SANTE. Jeux en ligne et paris sportifs : « Les jeunes sont des cibles privilégiées »

Paris sportifs, jeux en ligne, poker…ce secteur bénéficie d’un réel engouement. L’année 2020 a été l’année de tous les records pour les opérateurs de jeux en ligne. Mais parfois les joueurs peuvent tomber dans la dépendance. Un addictologue nous alerte sur les dangers de ces jeux en ligne.

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« Grosse cote, gros respect, gros gain ». Vous avez sans doute déjà remarqué cette publicité pour une marque de paris sportifs mettant en scène des jeunes adultes. Elle illustre l’attrait des jeunes pour les jeux en ligne et autres paris sportifs. Mais cet intérêt peut parfois conduire à l’addiction.  Le Pr Georges Brousse, chef du service addictologie au CHU de Clermont-Ferrand et président de Addictions France Auvergne, en est le témoin : « On a de plus en plus de demandes pour des patients qui sont en difficulté avec les jeux de hasard et d’argent, des paris en ligne. Mais globalement, on peine à les voir. On sait qu’il y en a plus parce que, quand on interroge les patients, ils nous font état de difficultés vis-à-vis de cette conduite. On ne les voit pas encore totalement. Les personnes touchées par ce type de difficultés peinent, hésitent à consulter ou consultent tardivement. De plus, elles n’identifient pas forcément les endroits où elles peuvent être aidées. Enfin, il y a souvent des addictions associées, d’alcool ou d’autres substances : elles viennent pour ce type d’addiction et les professionnels de santé ont tendance à ne pas forcément les interroger sur leur conduite de consommation de paris en ligne ».

"Il n’y a aucun encadrement de la publicité"

L’année 2020 a été l’année de tous les records pour les opérateurs de jeux en ligne. L’addiction aux jeux en ligne et aux paris sportifs est plutôt un phénomène récent. Le Pr Georges Brousse rappelle : « La fin de la régulation date de 2010. On a une forte incitation aux jeux en ligne qu’on a vu apparaître autour du Mondial de foot et de l’Euro. Il y avait beaucoup de publicités sur les paris sportifs. On commence à voir les prémices de ces difficultés car ce sont des joueurs plus jeunes. On suit des joueurs pathologiques, avec des comorbidités anxieuses ou dépressives fréquentes. Le jeu en ligne touche peut-être plus les hommes et les plus jeunes. Mais ils viennent moins à la consultation. En matière de jeux en ligne, il n’y a aucun encadrement de la publicité, avec des risques d’incitation au jeu de nature à faire rentrer dans l’addiction un certain nombre de jeunes, et cela nous inquiète ».

Des jeunes plus vulnérables

Ainsi, les jeunes sont particulièrement ciblés par la publicité. Une enquête de février 2022 d’Enjeu-Mineurs menée par la Sedap, association de lutte contre les addictions, avec l’appui de l’Autorité nationale des jeux (ANJ), montre que sur un échantillon de 5 000 personnes, 34,8 % des personnes âgées de 15 à 17 ans ont joué au moins une fois à un jeu d’argent au cours des douze mois écoulés, contre 32,9 % en 2014. Chez les 15 à 17 ans, l’enquête estime à 4,5 % le nombre de joueurs à risque modéré et à 7,6 % celui de joueurs excessifs. Sachant que la France compte 2,5 millions de garçons et filles de cette classe d’âge, un peu plus de 300 000 adolescents font face à un jeu considéré comme problématique. Le Pr Georges Brousse indique pourquoi les jeunes sont particulièrement vulnérables : « Les jeux sont accessibles par les nouvelles technologies L’accès peut se faire 24 heures sur 24. On constate que les jeunes sont des cibles privilégiées, prêtes à jouer et à s’endetter. Les messages ciblent les jeunes qui sont en difficulté sociale, en promettant une valorisation sociale en cas de gain. Regarder un match est associé au jeu. S’il n’y a pas de jeu, il n’y a pas d’émotions. Chez les jeunes, la recherche de sensations est une dimension psychopathologique qui est très exprimée et elle s’amenuise avec le temps. Les jeunes ont tendance à plus rapidement jouer, s’endetter. S’ils sont en situation de précarité, ils vont avoir plus rapidement envie de tenter l’expérience du jeu. Dans les publicités, il y a ce rappel qu’on ne peut pas jouer en dessous de 18 ans mais cela peut être facilement contourné. On sait aussi que les cerveaux des jeunes, entre 10 et 20 ans, sont sensibles au développement de comportements addictifs ».

"Pour le jeu, c’est compliqué de voir chez quelqu’un qu’il a un problème d’addiction"

Le chef du service addictologie au CHU de Clermont-Ferrand poursuit : « En population générale, on dit que la prévalence du jeu pathologique représente 0,5 à 0,6 %. Il y a un effet pervers du jeu. Il y a toujours l’idée que les gens vont se refaire, donc ils ne sont pas malades. C’est insidieux : ils s’endettent et ce n’est pas forcément vu par l’entourage. Pour une addiction aux substances, il y a une lisibilité qui peut être plus rapide pour l’entourage. Pour le jeu, c’est compliqué de voir chez quelqu’un qu’il a un problème d’addiction. Il va s’endetter mais qui peut le voir ? Il va emprunter de l’argent aux autres et il va se dire qu’il va se refaire. Ce sont les joueurs eux-mêmes qui doivent s’autodiagnostiquer. Ces addictions représentent 5 à 10 % de nos patients ».

Etre attentif à certains signes

Certains signes peuvent indiquer une addiction : « On peut découvrir que les patients s’endettent. Un test peut permettre d’éveiller l’attention de l’entourage, c’est ce qu’on appelle le « lie bet ». Il y a deux questions : « Avez-vous déjà eu besoin de mentir pour cacher vos problèmes de jeu ? » et « Est-ce que vous avez toujours besoin de rejouer pour essayer de regagner ce que vous avez perdu ? ». Si une des deux réponses est positive, on peut essayer d’aller plus loin et se dire qu’il y a un problème avec le jeu. L’entourage peut aussi voir la préoccupation qu’a le jeune pour le jeu. Il peut inciter le jeune à essayer de regarder un match sans parier. S’il n’y arrive pas, c’est un signe qui peut traduire des difficultés avec le jeu. Si l’entourage pense que le jeune ment à propos de ses dépenses d’argent, c’est un élément qui doit amener à la discussion avec le jeune ».

Comment soigner son addiction

Le Pr Georges Brousse rappelle : « Avec les jeux de paris en ligne, paris sportifs, PMU ou poker, le joueur a l’impression qu’il peut avoir une certaine compétence qui peut l’aider à gagner plus. Mais, d’une façon générale, les joueurs qui pensent avoir cette compétence perdent beaucoup en général. Ils ont des biais cognitifs. Les publicitaires jouent aussi là-dessus ». Le médecin détaille les différents modes d’accompagnement : « Il faut faire le diagnostic et voir s’il y a des comorbidités addictives. Une pathologie psychiatrique peut aussi être associée, comme un trouble anxieux ou un trouble dépressif. La prise en charge est psychothérapique et socio-environnementale. On met en place des thérapies cognitives ou comportementales pour limiter l’accès au jeu. On détermine à l’avance ce qu’on fera ou pas à l’égard du pari. Les addictions sont des maladies où le contrôle du comportement est altéré. On peut ainsi limiter la carte bleue, ou la supprimer complètement. On peut faire soi-même du sport. Il y a d’autres stratégies, pour essayer de décrypter les biais cognitifs associés au jeu. On peut y associer des stratégies de relaxation, de sophrologie. Il y a aussi des stratégies médicamenteuses s’il y a un trouble associé. Quand les gens sont très endettés, on peut mettre en place des curatelles ».
En mai prochain, au CHU de Clermont-Ferrand, un hôpital de jour en addictologie va ouvrir. Une journée par semaine sera consacrée à la prise en charge des addictions comportementales dont le jeu pathologique.

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