Réforme des retraites. « C’est toujours les mêmes sur qui on tape » déplore Emilie, infirmière à Clermont-Ferrand

Mardi 10 janvier, le gouvernement doit dévoiler le contenu de sa réforme des retraites. Une réforme qui n’est pas du tout du goût d’Emilie, infirmière de 42 ans à Clermont-Ferrand. Elle avance ses arguments.

Il n’y a plus que quelques heures avant l’annonce, par Elisabeth Borne, de la réforme des retraites. La Première Ministre doit s’exprimer mardi 10 janvier. Plusieurs zones d’ombre persistent et les syndicats ont prévu de monter au créneau contre cette réforme. A Clermont-Ferrand, Emilie*, infirmière en gériatrie, est syndiquée à la CGT. Elle compte bien manifester pour montrer son opposition à la réforme. Agée de 42 ans, cette célibataire sans enfant raconte comment elle a débuté sa carrière : « Je suis arrivée à l’hôpital de Clermont-Ferrand en 2005 et j’ai commencé ma carrière dans l’hôpital public à Nevers en 2003, il y a tout juste 20 ans. J’avais au préalable suivi une formation à l’IFSI de Clermont-Ferrand ». Selon elle, l’infirmière fait figure d’exception dans sa profession : « Je pense que je suis une rareté dans la fonction publique car des infirmières avec 20 ans de carrière, vous en trouvez très peu. Les conditions de travail et de prise en charge des patients se sont vraiment dégradées depuis 20 ans. Il faut vraiment avoir des convictions pour rester dans le public pour y faire carrière. Depuis 10-15 ans, je côtoie beaucoup de jeunes diplômés, qui au bout de 3, 4 ou 5 ans, sont dégoûtés du métier. Ce n’est pas qu’ils veulent partir dans le privé, ils préfèrent changer de métier ».

"Mon métier est très fatigant"

L’infirmière explique exercer un métier usant : « J’ai 20 ans de carrière. Je suis déjà en train de batailler pour obtenir un 80 % parce que je n’en peux plus de travailler à 100 %. Mon métier est très fatigant. J’ai des repos secs : je travaille un week-end sur deux et j’ai un jour de repos avant le week-end travaillé et un jour de repos après. Je termine mon poste à 20h30. Le temps d’arriver chez moi, il est 21 heures ou 21h30. Le lendemain je suis en repos. Je reprends le surlendemain à 6 heures. C’est un repos de rien du tout en fait. Je n’ai même pas une nuit pour récupérer. Je me dis que s’il faut que je bosse jusqu’à 64 ans, autant économiser maintenant. J’essaie d’obtenir un 80 %. Mes responsables RH me disent qu’ils ne peuvent pas me l’accorder car ils ne trouvent personne à embaucher ».

Un métier qu'elle aime malgré tout

Malgré ces difficultés rencontrées au quotidien, Emilie demeure très attachée à son métier : « Je ne me vois pas faire autre chose. Ce qui me plaît le plus c’est de faire ce pourquoi j’ai été formée, soigner les personnes malades, leur apporter des explications et du soutien, pour qu’elles gèrent au mieux leur état de malade. J’aime aussi le travail en collaboration. C’est aussi un métier qui est toujours en évolution. Il n’y a pas de routine. Je râle un peu sur les horaires mais c’est quelque chose que j’accepte. J’aimerais juste avoir un peu plus de temps pour soigner correctement. Je cours tout le temps. Il y a des jours où ça n’a pas de sens ». Son quotidien est selon elle une course contre-la-montre permanente : « J’arrive 10 à 15 minutes en avance pour régler des problèmes techniques, prendre la température du service et essayer d’anticiper la planification de la journée. Ensuite, je vais toujours regarder la montre. Cela enlève du temps que je pourrais accorder au patient. Si je décide de prendre du temps car j’estime que cette situation le mérite, c’est du temps en moins pour les autres et du temps en plus pour moi en heures de travail. Un paramédical en plus sur la journée serait une grosse différence. C’est inacceptable d’avoir tout le temps l’œil sur la montre. Soigner c’est juste du temps et du temps on n’en a pas. On a beaucoup de tâches à effectuer ».

Une fatigue physique

Physiquement, après 20 ans de carrière, l’infirmière ressent des signes de fatigue : « Il y a souvent des problèmes de dos ou d’épaule. Ce sont des troubles musculo-squelettiques. Cela se déclenche vers 40 ans. Il y a aussi des problèmes d’articulation, des douleurs chroniques. Avec la réforme des retraites, on nous dit qu’il va falloir continuer encore. Ce n’est juste pas possible. Après, on a des ergothérapeutes qui travaillent sur les conditions de travail et il y a des avancées. Mais le souci est que cela arrive toujours avec un train de retard par rapport aux pathologies que l’on prend en charge et qui sont lourdes. Manipuler des patients immobiles, quand ils font 60 ou 80 kg, nécessite de savoir aussi se préserver ». Elle aborde la question de son salaire : « Je travaille 37,30 heures par semaine. Je touche 2 400 euros brut par mois, après 20 ans de carrière. Pour avoir un net équivalent, il faut rajouter les primes de week-end, les primes de service ».

"J’aimerais que cette réforme des retraites n’aboutisse pas"

Si les choses ne changeaient pas, Emilie pourrait prétendre à partir à la retraite à 61 ans, car elle a racheté ses années d’études. Elle espère même en profiter plus tôt : « J’aimerais bien qu’on me dise à 57 ans que dans 2 ans je peux partir à la retraite. Partir à la retraite à 59 ou 60 ans est pas mal, je trouve. Pour avoir côtoyé des anciennes infirmières en bout de carrière, je peux vous assurer que lorsque vous avez 50 ans, vous ne regardez pas de la même manière les 10 ans qu’il vous reste à faire. J’aimerais que cette réforme des retraites n’aboutisse pas. Ils ont déjà repoussé à 62 ans, avec des années de cotisation. J’ai racheté mes années d’études, donc ça fait comme si j’avais commencé à travailler à 18 ans. Je vais travailler jusqu’à 61 ans, avec un temps plein. Ce n’est pas grave si je pars avant, même avec une décote. Je pense que je pourrais vivre correctement avec cette retraite. Je n’irai pas jusqu’au bout. Je partirai à la retraite le plus tôt possible car j’aime mon métier, mais il est usant ».

"Je pense que j’irai manifester parce que j’y crois encore"

Emilie imagine la retraite dont elle rêve : « Une fois à la retraite, j’aimerais consacrer mon temps libre à ma famille et à mes amis. J’aimerais passer plus de temps sur des activités culturelles : le cinéma, la musique. J’aimerais apprendre à jouer d’un instrument de musique en plus et me mettre par exemple au saxophone. Je souhaiterais faire du bénévolat auprès des animaux ». Elle espère ne pas connaître le même triste sort que certains collègues : « On entend qu’on a des collègues qui ont des accidents ou qui sont malades. Ils décèdent avant d’arriver à la retraite. Il y a peut-être plus de cas qu’avant. Mon père est à la retraite depuis peu, et il est plutôt content. Il était temps qu’il y soit car il fait partie des dernières carrières longues. J’avoue que, quand vous avez bossé toute votre vie, ça va devenir un luxe de partir à la retraite, alors que ça ne devrait pas l’être ». Emilie ne mâche pas ses mots contre la réforme des retraites : « Le dossier retraites que le gouvernement de Macron remet sur la table n’est pas une très bonne chose. Ce n’est pas très clair. On parle de pénibilité mais on ne sait pas quels critères vont rentrer en compte. Il y a plein de métiers qui sont usants. On parle de repousser l’âge de la retraite à 64 ans et on demande 43 années de cotisation. Quand vous êtes à 100 % et que vous travaillez 43 ans avec des horaires décalés, les décideurs ne se rendent pas compte qu’ils usent les citoyens. Les cadres ont aussi un métier pénible mais ce ne sont pas les mêmes conditions de travail. Ils ne se lèvent pas à 4 heures un jour sur deux, ils ne travaillent pas les week-ends. Je suis très en colère. Travailler dans des métiers en tension avec une pénibilité physique et psychique est compliqué. Cette réforme des retraites est incohérente. A l’heure où on a supprimé des rentrées d’argent comme l’ISF qui pourraient financer le système des retraites, on préfère faire des cadeaux à un certain type de population. C’est toujours les mêmes sur qui on tape ». L’infirmière conclut : « Je pense que j’irai manifester parce que j’y crois encore. Je suis peut-être utopiste. Pour les dernières élections, il y avait un taux d’abstention record : c’est le signe que les gens sont désabusés et résignés ». S'il y a un appel à manifester, Emilie sera dans le cortège des opposants à la réforme des retraites. Elle est prête à manifester plusieurs fois s’il le faut, afin, dit-elle de "faire plier le gouvernement".

*Le prénom a été changé

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