La pénurie de carburant ne préoccupe pas que les automobilistes. En Auvergne, les professionnels des transports routiers ne cachent pas leur inquiétude si la situation devait perdurer.
La grève des salariés de TotalEnergies et d’ExxonMobil entraîne des pénuries de carburant et des difficultés d’approvisionnement. En Auvergne, les professionnels du transport routier ne sont pas alarmistes. Ils espèrent un déblocage de la situation. Bruno Bernardin, président de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) Auvergne, se montre néanmoins inquiet. Il est aussi le directeur d’une société de transport à Lapalisse, dans l’Allier. « On est plus que préoccupés. J’ai une flotte de plus de 100 véhicules. Si ça continue comme ça, demain, j’ai une cinquantaine de camions qui ne pourront pas rouler. La plupart des camions roule au gazole. Seuls quelques-uns qui roulent au colza pourront sortir. Les politiciens s’en moquent un peu. Depuis ce matin 6 heures, j’appelle les stations-service et je ne trouve pas de carburant » explique-t-il.
Des conséquences redoutées
Il pointe du doigt le désintérêt des pouvoirs publics sur un sujet qu’il estime prioritaire : « La profession est inquiète. Depuis vendredi on a alerté les autorités. Le lendemain, le ministre nous dit qu’il n’y a pas de pénurie. On ne comprend pas. La grève dans les raffineries paralyse la France et on laisse faire. Je ne suis pas d’accord. Je conçois le droit de grève mais je ne suis pas d’accord avec le fait de paralyser la France ». Bruno Bernardin redoute d’importantes conséquences si la situation perdurait : « On ravitaille les supermarchés, les épiceries, les boucheries en produits de première nécessité. Si les camions restent à quai, ces entreprises ne seront pas livrées en produits de première nécessité, comme le papier toilette ou le sucre. Mais cela n’a pas l’air de préoccuper grand monde. Je n’entends rien, je ne vois rien. On parle de la situation des médecins, des infirmiers, ce que je comprends. Mais si cela continue, les gens ne pourront plus se nourrir ». Le chef d’entreprise pense aussi à ses salariés : « Mes salariés sont fatigués de courir après le carburant, à attendre deux heures pour faire le plein. Si je suis obligé de les mettre au chômage technique, c’est leur pouvoir d’achat qui va encore être mis à mal. Je ressens de l’agacement. Si on ne roule plus, cela va mettre à mal mon entreprise. Ce n’était vraiment pas le moment, après la hausse du prix de l’énergie ».
"Pour le moment, l’acheminement fonctionne"
En aval de la chaîne, les conséquences ne se font pas ressentir pour le moment. Rodrigue Serman, directeur de supermarché à Clermont-Ferrand, fait le point sur l’approvisionnement dans sa grande surface : « Pour le moment, l’acheminement fonctionne car nous sommes centralisés. La marchandise arrive via notre centrale avec des transporteurs locaux. Globalement, on arrive à être livrés. Les ruptures que nous connaissons en magasin sont liées à des problématiques de fournisseurs, qui ont des ruptures de lignes et du manque de personnel ». Toujours à Clermont-Ferrand, Jean-Jacques Biamonti, directeur de supermarché, se montre plus prudent : « Si les camions ne peuvent pas se ravitailler, il y aura forcément des conséquences. La balle est dans le camp des hommes politiques et des sociétés qui font le job et qui pourrissent la vie des usagers en permanence. Il va falloir qu’ils se bougent les fesses avant la fin de semaine sinon autre chose que du carburant va manquer. La nourriture pourrait être touchée, les produits frais ». Il ajoute : « Le rythme des livraisons n’a pas baissé mais je pense que d’ici la fin de semaine, il va forcément baisser. S’il n’y a plus de gazole dans les réservoirs des camions pour faire circuler les remorques, ça ne va pas être facile pour les livraisons. Cela peut être tendu. Mais je suis optimiste. Cela va bien bouger sinon c’est la guerre civile ». Même sentiment partagé par Kevin, responsable de supermarché à Clermont-Ferrand : « Je ne suis pas du tout inquiet. On est livrés normalement. Mais si cela perdure pendant des semaines et des semaines, cela risque d’être problématique. Pour le moment, on n’a aucun problème de logistique. On n’a pas eu de mail de notre centrale d’achats. C’est encore une psychose qui se met en place et qui n’est pas réelle ».
Un autocariste inquiet
Autre secteur qui pourrait être fragilisé par un enlisement de la situation, celui des transports en autocars. Jean-Christophe Robin, gérant des Transports Robin à Issoire, nourrit quelques inquiétudes : « On a 50 % de notre chiffre d’affaires qui est du ramassage scolaire. L’autre moitié est du transport occasionnel. Dans notre entreprise, on a une cuve donc on se fait livrer le gazole. Pour le moment, on arrive à commander du carburant chez notre fournisseur, mais en plus petite quantité. Il nous livre entre 20 et 50 % de moins que ce qu’on commande d’habitude. Pour l’instant on n’est pas trop touchés. J’ai un car qui est à l’étranger depuis 10 jours, mais dès qu’il va rentrer en France, j’ai peur qu’il n’arrive pas à faire le plein. Il faut forcément qu’on puisse mettre du gazole dans nos autocars pour les ramassages scolaires. On a aussi des cars qui vont aller à l’étranger. Si ça reste dans cette situation, ça va être très compliqué ». Son entreprise dispose d’une flotte de 35 véhicules. Il détaille comment le ravitaillement fonctionne : « On a une petite cuve de 10 000 litres. En tourisme, septembre et octobre sont des mois de forte demande, surtout avant les vacances scolaires. Généralement on passe les 10 000 litres entre 10 et 15 jours. Mon fournisseur me livre un peu moins depuis deux semaines ».
"Le futur me fait peur"
Jean-Christophe Robin, autocariste
Jean-Christophe Robin songe déjà à faire des choix si la situation l’exigeait : « On est dans l’attente et le questionnement de savoir si on pourra nous livrer du gazole pour rouler. Le futur me fait peur. S’il n’y a pas d’amélioration, je pense que cela sera très compliqué. On ne pourra pas faire nos déplacements et nos ramassages scolaires. On arrêtera en priorité les cars pour le tourisme car il faudra en priorité emmener les enfants à l’école ». Le chef d’entreprise s’inquiète également pour ses salariés : « Cela fait quinze ans que je suis dans le métier : je n’ai jamais connu une telle situation. Je suis ultra inquiet. Je pense qu’on va au moins pouvoir tenir jusqu’aux vacances scolaires. On a aussi le souci de faire rouler nos autocars mais on a aussi le problème pour nos conducteurs, pour qu'ils se rendent au dépôt pour prendre les cars. Ils ne peuvent pas faire de télétravail donc ça va être un gros problème ». Pour Jean-Christophe Robin, cette situation est un nouveau problème auquel est confrontée son entreprise : « On est passés par le COVID, par la guerre en Ukraine. Maintenant on a ça. Pour nous c’est très compliqué de nous projeter dans un futur proche ».
Dans les transports en commun de Clermont-Ferrand "pas d’inquiétude particulière"
Dans les transports en commun de l’agglomération clermontoise, dès les premières tensions, les responsables ont réagi. Richard Peyrin, directeur général de la T2C, indique : « Nous n’avons aucune inquiétude. Le parc est pour 60 % en gazole et 40 % en gaz. C’est un avantage de ne pas être en tout gazole. Au-delà de cela, on a des réserves. On stocke à peu près 230 000 litres de gazole sur nos deux sites de Pardieu et de Champratel. On a l’équivalent d’environ 3 semaines de réserves ». Il n’y a pas pour le moment de difficulté majeure : « On avait anticipé le coup et on a rempli nos réserves au maximum. On a largement 3 semaines de stock pour pouvoir fonctionner normalement. Aujourd’hui on n’a pas d’inquiétude particulière. Pour les agents, entre le covoiturage, les véhicules hybrides, les organisations de chacun, on arrive à couvrir tous les services ». Il travaille en lien avec les services de l'Etat : « Nous sommes un service public qui est important pour le fonctionnement économique. On est en relation avec la préfecture pour essayer d’anticiper si la situation devrait vraiment se tendre et durer dans le temps ». La T2C est alimentée en carburant par plusieurs fournisseurs qui répondent aux appels d’offre en fonction de leurs possibilités.
Désormais, les professionnels du transport guettent les annonces du gouvernement et espèrent un déblocage rapide de la situation.