REPORTAGE. Pauvreté : "ll m'arrive de ne manger qu'une seule fois par jour, heureusement qu'il y a les Restos du Coeur"

Salariés précaires, mères isolées, retraités… Chaque semaine, ils sont toujours plus nombreux à frapper aux portes des Restos du Cœur de Clermont-Ferrand avec pour seul objectif : manger à leur faim. Certains d'entre eux ont accepté de nous raconter leurs difficultés. Témoignages.

Le frigo est vide. Le compte bancaire à sec. Dans le “petit 30 m2” de Véronique, les lettres de relance de dettes s’accumulent. Alors comme tous les lundis, la mère célibataire quitte ce qu'elle appelle son “taudis”, où elle loge avec son fils, pour rejoindre les Restos du Cœur de Clermont-Ferrand. Une fois par semaine, elle vient récupérer quelques denrées alimentaires pour “soulager” son compte en banque. Elle s’estime “prise à la gorge” par les dettes. La main fermement agrippée à la laisse de sa chienne, de peur de perdre "celle qui lui reste”, la quadragénaire se livre sur ses "galères" : “ À cause des factures EDF et de gaz, je me suis surendettée alors que je travaille. J’ai un job à temps partiel dans un hôtel. Ce que je gagne n’est pas suffisant par rapport à ce que je dois chaque mois. Je suis obligée de demander une avance sur ma paye de 200 euros pour pouvoir finir la fin du mois sinon je n’y arrive pas. En plus de cela, j’ai une saisie sur salaire. Oui, on en est là”, déplore-t-elle. L’aide alimentaire apportée par l’association fondée par Coluche dépanne la mère de famille : “Grâce aux Restos du Coeur, je peux payer mes factures au lieu de tout mettre pour payer la bouffe”. Les 1300 euros de note de gaz de l’hiver dernier hantent Véronique. Sans compter toutes les autres dettes et factures à payer. Au total, Véronique estime devoir plus de 2 000 euros.

Mais le cauchemar de la maman solo ne s’arrête pas là. Il y a quelques semaines, Véronique a perdu son fils aîné. Au-delà de la terrible épreuve pour cette maman, Véronique doit faire face à de nouvelles difficultés : “Je dois payer 1500 euros pour l’enterrement de mon fils. Je me retrouve seule face à ça. Malgré ma situation, je suis obligée de donner cette somme pour qu'on l'enterre dignement”. 

Durant les 20 minutes de marche qui la séparent du centre de distribution des Restos du Coeur, Véronique reviendra, avec émotion, sur les accidents de la vie qui, aujourd'hui, l'obligent à frapper aux portes des Restos du Coeur. 

“Au début, j’avais honte"

Arrivée devant le bâtiment gris de l'association, Véronique retrouve les bénéficiaires qui se pressent à l’intérieur pour échapper à l’ardeur du soleil. Il n’est pas encore 13 heures et, déjà, c’est l’effervescence dans les locaux des Restos du Coeur. Dans les allées, des femmes surtout, quelques enfants et des personnes âgées. Tous peinent à joindre les deux bouts. Dans la file, deux femmes assises sur une chaise, accoudées à une béquille, attendent patiemment leur tour. Valentina et Liubov font partie des centaines de bénéficiaires qui se pressent pour assurer de quoi se nourrir pour la semaine. Elles ne parlent pas français. Elles sont Ukrainiennes. À l'aide d’une application de traduction automatique, elles m’expliquent ce qui les a poussées à franchir la porte du local de l'association pour la première fois il y a un an. “J’ai fui la guerre en Ukraine en mars 2022. Je suis venue rejoindre ma fille qui est traductrice, confie Liubov. Je vis chez un particulier qui m’héberge gratuitement. J’ai droit à 200 euros d’aide. Mais ça ne suffit pas. Je paie mon titre de transport, mon forfait internet mobile pour appeler mes proches restés en Ukraine, mes vêtements, etc… Avec seulement 200 euros par mois, c’est difficile”. Même chose pour Valentina, à la seule différence près que cette dernière vit dans un hôtel. Ce quotidien pèse sur le moral des deux Ukrainiennes : “Ma famille me manque. Je n’ai pas l'impression d’être chez moi. J’espère rentrer dans mon pays, un jour”. Un cri retentit : “Valentina !”. “Ah, c’est mon tour, je dois vous laisser”, chuchote-t-elle. À l'intérieur du centre de distribution, un léger brouhaha se fait entendre. Une centaine de personnes font des allées et venues, soit pour s'inscrire soit pour récupérer quelques denrées. 

Devant le stand de distribution de boîtes de conserve, Hermand fait le plein. Il est marié et ne travaille pas. La seule source de revenus provient de la pension de retraite de 1100 euros de sa femme. Hermand, 46 ans, est originaire du Congo. Il voudrait bien trouver un emploi mais il enchaîne les refus de demandes d’asile. “Je ne vais pas vous mentir, ça me fait du mal à chaque fois de venir ici. Imagine, tu es marié et tu n’amènes rien. Dans ma culture, c’est honteux. Au début, en venant ici, j’avais honte. Cela fait deux ans que j'attends d'être régularisé pour pouvoir commencer à travailler. Je demande juste qu'on m'accorde le droit de travailler. J'estime ne pas demander grand-chose”, se désole le jeune marié. “Bon, après je ne vais pas me plaindre, tant que venir ici me permet de rapporter quelque chose à la maison et de vivre correctement, ça me va”, se rassure Hermand. 

“S'ils n'étaient pas là, ce serait pire"

Adossé au comptoir du coin café du centre, Abdel a le regard perdu devant sa tasse. Casquette vissée sur la tête, l’émotion le gagne en me racontant son histoire : “Il y a un an, j’ai eu un accident en sortant de mon travail. Rien de grave, j’ai tout de même pu continuer à travailler. Mais mon état s’est aggravé et puis j’ai été licencié. Je n’ai pas réussi à retrouver du boulot à cause de ma santé. Petit à petit, je m'enfonçais dans la pauvreté. Je ne pouvais plus payer le loyer. J’ai été expulsé de chez moi. Maintenant, je vis dans un foyer. J’espère obtenir l’AAH (Aide aux Adultes Handicapés) et sortir de là “. Ce que confie Abdel, Séverine, bénévole, l’a entendu des centaines de fois.

“Des personnes sans domicile fixe, des personnes qui ont tout perdu du jour au lendemain, j’en ai beaucoup rencontrées. Ça fait mal de voir ça. C’est inhumain de vivre ça. Mais il y a aussi de belles histoires, des gens qui s’en sortent. Et ça, ça nous met du baume au cœur”.

Séverine

Bénévole aux Restos du Coeur

Fabrice fait partie de ces belles histoires. Vêtu d’une petite veste de costume, il embrasse les bénévoles de l’association. Il vient partager une bonne nouvelle. Il a trouvé un travail. Un emploi à temps partiel dans une association. Il gagne quelques centaines d’euros par mois, mais c’est “un bon début”, estime-t-il. Il y a un an, Fabrice dormait dans la rue. Il venait dans ce centre de distribution, de temps en temps, pour prendre un café et se réchauffer.  Il est venu remercier les bénévoles : “Sans eux, je n’aurai jamais remonté la pente. Les Restos du Coeur m'ont sauvé la vie. Je me suis retrouvé à la rue suite à un différend familial. Au début, j'étais venu pour prendre un café après petit à petit, en venant ici, j'ai retrouvé le moral. Ça m'a motivé à trouver un travail. J'ai trouvé ma deuxième famille”. Dans la douceur des embrassades et des retrouvailles, une colère se fait entendre. Fabien, un autre bénéficiaire, s'emporte au milieu de la discussion : “Vous voyez ces gens, ils ont été abandonnés. Ça me répugne. Les laisser dormir dans la rue, c’est dégueulasse ! On donne à des gens qui n'en ont pas besoin pendant qu’eux crèvent de faim. Même les Restos du Coeur ne sont pas aidés ! S’ils n’étaient pas là, ce serait pire. J’en veux au gouvernement”, lâche le sexagénaire. 

Moins de 500 euros pour vivre 

Un chariot de courses percute ma jambe. C’est celui de Jennyfer. Elle se confond en excuses. Elle confie être malvoyante. Dans son caddie, des paquets de gâteaux, du sucre, des yaourts. Au fur et à mesure qu'elle remplit son panier, elle dévoile ses comptes : “Je suis au RSA. Je suis à la recherche d’un emploi mais je n’arrive pas à faire reconnaître mon handicap visuel. Je suis bloquée parce que je ne peux pas faire n’importe quel travail. Je ne peux pas conduire par exemple”. La jeune femme de 36 ans rêve de trouver un travail en tant qu’aide maternelle dans une école. Avec un loyer élevé et les charges de la vie courante, autant dire que les 500 euros mensuels de Sylvie partent vite en fumée. 

Avec seulement le RSA, je n'ai pas grand-chose pour vivre. Aussitôt le loyer et les charges payés, il ne me reste plus rien.

Jennyfer

Bénéficiaire des Restos du Coeur

"Heureusement que je n’ai pas de voiture et que je ne peux pas conduire. L’essence aurait été la goutte de trop. Je me contente de ma BM double pied”, plaisante Sylvie. 

Au bout de la file, Daniel prend le temps de discuter avec les bénévoles. L'homme aux lunettes de soleil noires ne semble pas être pressé. Daniel connaît tout le monde. Pour cause, voilà déjà 7 ans qu'il vient chaque semaine. "Je touche 900 euros par mois d'allocation pour adultes handicapés. Ça ne suffit pas quand on a payé les factures. Surtout quand il faut, en plus, payer la nourriture qui est hors de prix. Je ne mange plus de bœuf ou de poisson. J'achète que du poulet, le moins cher possible. ll m'arrive de ne manger qu'une seule fois par jour. Heureusement qu'il y a les Restos du Coeur"

“La campagne d’hiver va être difficile”

Il est 15 heures passées et le centre ne désemplit pas. Sur les 1400 inscrits, près de 150 personnes sont venues ce jour-là. "Je vous aurai bien offert un café mais il n’y en a plus”, ironise Guy Pépin, responsable d’un des trois centres de distribution de Clermont-Ferrand. Cette simple plaisanterie reflète,  selon lui, ce que sera la prochaine campagne d’hiver : “On rognera sur beaucoup de choses pour économiser au maximum. Cet hiver, les bénéficiaires devront choisir entre l’huile et le lait par exemple. Ils ne pourront plus avoir les deux, comme c’est le cas aujourd’hui”

En fonction de la composition du ménage, les bénéficiaires ont droit à un certain nombre de points par stand. Selon Guy Pépin, le barème de points attribué baissera pour la prochaine campagne d’hiver. Ce n’est pas tout. Les Restos du cœur ont également annoncé ne pas augmenter le nombre d’inscriptions pour la distribution de cet hiver. L’association gardera son barème d’été, “20% inférieur à celui d’hiver”, selon le co-responsable du centre. Résultat : de potentiels bénéficiaires pourraient se retrouver sur le carreau. Un crève-cœur pour Guy Pépin : “Le nombre d’inscrits ne fait qu’augmenter chaque année. Entre les deux campagnes d’été, on a eu 30% de bénéficiaires en plus. Si on continue à encore accepter de nouvelles personnes, ça deviendra ingérable”. 

Il est presque 16 heures. Les placards des stands sont presque vides. Les bénévoles passent les derniers coups de balai. Un dernier visiteur fait son apparition. Rony avance timidement : "C’est là pour l’inscription ?”. Séverine lâche son balai pour l’accueillir. “Vous êtes notre 1417 ème inscrite”, lance la bénévole. “Et l’hiver n’a même pas encore commencé”, me chuchote-t-elle. Rony s’en va avec quelques denrées et une feuille d’inscription à la main. Le rideau se ferme. Il se relèvera demain. Il ne reste plus que 60 jours avant la prochaine campagne.

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