"Le plus dur est de les voir pleurer" : comment les bénévoles des Restos du Coeur apprennent à dire non aux bénéficiaires

L’hiver approche. Et à Clermont-Ferrand, comme ailleurs, les Restos du Coeur sont contraints de refuser pour la première fois des bénéficiaires. Une angoisse du quotidien pour les bénévoles qui doivent annoncer la mauvaise nouvelle aux personnes précaires.

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Dans le centre de distribution des Restos du Cœur situé au cœur de Clermont-Ferrand, la queue s’allonge. À l'intérieur, dans la salle d’attente, Rima, ticket numéroté à la main, tape du pied. Elle attend son tour pour pouvoir s’inscrire pour la campagne d’hiver. Elle semble stressée : “J'espère qu’on pourra m'accepter. J’ai entendu dire qu’ils refusaient des gens en ce moment”. Son tour arrive. Catherine, bénévole, l'accueille dans son bureau. Rima dévoile ses comptes : son allocation d’adulte handicapé, le nombre d’enfants, le montant du loyer, ses dépenses en électricité, … Tout y passe. Après calcul, le logiciel est formel : le barème a été dépassé. Catherine murmure, bien embêtée : “Je suis désolée. Ça ne va pas être possible. Au niveau de nos barèmes, vous êtes un peu au-dessus. Je suis désolée. On ne va pas pouvoir vous accorder l’aide alimentaire”. Rima se mure dans le silence. Elle semble dépitée par la nouvelle. La bénévole tente de la rassurer : “Mais, vous aurez quand même droit à d’autres aides des Restos du Coeur. Je vais vous donner une carte hors alimentaire. C’est-à-dire que si vous avez besoin de vêtements ou de services autres que l'alimentaire, vous pourrez toujours en bénéficier”. La femme repart avec son chariot - qu’elle comptait remplir - vide. 

Une formation pour être prêt à dire “non”

Pour la première fois, en plus de 30 ans d’existence, l'association d’aide aux plus précaires, créée par Coluche, doit limiter le nombre de bénéficiaires pour la campagne d’hiver 2023. Chaque jour, une trentaine de personnes précaires passent dans le bureau de Malika, bénévole depuis plus de 10 ans. Parmi eux, certains doivent encaisser des refus. Une étape redoutée par Malika : “J’anticipe au maximum. Je regarde le dossier. Dès que je vois que leurs ressources pourraient dépasser le barème, je ne continue pas, je leur dis direct. Je leur dis le plus tôt possible, pour ne pas être bloqué, et me retrouver à ne pas savoir quoi leur dire. Le plus dur est de les voir pleurer. C’est délicat pour eux et pour nous. Mais la plupart le savent et le redoutent”. Sur sa table, une fiche explicative fournie par l’association aide les bénévoles à expliquer les difficultés budgétaires de l’association. Ainsi, avant chaque étude de dossier, le bénéficiaire est en quelque sorte prévenu. “Si, nous-mêmes, on ne comprend pas pourquoi on refuse de nouveaux bénéficiaires, on aura forcément du mal à leur expliquer, justifie Malika. On leur dit que les Restos du Coeur connaissent des difficultés mais que ce n’est pas de leur faute. On leur explique que pour que l’on continue à les aider plus tard, il faut faire ainsi. Pour que ça passe et non que ça casse”.

Tous les bénévoles ont suivi une formation obligatoire pour apprendre à annoncer la mauvaise nouvelle : ”On nous a appris à faire face aux différentes émotions que pourrait ressentir le bénéficiaire, comme la colère ou la tristesse par exemple. On a appris à dire non sans blesser “. 

"Le plus dur, c’est d’annoncer la baisse des denrées"

Malika accueille dans son bureau David. Ce trentenaire vit dans la rue et ne touche que le RSA, soit 263 euros par mois. Originaire de Mayotte, c’est sa première campagne d’hiver. Mais Malika prévient : "Dès que vous aurez le montant métropolitain du RSA, si je peux dire, vous dépasserez le barème, sachant que vous n'avez pas de dépenses de logement". David est interloqué : "Même en vivant dans la rue ?". Malika hoche la tête. Des profils aussi précaires, la bénévole en voit tous les jours. Chaque refus à annoncer est un crève-cœur pour elle : “On s'inquiète pour ces familles. On se demande comment ils vont faire. S’ils viennent, c’est qu’ils ont forcément besoin. Mais on ne les laisse pas partir ainsi, on les redirige vers d’autres associations et on accentue sur le fait qu’ils auront toujours le droit à nos autres services. On leur laisse aussi un colis de dépannage, l’équivalent d’une semaine de denrées, qu’ils pourront avoir uniquement deux fois durant les quatre mois de la campagne d'hiver”. En plus des refus, il y a d’autres changements difficiles à faire connaître aux demandeurs : “Le plus dur, c’est d’annoncer la baisse des denrées. Quand on doit expliquer à une famille avec des enfants qu’ils devront choisir entre le lait et l’huile, c’est hyper dur. On se demande comment ces mamans vont faire”. En effet, désormais le lait rejoint la famille des “compléments” comme l’huile et le sucre. Autre conséquence de la crise subie par les Restos du Coeur. 

"Ne laisser personne de côté"

Depuis le 23 octobre, date d’ouverture des inscriptions pour la campagne d’hiver, près de 400 personnes sont déjà inscrites. À une allure de 30 personnes inscrites par jour, le nombre de bénéficiaires de l’hiver dernier sera facilement atteint avant le début de la campagne d'hiver qui a lieu dans sept jours. Face à cet afflux de demandeurs, Mohammed Idrissi, co-responsable tente de dédramatiser : “En soi, on ne refuse pas. On garde seulement le barème de l’été dernier. Ce qui veut dire que si vous avez réussi à bénéficier de la campagne d’été, il n’y a pas de raisons que vous ne puissiez pas en bénéficier cet hiver”. Le co-responsable d’une des 2200 antennes de l’association assure ne vouloir laisser personne de côté : “Pour les gens qui sont au-dessus du barème, mais de très peu, entre 0 et 10% au-dessus, on leur accorde une aide minorée. Autrement dit, ces personnes auront le droit à un colis alimentaire mais diminué de 50%. Par exemple, si on a une famille de quatre personnes, on leur donnera la quantité de denrées équivalente à deux personnes”. Une décision assez unique mais qui semblait importante en termes d’équité aux yeux de Mohammed : “On voyait qu’il y avait quelques exceptions qui pouvaient être faites, et on ne pouvait pas faire de dérogation à la tête du client. On avait le choix entre refuser chaque dépassement de barème ou accorder une dotation minorée pour ceux qui le dépassent légèrement. On a choisi la deuxième option. On ne veut laisser personne de côté ”

C’est le cas de René. Ce retraité dépasse de peu le plafond. Son barème de points s’affiche en orange sur l'écran de Mohammed. “Vous dépassez un peu, Monsieur, mais on pourra continuer à vous donner une aide alimentaire. Vous aurez juste moins de denrées que les autres”. “C’est mieux que rien”, se satisfait le sexagénaire. Il repart timidement avec sa carte de bénéficiaire. Il est le 21ème inscrit, rien que pour la matinée. Il ne reste que sept jours avant le début de la campagne d’hiver qui débute le 20 novembre. 

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