Après un mois de mobilisation, des gilets jaunes du Puy-de-Dôme se retrouvaient dans la soirée du 17 décembre à la maison du peuple, à Clermont-Ferrand, pour leur première assemblée générale. Ils ont pu y partager leurs doléances, et découvrir les difficultés de la démocratie directe.
Une effervescence fluorescente animait le porche de la Maison du Peuple de Clermont-Ferrand, dans la soirée du lundi 17 décembre. Un mois jour pour jour après la première mobilisation de gilets jaunes sur des ronds-points, ils étaient près de 400, jeunes, moins jeunes, de différentes sensibilités politiques, dans le besoin, aisés, venus de tout le Puy-de-Dôme, à se rassembler pour une "assemblée générale" inédite.
Annoncé sur Facebook, l'événement avait plusieurs objectifs : "Débat autour des revendications des gilets jaunes et explication du RIC (référendum d'initiative citoyenne)", "explication du mode d'élection à venir et du rôle des référents et des porte-parole", et "présentation des référents et des porte-parole potentiels pour le département en vue des élections".
Qui était présent ?
Rendez-vous a été donné via les réseaux sociaux et le bouche à oreille sur les points de blocages. L'essentiel des participants se composait donc de gilets jaunes, originaires du Puy-de-Dôme, complétés par quelques manifestants venus de plus loin, notamment de l'Allier. À leurs côtés se trouvaient également quelques sympathisants ou curieux, sans la tenue d'apparat fluorescente. "Je ne suis le mouvement que de loin, je ne suis jamais allé sur un rond-point, confie Françoise, retraitée depuis trois jours, mais je partage des revendications portées depuis longtemps par des syndicats, alors je voulais voir à quoi ressemblait ce mouvement."À l'entrée, les sacs étaient fouillés par mesure de sécurité. Des affiches indiquaient les personæ non-gratæ : presse, syndicats et partis politiques. À l'intérieur, personne ne s'est toutefois offusqué de la présence de quelques logos de syndicats et micro de journaliste.
Au total, répartis dans la grande salle et sur un balcon surélevé, près de 400 personnes étaient présentes dans la salle au début des discussions : un nombre qui s'est effrité tout au long de la soirée. Il en restait environ la moitié à la fin du rassemblement.
Qui avait la parole ?
Tout le monde pouvait, à tout moment, réclamer un micro pour s'exprimer. Une demi-douzaine d'organisateurs devait en théorie réguler ces prises de paroles pour dérouler l'ordre du jour. Dans les faits, certains n'avaient aucune expérience oratoire, et réalisaient donc dans la douleur leur baptême du feu, mis en difficulté par la ferveur d'une assemblée où chacun avait son mot à dire.Un homme en particulier s'est donc démarqué pendant cette soirée, présenté sous son pseudo Internet, Zolive. Connu des gilets jaunes comme "média alternatif", il est très souvent présent à leurs côtés, un smartphone à la main, pour les interviewer en direct. Au cours de la soirée, après avoir présenté le programme, il est intervenu à plusieurs reprises pour successivement juguler et attiser l'effervescence, et tenter d'avancer sur l'ordre du jour.
Car les gilets jaunes sont restés fidèles à leurs idéaux d'horizontalité et de démocratie directe : aucun n'étant supérieur à l'autre, chacun avait le droit à la parole, et nombreux sont ceux à en avoir fait usage. Problème rencontré : la première heure d'assemblée s'est résumée à une succession de prises de paroles pour évoquer des problématiques personnelles, spécifiques, quand l'objectif de la réunion était de se structurer. "La somme des intérêts individuels n'a jamais fait le bien-être collectif, a fini par tonner Zolive, tentant de reprendre le contrôle de la situation, tandis que des mains se tendaient pour réclamer le micro. C'est comme dans les couples, quand il y a des tensions, soit on s'arrête, on se parle on se rappelle de pourquoi on se bat tous ensemble, ou on laisse les tensions nous grignoter de l'intérieur."
Quelles étaient les demandes ?
Au total, 91 doléances ont été recensées auprès des gilets jaunes du Puy-de-Dôme. Une équipe s'est rendue sur la majorité des points de blocage et d'occupation connus pour recueillir les demandes de chacun, expliquent les organisateurs. Ils assurent les avoir retranscrit mot pour mot, sans tri préalable, puisque si tri il doit y avoir, il doit se faire démocratiquement. Conséquence logique, un certain nombre de doléances est en doublon, certaines ne remportent pas l'adhésion de tous, voire, sont en contradiction.Parmi elles, 42 portent sur le pouvoir d'achat, et notamment les taxes qu'il faudrait supprimer/diminuer (TVA, CSG, carburant, etc) ou créer/augmenter (ISF, taxes sur le kérosène, les importations, etc). Neuf doléances, avec des formulations différentes, expriment une volonté de démocratie plus directe, par exemple avec la mise en place du référendum d'initiative citoyenne (RIC). D'autres doléances sont des suggestions d'actions ("Faire chier les grands patrons du CAC 40 (Michelin)", "Bloquer les frontières", "Blocage de la Banque de France") ou des appels à l'aide.
Certains points ont par contre suscité de vives oppositions. Avant que les organisateurs aient pu rappeler que les doléances avaient été rapportées "telles quelles", et que leur présence sur un cahier ne valait pas approbation, une femme s'en est émue. "Deux doléances m'ont particulièrement choquée, et je pense ne pas être la seule, à commencer par le fait que certains voudraient rouvrir les maisons closes !", s'est-elle emportée, causant un brouhaha d'arguments jetés pour ou contre. C'est surtout la lecture de la doléance 57 qui a suscité des hués de désapprobation : "Arrêter les aides astronomiques que l'État donne aux migrants et aux personnes qui travaillent pas sans raison."
Qu'est-il ressorti de ce rassemblement ?
À force de prises de parole spontanées, les organisateurs ont eu bien du mal à faire avancer les discussions. Ils sont tout de même parvenus à organiser quelques votes à main levée. L'assemblée a par exemple décidé que les blocages de lieux économiques stratégiques étaient préférables aux blocages de la population sur les ronds-points.Un porte-parole a par ailleurs annoncé la prochaine mise en ligne de deux plateformes "pour instaurer une démocratie participative." Il sera possible d'y réaliser des consultations à l'échelle du département.
C'est par contre toujours le flou sur la question de la désignation de "représentants". Le choix du terme a d'abord beaucoup posé problème : certains estiment qu'il ne faut pas de "porte-parole" mais un "rapporte parole", pas de "délégué" mais un "représentant", etc. L'idée même d'un représentant a été remise en cause, alors qu'un vote réalisé le 2 décembre sur le plus important groupe facebook de gilets jaunes de la région donnait près de 1600 voix pour l'élection d'un porte-parole (contre 150 contre). Un vote à main levé a été improvisé pour confirmer ce vote, mais le résultat semblait aller dans le sens inverse, et a donc été laissé de côté.
Et après ?
Les participants sont repartis, pas beaucoup plus avancés, mais avec l'assurance que le mouvement continuerait, animé par les plus impliqués des gilets jaunes prêts à passer les fêtes sur un rond-point. Quant à la structuration du mouvement, il lui reste encore du chemin après ce premier pas. Mais tous n'y croient pas, et craignent qu'elle mène à la dilution de la voix des gilets jaunes.La mobilisation à Clermont-Ferrand, dans son organisation pacifique actuelle, ne fait pas l'unanimité. "Regardez la marche à Clermont-Ferrand de dimanche dernier, on a suivi le parcours, on a emmerdé personne, remarque un sympathisant qui souhaite rester anonyme, il n'y a qu'en cassant des choses qu'on nous entend." Et certains ne voient même pas l'intérêt de négocier : "On n'a pas besoin de porte-parole, il n'y a rien à négocier. Le rétablissement de l'ISF n'est pas quelque chose de négociable, la mise en place du RIC n'est pas quelque chose de négociable", insiste Alain, un artisan, qui craint de voir le mouvement citoyen récupéré par des individualités ou des mouvements politiques. Pour Laura, aide soignante hospitalière, c'est de toute façon trop tard : "Macron nous a trop méprisé. Il ne peut plus rien faire pour nous satisfaire, il ne peut que partir."
Le lendemain matin, la préfète du Puy-de-Dôme appelait les gilets jaunes à cesser leurs actions et à évacuer les sites occupés.