C’est l’événement majeur d'une campagne présidentielle : le débat de l’entre-deux-tours. Ce mercredi 20 avril, le huitième débat présidentiel télévisé voit s’affronter, comme il y a cinq ans, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Ce rendez-vous incontournable a peu changé dans la forme. Mais que retient-on réellement de ces duels politiques ?
Un temps fort de la politique. Le débat télévisé de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle suscite depuis son apparition, en 1974, beaucoup d’intérêt et de réactions. Pour Mathias Bernard, politologue et président de l’Université Clermont Auvergne, il s’agit d’ "un moment de communion nationale. Une grande partie des Français, quel que soit leur lieu de résidence, leur appartenance socio-professionnelle, ou leur pratique audiovisuelle, se retrouvent devant leur télévision."
Retour aux origines
Après la mort du président Georges Pompidou, en 1974, l’élection présidentielle est organisée très rapidement, un mois après. C’est alors qu’apparaît le premier débat télévisé de l’entre-deux-tours entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. "Dans ce contexte très incertain, le débat présidentiel a été considéré un petit peu comme un tournant et un duel décisif de la campagne" explique Mathias Bernard. De ce débat, tout le monde a en tête la première petite phrase célèbre envoyée par le futur président Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand : "vous n’avez pas le monopole du cœur".
Ce premier débat est un succès, entre deux hommes, maîtres dans l’art oratoire. Les petites phrases sont nées. Et les plus célèbres, que l’on a encore en tête aujourd’hui, se situent surtout dans les trois premiers débats télévisés. En 1981, François Mitterrand qualifie le président sortant comme "l’homme du passif". En 1988, c’est le même qui réplique à son Premier ministre Jacques Chirac, alors candidat, "mais vous avez tout à fait raison, M. le Premier Ministre ".
ce qu’on retient, c’est moins des petites phrases que des situations
Mathias Bernard - politologue et président de l'Université Clermont Auvergne
Depuis le début des années 2000, il est difficile de retenir un propos piquant. Ce changement peut s'expliquer au niveau des moyens de communication qui se sont intensifiés. "A l’époque, il n’y avait pas toutes les chaînes d’information en continu. Il y avait moins ou peu d’Internet. Donc si vous voulez, jusqu’au début du XXIe siècle, l’occasion de sortir des petites phrases, il n’y en avait pas tant que ça dans la médiatisation de la vie politique" constate Mathias Bernard.
La fin de ces phrases chocs a modifié la synthèse qu’on se fait des derniers débats. Selon le politologue, "ce qu’on retient, c’est moins des petites phrases que des situations". Pour illustrer ses propos, il prend l'exemple du débat de 2012, le "moi, président" de François Hollande face à Nicolas Sarkozy. "C’est tout l’inverse d’une petite phrase. Cela dure plus de trois minutes."
Sur la forme, les débats d’entre-deux-tours n’ont pas changé. Dès 1981, "on voit les staffs des deux candidats, vraiment négocier pied à pied l’ensemble du dispositif" décrit Mathias Bernard. Sur le fond, malgré l’évolution de la parole politique, le débat reste quelque chose d’un peu étanche." En effet, le but de ce débat d’entre-deux-tours est de faire preuve de présidentialité. Quand quelqu’un comme Marine Le Pen, en 2017, ne parvient pas à trouver le ton et du coup le discours qu’on attend d’un président, le débat est raté" explique l'historien.
2017, un débat particulier
Le débat de 2017 avait été marqué par deux néophytes de ce rendez-vous politique, dans un duel âpre. Ce qui en fait déjà un débat unique dans l'histoire politique. Cinq ans plus tard, les deux mêmes candidats se retrouvent dans un cadre complètement différent et dans un contexte plus incertain. Mathias Bernad pense qu'on aura le droit à un débat plus en retenu. " Emmanuel Macron veillera sans doute à ne pas apparaître comme trop dominant, arrogant. Et Marine Le Pen cherchera à ne pas être dans l’invective, et être beaucoup plus dans une stature de femme d’état. C’est leur intérêt convergeant d’être dans un débat respectueux des personnes."
Quant à savoir si les débats étaient mieux avant, Mathias Bernard pense qu'"on regarde les extraits, on ne les regarde pas dans son intégralité. La qualité des débats dépend aussi des protagonistes. Le débat qui est le plus faible en termes de dramaturgie, c’est celui de 1995. Aujourd’hui, on n’en retient rien". Rendez-vous donc ce jeudi soir afin de savoir les moments que l'on retiendra du débat d'entre-deux-tours 2022.