Durant le confinement dû au COVID 19, le couple peut être mis à l’épreuve. Le chef de service de psychiatrie B au CHU de Clermont-Ferrand, le Pr Pierre-Michel Llorca, décrypte ce phénomène et les conséquences qu’il a sur la santé mentale du couple.
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"La santé mentale des Français s'est de nouveau dégradée entre fin septembre et début novembre" a précisé Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, mardi 17 novembre 2020, lors de son point d'information sur l'évolution de l'épidémie en France. Troubles dépressifs, anxieux, stress post traumatiques ont augmenté dans l’ensemble de la population. Santé publique France a signalé une augmentation de 20% des troubles anxieux, de 20% des idées suicidaires.
Une hausse des demandes de consultations
Le professeur Pierre-Michel Llorca, chef de service de psychiatrie B au CHU de Clermont-Ferrand, le confirme : «
On a une augmentation des demandes de gens qui n’avaient pas de recours au dispositif de santé mentale. On a des difficultés à y faire face depuis la fin de l’été. Dans les demandes, ça a été multiplié par 4 environ, avec des manifestations anxieuses, dépressives et des conduites addictives ». Le confinement lié à l’épidémie de COVID 19 a eu des conséquences sur la vie de couple. Le professeur Pierre-Michel Llorca, souligne : «
On évoque assez régulièrement les difficultés associées au confinement, la proximité du couple et de la famille. C’est une modification complète des modalités de vie. Cela a été très fort pendant le premier confinement et le deuxième est présent, mais différemment. La reprise de l’école a été non négligeable par rapport à ces conséquences. Ces modifications de modes de vie entraînent une plus grande proximité voire promiscuité, des interactions plus fréquentes dans un contexte assez contraint et anxiogène. Dans leur quotidien les gens rapportent ces difficultés : pour faire simple, c’est ne plus pouvoir se supporter, avec des tensions liées à la répartition de l’organisation, des tâches, avec des enjeux qui ne sont pas présents habituellement ». Il rappelle : «
En tant que psychiatre je vois des gens qui ont des troubles, qui ont des manifestations anxieuses, des réactions dépressives, qui ont des conséquences sur leur fonctionnement quotidien et sur leur vie de couple, plutôt que l’inverse ».
Une vie de couple troublée
L’alternance confinement, déconfinement, reconfinement peut troubler la vie de couple. Le psychiatre explique : «
Cela augmente le sentiment d’insécurité. Pendant le confinement, on ne savait pas trop ce qui se passait, et on a l’impression que les choses sont passées. Après les gens disent qu’il y aura une deuxième vague mais c’est l’été et on reconstruit les choses différemment. Le reconfinement et le couvre-feu ont créé un sentiment de perte de maîtrise et de temps long. Ca n’en finit pas. Tout le monde n’est pas sensible de la même manière mais ça révèle des gens assez vulnérables par rapport à cela et qui expriment qu’ils ont de la peine à faire face à tout cela. Mais les gens ont pu continuer à travailler et le travail permet de maintenir des rythmes sociaux habituels, qui sont très importants pour la régulation émotionnelle. Si on perturbe les rythmes sociaux des gens, ça les vulnérabilise fréquemment. Par exemple, des personnes qui ont un travail posté sont beaucoup plus sensibles à des pathologies psychiatriques que d’autres. A l’heure actuelle, quand vous êtes en télétravail, que les rythmes sont flous, cela devient extrêmement difficile. C’est un facteur de vulnérabilité aux maladies psychiatriques ».
Un rempart dans l'adversité
En revanche, le couple peut constituer un rempart afin d’affronter ces difficultés. Le professeur Pierre-Michel Llorca indique :
« Le couple, la famille, avec une organisation fonctionnelle, la capacité de s’épauler constitue un lieu de refuge. C’est un élément important. En termes de vulnérabilité, si vous êtes seul, vous êtes plus vulnérable que si vous êtes en couple, dans l’absolu, de matière épidémiologique. Les gens qui sont seuls ont plus de risques d’avoir des troubles psychologiques et psychiatriques. C’est ce qu’on appelle le support social, un facteur de protection, « buffer » en anglais, qui signifie tampon. C’est une sorte de protection autour de nous. La qualité de notre support social est vraiment un élément essentiel pour la protection face aux aléas de la vie ».
Des difficultés à affronter
Il précise que le couple peut être mis à l’épreuve lors de ce contexte particulier : «
La famille ou le couple est un facteur de protection. D’un autre côté, il y a quand même beaucoup de gens qui, du fait du confinement et de la sécurité sanitaire, développent des vulnérabilités, avec l’apparition de manifestations anxieuses, dépressives, d’irritabilité plus marquées. On a aussi constaté l’augmentation de conduites addictives. Forcément quand vous êtes vulnérable et que vous commencez à présenter des réactions psychologiques voire des manifestations psychiatriques, ça met à l’épreuve votre couple. Dans un couple, tout le monde ne réagit pas pareil. Si vous êtes tous les deux confrontés à la même réalité, celle du confinement, les considérations économiques, la peur de la maladie, vous ne réagissez pas de la même façon. Cela peut déséquilibrer les choses, sans forcément les verbaliser et cela entraîne des tensions, des disputes qui sont inhabituelles. Après, dans un contexte sans vraiment de début ni de fin, ça s’auto entretient et ça met un couple à l’épreuve. Le confinement met à l’épreuve le fonctionnement de couple et l’épidémie plus le confinement mettent à l’épreuve les individus. L’un plus l’autre entraînent des risques individuels et au niveau du couple ».
Des conseils à suivre
Le psychiatre donne quelques clés pour mieux affronter les difficultés : «
Individuellement, il faut essayer de maintenir des rythmes sociaux, être un peu ritualisé. Si on travaille c’est plus facile. Si on télétravaille, il faut observer des périodes régulières, maintenir des interactions. Il faut recréer artificiellement des rythmes sociaux, c’est très important ». Il conseille : «
Il faut être attentif à son conjoint pour voir s’il réagit anormalement. Tout le monde n’est pas capable de verbaliser ses émotions et c’est plutôt un facteur de vulnérabilité. Si son conjoint a ses difficultés, il faut être attentif à ces manifestations d’irritabilité, d’anxiété et les prendre très au sérieux. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à solliciter son médecin, car cela peut avoir des conséquences sur l’individu et le couple. Il ne faut pas se contenter de dire que tout va bien aller mais essayer de voir si des modalités peuvent être envisagées. L’attention à l’autre est essentielle ». Ainsi, le médecin recommande d’être conscient de faire attention à sa santé de façon générale, mais aussi à sa santé mentale.