TEMOIGNAGE. Réforme des retraites et carrières longues : "Je suis rentré chez mon premier patron, j'avais 16 ans"

Ils ne veulent pas passer toute leur vie au travail : ceux qui sont rentrés jeunes sur le marché de l’emploi sont également impactés par la réforme des retraites. Ces “carrières longues” devront, pour certains, cotiser plus longtemps et partir plus tard, alors que la santé et l’envie ne suivent pas toujours. C'est le cas de Jean-Marie, 56 ans, qui a commencé à travailler à l'âge de 16 ans.

Ils sont rentrés sur le marché du travail avant d’avoir 20 ans : parmi ceux qu’on appelle les “carrières longues”, beaucoup sont affectés par la réforme des retraites. Ils ne devraient pas avoir à cotiser jusqu’à 64 ans mais ils devront, pour certains, rester à leur poste pendant une année supplémentaire. Le système des carrières longues permet aujourd'hui à ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, de partir à la retraite à taux plein, 2 ou 4 ans avant l'âge légal. Ils devront avoir cotisé un nombre minimal de trimestres, notamment en début de carrière. Il concerne aujourd'hui près de 150 000 personnes chaque année soit près de 20 % des départs en retraite. Avec la réforme, ils devront, pour certains, cotiser jusqu'à 44 annuités, soit une de plus qu’avant la réforme.

Ils sont nombreux à avoir commencé leur carrière, à peine sortis de l’adolescence, par nécessité : “Je m'appelle Jean-Marie, j'habite dans le Puy-de-Dôme et j'aurais 56 ans en novembre. Je suis rentré chez mon premier patron, j'avais 16 ans. Le premier métier que j'ai fait, je fabriquais des machines pour éplucher les pommes de terre. On faisait la machine de A à Z, du moteur à la mécanique. Dans ce métier, ce qui m'a le plus marqué, c'est qu’on avait des gros cylindres à arrondir, de 12 à 15 kilos. Je peux vous jurer qu’à la fin de la journée, c’était très dur de tenir, parce qu’à cet âge, on n'est pas costaud. J'ai fait ça pendant un an. Une fois le contrat fini, je n’avais plus de travail. Après, ma maman travaillait dans une usine de fourrure dans la Creuse. J’ai carrément changé de métier, je suis rentré pour faire les manteaux de fourrure. On faisait les manteaux de vison. J'ai travaillé 4 ans là-bas. C'est un métier qui était aussi un peu physique, parce que dès le départ, on recevait la bête, le vison, on devait le découper, on mouillait la peau qu’on montait sur une grande table... On faisait tout à la main.” 

Les fins de journée étaient dures, les soirs étaient pénibles.

Jean-Marie, "carrière longue"

Jean-Marie travaille dans le Puy-de-Dôme. Il apprend le métier de fraiseur en CAP et, après quelques années, finit par décrocher un emploi dans sa branche : “J'ai trouvé du boulot à côté de Volvic où je suis resté 10 ans. J'étais fraiseur, on faisait les pièces usinées pour monter sur les chaînes de l’usine, tout l'entretien des machines... Il y avait des grosses pièces, qui faisaient 20 à 25 kilos. On n’avait rien pour les monter sur l'étal, on se mettait à 2 ou 3 et on les montait à bras. Là c'est pareil, les fins de journée étaient dures aussi, les soirs étaient pénibles.” Toujours dans son domaine, il change d’entreprise, cette fois pour y rester. Il travaille dans une aciérie puydomoise depuis 26 ans : “Je suis rentré en 1997, comme fraiseur. Je suis resté 10 ans à l'usinage. Je suis passé au laminoir, toujours en trois 8. Par exemple, quand on avait une barre brute de 300 millimètres de diamètre et que le client la voulait à 280, on enlevait la matière sur toute la longueur de la barre. Ce qui m'a marqué, c'est qu’on travaillait mieux dehors, il faisait moins froid que dans le laminoir. C’était un atelier qui n’était pas chauffé. J'y suis resté 8 ans. J'ai eu un problème de santé, donc la docteure de l'usine n'a plus voulu que je reste travailler au froid et là, ça fait 7 ans qu'ils m'ont trouvé un service chauffé. Maintenant je suis au laboratoire et toujours en trois 8.” 

Des horaires difficiles

Jean-Marie craint de perdre l’avantage de sa carrière longue avec la réforme, c'est pour cela qu'il a été manifester le 19 janvier : “Moi, j'espère pouvoir partir à 60 ans avec ma carrière longue. J'aurais pu partir à 58 ans parce qu'avant c'était 42 ans de versement, comme j'ai commencé à 16 ans, mais là, je me demande comment ça va faire.” Il est très inquiet, car la santé ne suit plus : “Après 26 ans de trois 8, c'est dur. C'est le poste du matin, qui est de 5 à 13 heures, qui est difficile. Pour moi, c'est très dur. Avec mes problèmes de santé, la nuit je dors très mal, donc quand le réveil sonne à 4 heure le matin, je n’y arrive pas. Je suis en train de voir avec mon RH pour essayer de passer en journée pour les 4 ou 5 années qui me restent. Je suis allé voir la médecine de l'usine il y a un mois, le médecin m’a dit : “Cela ne va pas être facile de vous trouver une place en journée”. Pardon ? Je fais comment ? Cela fait quand même 26 ans que je fais les trois 8 et j'ai 56 ans. Je lui ai dit que j’avais des problèmes de santé, elle m’a dit “Je comprends, on va essayer de voir ce qu'on peut faire mais ça ne va pas être facile.” C'est choquant, quand même, d'entendre des paroles comme ça.” 

"Je n’ai fait quasiment que des métiers physiques, j’ai été exposés à des produits chimiques"

En tant que technicien d’atelier, Jean-Marie n’est pas inquiet pour sa pension, qu’il pense raisonnable. Cependant, il craint que sa santé ne lui permette pas de profiter de sa retraite : “Arrivé à un stade, on a vraiment besoin d’être à la retraite parce qu'on voudrait quand même profiter un peu. On a bossé toute notre vie. Et moi, si jamais ça se décale à 62, 64 ans, c'est catastrophique. Autant m’enterrer directement dans l'entreprise. Il y a des choses qui ne vont plus.” Alors, la réforme, “pour moi, c'est non”. Il rappelle que, dans son parcours, sa santé a été mise à rude épreuve : “A 56 ans, devoir encore trimer quelques années, pourquoi ? Je n’ai fait quasiment que des métiers physiques, j’ai été exposés à des produits chimiques comme l'amiante, dans la fourrure on utilisait du trichlo (NDLR : le trichloréthylène était utilisé, entre autres, pour le détachage des textiles). C'est très mauvais pour la santé et j’ai respiré ces produits. En usinage, on utilisait des lubrifiants très mauvais pour la santé, aussi.” 

Jean-Marie ne souhaite pas travailler plus longtemps : “Je voudrais m'en aller au plus vite. Je voudrais essayer de profiter un peu de ma retraite quand même. Je ne sais pas ce que va me proposer l'entreprise. Si je suis en journée, peut-être que j'arriverai à faire 4, 5 ans de plus, mais en trois 8, je ne peux plus, c'est trop dur physiquement.” 

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