Mercredi 23 décembre, le procureur de la République de Clermont-Ferrand a dressé le portrait de Frédérik L., le forcené de Saint-Just qui a tué 3 gendarmes. Il était survivaliste. Un universitaire décrypte cette tendance pour nous.

Mercredi 23 décembre, le procureur de la République de Clermont-Ferrand, Eric Maillaud, a tenu une conférence de presse. Trois gendarmes avaient été tués et un quatrième blessé par un forcené à Saint-Just dans le Puy-de-Dôme. Très rapidement, il a évoqué le parcours de Frédérik L., le forcené de 48 ans. Eric Maillaud a précisé : « Catholique très pratiquant, il était survivaliste et avait suivi des stages d’entraînement. Il était persuadé de la fin du monde. Il présentait un profil inquiétant ». Bertrand Vidal est sociologue à l’université Paul-Valéry de Montpellier III. Il a écrit « Survivalisme : êtes-vous prêts pour la fin du monde ? » aux éditions Arkhê. Ce spécialiste du survivalisme décrypte pour nous cette tendance. Il tient à rappeler : « Ce n’est pas le survivalisme qui a causé ce fait divers. Les survivalistes peuvent être violents mais sont loin de passer à l’acte comme l’a fait cette personne. Ce n’est pas le fait qu’il appartienne à la mouvance survivaliste qui a précipité la chose. Peut-être qu’il y a des relents derrière. A l’origine le survivalisme est né dans les années 60. C’est une tendance libertarienne et même d’extrême-droite aux Etats-Unis. Le fondateur du survivalisme est Kurt Saxon et il appartenait au parti nazi américain. C’était un fana d’armes. Il a été inculpé pour terrorisme. Il stipulait que pour survivre à des catastrophes, à l’époque c’était essentiellement la menace rouge, il fallait fuir la ville et se terrer dans un bunker dans la nature, manipuler des armes. C’est la version américaine des années 60. C’est arrivé en Europe et en France à partir des années 80, avec un boom dans les années 2000 et 2010. Mais ça a beaucoup changé, étant donné que nos peurs sociales ont beaucoup changé. Le survivalisme à l’européenne est plutôt lié à une angoisse d’ordre économique, avec la possibilité d’une crise économique et financière, mais surtout aujourd’hui avec la possibilité d’une crise écologique et environnementale. Les survivalistes n’ont rien à voir avec ceux des années 60. Ce sont des doux rêveurs qui partent dans la forêt, apprendre à reconnaître les plantes, faire du feu, construire des abris et des tentes ».
 

Les stages de survie

Selon le procureur de la République de Clermont-Ferrand, le forcené avait participé à des stages. Bertrand Vidal nous en dit plus :« Il y a beaucoup de stages de survie, avec des instructeurs. Il y a eu récemment des faits divers dans l’actualité. Les stages de survie connaissent un vrai boum, à l’instar du survivalisme. A Paris, depuis deux ans maintenant, existe un salon du survivalisme. On pouvait y participer et rencontrer des instructeurs. Les stages de survie explosent en ce moment. Des adolescents y participent essentiellement, des jeunes qui cherchent à se retrouver, à rire ensemble. Il y a aussi du team-building dans les stages de survie : les entreprises proposent à leurs salariés de ressouder les liens du groupe. Dans l’imaginaire du stage de survie, on pense qu’on va manipuler des armes, se battre mais ce n’est pas du tout cela. Un stage c’est partir 3 jours dans la nature et faire un peu de scoutisme en fait ».

Survivalisme et catholicisme

Eric Maillaud a rappelé que Frédérik L. était un catholique très pratiquant. Mais cette foi est-elle compatible avec le survivalisme ? Oui pour Bertrand Vidal : « Dans le survivalisme il y a énormément de tendances. Au niveau politique on peut trouver du survivalisme d’extrême-gauche, des individus qui créent des utopies dans les Cévennes par exemple. Il arrive aussi de trouver des replis communautaires en dehors de la société car c’est l’optique du survivalisme. On peut aussi trouver des mouvements d’extrême-droite. Certaines personnes sont très inquiètes par rapport aux menaces migratoires. Le survivalisme a changé et accepte toutes tendances politiques. Ce qui peut « matcher » avec le fait d’être un catholique fervent et la tendance survivaliste est cette croyance en la fin du monde, une apocalypse à venir. Le survivalisme se construit avec cet imaginaire que demain ce sera "la fin du monde tel que nous le connaissons" ».

Ils s’imaginent en derniers survivants, en Mad Max

La pandémie de COVID a pu participer à la propagation des thèses survivalistes. L’universitaire explique : « La pandémie de COVID a participé à accélérer cette tendance. Les survivalistes voient toujours le malheur à leur porte. Ils considèrent qu’aujourd’hui est lourd de catastrophes, que demain sera pire et que la pandémie que l’on vit a participé à précipiter la chute. Donc il faut faire du stock, il faut se préparer, et peut-être que la société ne pourra pas se maintenir. Les survivalistes que j’ai pu rencontrer étaient assez déçus de ce qui s’est passé. Notre société a été relativement bien résiliente. Les survivalistes s’imaginent en élus de la fin du monde. En accumulant des réserves alimentaires, des médicaments, en ayant des techniques apprises en stage de survie, ils se préparent. Parfois en accumulant des armes, ils s’imaginent en derniers survivants, en Mad Max, comme ce personnage de film post-apocalyptique. Cependant, ils se sont rendus compte que la fin du monde n’était pas celle imaginée. La fin du monde a été de consommer Netflix, de se faire livrer des pizzas. On a passé la fin du monde sur le canapé ».

Des survivalistes pas tous inquiétants

Pour Bertrand Vidal, tous les survivalistes ne sont pas dangereux. Il souligne : « On n’est pas forcément inquiétant quand on est survivaliste. Il existe plusieurs tendances. Il va y avoir des adolescents qui vont essayer de s’extirper de leur quotidien, des salariés qui veulent sortir de la routine métro-boulot-dodo en rêvant de la fin de la société, en s’imaginant en héros de la fin du monde. Il y a des profils très softs avec des personnes qui partent dans la forêt, construire une cabane dans les bois, et se créent un monde. Il peut aussi y avoir des profils plus radicaux, plus dangereux mais les peurs ne sont pas les mêmes. Il y a des survivalistes un peu à la John Rambo, qui considèrent que la société va s’écrouler, que l’homme va redevenir un loup pour l’homme et qu’il faut se préparer à ça, accumuler des armes. Parfois certains font du self-defense ou des arts martiaux. Cela peut être plus dangereux. La plupart du temps, ils ne passent jamais à l’action car ils sont dans une culture de la projection, dans l’anticipation. Ils demeurent dans un imaginaire ». Concernant le terrible fait divers de Saint-Just, l’enquête ne fait que commencer. On est encore loin de cerner qui était Frédérik L.

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