment mesurer la mixité sociale et scolaire d'un établissement ? L'indice de position sociale (IPS) constitue un bon indicateur. Grâce à notre carte découvrez quel est l'IPS pour les écoles, collèges et lycées dans l'académie de Clermont-Ferrand.
Le ministre de l'Eduation nationale a fait de la mixité sociale et scolaire un de ses chantiers prioritaires. Mais comment la mesurer ? Quel est le niveau social moyen d’un établissement scolaire ? Comment comparer cet établissement à un autre, du point de vue de sa situation sociale ? L’indice de position sociale (IPS) est un outil construit pour répondre à ce type de questions. L’IPS résume les conditions sociales et économiques d’un établissement, à partir des professions des parents d’élèves. Le but est de savoir si cet établissement est plus ou moins favorisé. On ne mesure pas la réussite scolaire des élèves mais plutôt les facteurs qui y contribuent. L’IPS prend en compte la profession et la catégorie sociale des parents, afin de donner un score compris entre 45 et 185. Plus l’IPS est élevé, plus les conditions familiales sont favorables à l’apprentissage.
La vidéo ci-dessous explique comment l'IPS est calculé.
Cet indice n’est pas seulement un outil statistique : il permet de mieux cerner les inégalités entre les établissements. L’IPS moyen en France est de 103. Après avoir été contraint en octobre 2022 de publier les IPS des collèges et écoles élémentaires, à la suite d’une décision de justice, le ministère de l'Education nationale a rendu publics ceux des lycées, en janvier 2023.
Grâce à la carte ci-dessous, vous pouvez découvrir l’IPS dans les écoles, collèges, lycées de l’académie de Clermont-Ferrand.
Le problème des écoles dites orphelines
Pour Isabelle Roussy, cosecrétaire du SNIUPP-FSU, les IPS sont un bon indicateur pour voir où il faut mettre des moyens supplémentaires. Elle explique : « Pour le 1er degré, il y a certaines écoles dites orphelines. Ce sont des écoles dont le collège n’est pas classé REP + mais qui ont des élèves caractéristiques REP ou REP+. On voit qu’elles devraient être classées et qu’elles ne le sont pas. Cela pose de sérieux problèmes car les effectifs sont souvent chargés, les enfants sont souvent des réfugiés, allophones. On sait que des petits effectifs vont aider à ce que l’apprentissage en langue française soit réussi. On espère que ces écoles puissent être reconnues sans que le collège soit classé. A Clermont-Ferrand, c’est le cas de l’école Duruy, dont le collège de rattachement est Blaise-Pascal, qui ne sera jamais classé REP ou REP +. Idem pour Anatole-France, rattaché à Jeanne-d’Arc. Ces écoles auraient besoin d’un petit coup de pouce et d’une reconnaissance ». Isabelle Roussy poursuit : « Notre syndicat voudrait que la carte de l’éducation prioritaire soit élargie. Certaines écoles vont sortir du dispositif car leur IPS s’est amélioré, alors que d’autres vont pouvoir y rentrer. Il n’y aura pas plus de moyens. On voudrait une extension plutôt qu’une révision ».
Sur le dossier des écoles dites orphelines, Tanguy Cavé, secrétaire général de l’académie de Clermont-Ferrand, souligne : « Ces écoles sont identifiées par les inspecteurs d’académie, au moment de la carte scolaire. On abaisse le nombre d’élèves par classe : au lieu de considérer que c’est 30 élèves par classe dans le premier degré, on baisse les effectifs au même seuil que ceux de l’éducation prioritaire. On considère que ces écoles doivent être à 24 ou 25 élèves par classe ».
Le sujet de la mixité sociale
Dans le second degré, les IPS mettent en lumière des disparités. Fabien Claveau, secrétaire académique SNES-FSU, souligne : « Les difficultés sociales sont concentrées dans un certain nombre d’établissements publics, avec des conséquences sur la réussite scolaire des élèves. Les IPS montrent que les établissements privés ne jouent pas le jeu de la mixité sociale et renforcent même la ségrégation sociale. Quand on regarde les IPS d’un certain nombre d’établissements, on retrouve les établissements du public comme le collège de la Charme de Clermont-Ferrand, le collège Albert-Camus et le collège Baudelaire. En IPS, les collèges privés ont un indice élevé, comme Massillon, Fénelon ou Saint-Alyre. Pour nous le collège Gérard-Philippe doit être classé en REP +, au regard des IPS. C’est une question de justice. On souhaite davantage de mixité sociale. Or le privé est un obstacle à cette mixité sociale. Tout cela a des conséquences sur la réussite des élèves ».
Lui aussi plaide pour une révision de la carte de l’éducation prioritaire : « On est favorables à une extension de la carte de l’éducation prioritaire. Le ministre parle lui de révision. On ne voudrait pas que des établissements classés REP sortent de l’éducation prioritaire. Dans les zones rurales, il faudrait regarder de près un certain nombre d’établissements. Ils mériteraient sans doute qu’on leur attribue des moyens supplémentaires et de rentrer dans l’éducation prioritaire ». Fabien Claveau cite quelques exemples : « Sur Clermont-Ferrand, les IPS sont très faibles. Le collège de La Charme est à 68, Gérard-Philippe est à 70, Albert-Camus est à 74. On est largement en-dessous de la moyenne nationale. A Clermont-Ferrand, il y a aussi des établissements publics avec un IPS élevé, comme le collège Jeanne-d’Arc ». Il s’interroge aussi au sujet des lycées : « Quand on parle d’extension de la carte de l’éducation prioritaire, on pense aux collèges mais aussi aux lycées, et en particulier aux lycées professionnels. A Thiers, l’IPS du lycée Germaine-Tillion est de 76,8. Or, il n’est pas classé. Au lycée Amédée-Gasquet de Clermont-Ferrand, l’IPS est de 80,1. On se dit qu’il y a des établissements laissés sur le bord de la route ». Il évoque aussi la situation au niveau régional : « Dans l’académie, deux départements sont concernés par l’éducation prioritaire, l’Allier et le Puy-de-Dôme. Les IPS sont moins faibles dans le Cantal et la Haute-Loire ».
Un travail sur la carte des formations
Pour Tanguy Cavé, secrétaire général de l’académie de Clermont-Ferrand, le rectorat dispose de plusieurs leviers pour favoriser la mixité sociale : « Afin d’améliorer la mixité sociale, on a recours à plusieurs éléments. On travaille sur la carte des formations en développant des filières attractives ou en tension dans des établissements moins prisés. Ce sont des formations relatives aux métiers d’art, d’artisanat. On développe aussi des formations d’enseignement supérieur notamment au lycée Ambroise-Brugière et au lycée Sidoine-Apollinaire de Clermont-Ferrand : on y a mis des classes préparatoires aux grandes écoles. On a aussi des ateliers de sciences politiques, grâce à une convention avec Sciences Po Paris. On a implanté cela au lycée Montdrory de Thiers et au lycée Ambroise-Brugière de Clermont-Ferrand. Dans l’académie, on développe le projet du lycée de tous les talents. Implanté au lycée Ambroise-Brugière de Clermont-Ferrand, il rassemble dans une classe de seconde des élèves engagés à un haut niveau, soit dans un parcours artistique, soit dans un parcours sportif. Par ailleurs, on a mis un enseignement de spécialités rares au lycée Ambroise-Brugière. C’est de nature à attirer des élèves de milieux sociaux favorisés. On développe aussi les sections internationales pour permettre d’avoir des jeunes de tous milieux ».
La position de l'enseignement catholique
Nicolas Carlier, directeur diocésain de l’enseignement catholique de l’Allier et du Puy-de-Dôme, explique pourquoi les IPS sont souvent plus hauts dans les établissements privés : « Il faut relativiser. Les situations ne sont pas uniformes. Les raisons de ces IPS élevés sont multiples. Je pense qu’on n’est pas responsables de la politique de la ville de ces 50 dernières années. Il y a des soucis sociétaux dont on ne peut pas être responsables. Nous avons une volonté de mettre au cœur de nos recrutements le projet éducatif. Je ne dis pas que ce n’est pas le cas dans le public. On essaie d’être assez exigeants et c’est ce qui plaît à un grand nombre de familles. De plus, il y a des familles qui ne savent pas que tout le monde peut venir dans nos établissements. Certes, on demande une contribution des familles. On peut aussi mettre en place de la solidarité qui fait que cette contribution peut être adaptée par le chef d’établissement. Il y a aussi une autocensure. Je pense qu’il y a des personnes qui croient que c’est l’école de ceux qui ont les moyens et elles ne viennent même pas nous voir. Pour faire bouger les IPS, il faut développer une information pour que les personnes osent franchir le seuil de nos portes ».
Le cas des lycées professionnels
David Aliguen, cosecrétaire CGT Educ’action du Puy-de-Dôme, analyse les IPS pour les lycées de l’académie de Clermont-Ferrand : « Dans les lycées professionnels mais aussi dans quelques lycées généraux et technologiques comme Ambroise-Bruguière à Clermont-Ferrand, l’IPS est bien en-dessous de la moyenne de l’académie. De fait, les conditions de travail ne peuvent pas être les mêmes qu’ailleurs. Par exemple, le lycée Ambroise-Bruguière accueille un public qui cumule des difficultés sociales, des conditions de vie difficiles. Les élèves qui y rentrent ont des difficultés scolaires dès le collège. Pour ensuite les faire réussir comme les autres, c’est forcément plus difficile si on n’a pas plus de moyens ». Il s’étonne de la carte de l’éducation prioritaire : « Seuls les écoles et les collèges peuvent être classés REP ou REP+. Cela signifie qu’il n’y a aucun moyen supplémentaire pour des élèves de lycée qui ont passé toute leur scolarité en éducation prioritaire. On voudrait que les lycées soient intégrés dans les dispositifs d’éducation prioritaire ».
Séduire par des filières attractives
Pour le secrétaire général de l’académie de Clermont-Ferrand, les lycées professionnels ne sont pas laissés au bord de la route : « Avec l’offre de formation, avec des filières attractives dans certains lycées, on accompagne ces lycées professionnels. Ce sont par exemple les filières esthétiques, les métiers de la sécurité. On essaie de les implanter dans les lycées professionnels. Au niveau de la dotation en heures, elle est abondée pour certains lycées. L’académie a 108 heures, ce qui représente 6 emplois, en plus de sa dotation normale. Cela nous permet d’accompagner des lycées auxquels on donne plus de moyens. C’est le cas de Germaine-Tillion à Thiers, qui a un demi-poste en plus, pour tenir compte de l’IPS faible de cet établissement. Les lycées Geneviève-Vincent à Commentry et Paul-Constant à Montluçon bénéficient de plus d’heures également. Par ailleurs, on essaie d’intégrer ces établissements au sein de campus des métiers et des qualifications, pour les rendre attractifs. Les lycées professionnels ne sont pas oubliés ».
Par ailleurs, jeudi 4 mai, le président de la République a présenté la réforme du lycée professionnel qui sera appliquée dès la rentrée 2023. Pour cette réforme, un milliard d'euros par an supplémentaire est mis sur la table. "On va mettre un milliard d'euros par an en plus sur le lycée professionnel (...). On doit aller vers 100% d'insertion professionnelle", a déclaré le chef de l'État. Il veut faire de cette réforme « une cause nationale ». Dès la rentrée prochaine, les élèves de lycée professionnel vont toucher un peu d'argent pendant leur période en entreprise. Aujourd'hui il n'y a aucune indemnité. Emmanuel Macron l'a détaillée : elle sera à hauteur de 50 euros par semaine en classe de seconde, 75 euros en première et 100 euros en terminale. « Une mesure de justice et de mérite », a déclaré le président de la République.
Vers une évolution de la carte de l'éducation prioritaire
Selon Tanguy Cavé, la carte de l’éducation prioritaire n’est pas figée : « C’est normal que les syndicats proposent une extension plutôt qu’une révision de la carte de l’éducation prioritaire. Pour l’instant, cette carte n’est pas révisée au niveau national. Il y a juste de légers ajustements. Cela fait plusieurs années que le ministère évoque la révision de cette carte et c’est assez complexe à faire. Pour l’instant, il y a un collège qui est identifié comme réunissant les critères de l’éducation prioritaire, c’est le collège Gérard-Philippe de Clermont-Ferrand. On est en discussion avec le ministère pour essayer de faire intégrer ce collège, mais sans enlever un autre établissement. On est en attente d’une réponse sur cette demande d’évolution ».
Le chantier de la diversité
Le directeur diocésain de l’enseignement catholique de l’Allier et du Puy-de-Dôme se dit prêt à accueillir plus d’élèves d’horizons divers mais demande un effort des collectivités pour les accompagner financièrement. Nicolas Carlier indique que des mesures sont prises pour accueillir une population moins favorisée : « On se bat avec nos établissements pour qu’ils changent le mode de tarification. On souhaite que le quotient familial intervienne pour la proposition de contribution des familles. Il y a des fonds de solidarité pour les familles en difficulté ». Pour Nicolas Carlier, la mixité sociale est un dossier qu’il prend à-bras-le-corps : « On veut augmenter le nombre de boursiers et favoriser la diversité au sein de nos établissements. La mixité sociale est un véritable enjeu. Je m’oppose complètement aux accusations de ségrégation sociale. J’ai dirigé un établissement où j’ai accepté tous les dossiers, avec des résultats au bac exceptionnels, en accueillant la plus grande diversité de public. La ségrégation est une légende urbaine ».
Jeudi 11 mai, le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, doit réunir l’ensemble des recteurs et des Dasen (directeurs académiques de l’Education nationale) afin d’annoncer des mesures au sujet de la mixité scolaire et sociale. Le ministre finalise notamment un protocole d'accord avec l'enseignement catholique, pour que celui-ci s'engage à augmenter la proportion de boursiers dans ses établissements, avec "des objectifs chiffrés progressifs".