Alors que le gouvernement souhaite le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, pour Hervé, la question ne se pose pas. A Clermont-Ferrand, ce senior de 61 ans est au chômage depuis 6 ans. Il se bat pour retrouver un emploi. C’est pour lui une question de « dignité ».
Mardi 10 janvier, Elisabeth Borne, Première Ministre, a dévoilé la très attendue réforme des retraites. Parmi les principaux points, l’âge de départ à la retraite va passer progressivement de 62 à 64 ans. Mais sur le marché du travail, les seniors sont nombreux à éprouver des difficultés à garder leur emploi ou à en retrouver un. Au sens de l’INSEE, ce terme de senior désigne les 50 ans et plus. A Clermont-Ferrand, Hervé Jouhanneaux est un senior au chômage depuis 6 ans. Agé de 61 ans, il est à la recherche active d’un emploi : « J’ai à la base une formation dans la gestion des entreprises et je cherche du travail. Partout où on m’accepte, je suis candidat ». Hervé a connu une carrière bien remplie mais tout a changé il y a quelques années : « Je suis au chômage depuis 6 ans. J’ai changé de région pour m’occuper d’une personne malade dans ma famille. J’ai tout abandonné et je n’ai pas trouvé de travail à Clermont-Ferrand. Je vivais avant en région parisienne. A l’époque, j’occupais un poste de directeur administratif d’un centre d’accueil de jour depuis 1999. Auparavant j’ai fait du contrôle de gestion pour France Loisirs, j’ai travaillé dans la sécurité incendie comme prestataire dans un établissement bancaire et j’ai fait de la promotion des ventes dans la fabrication de bijoux dans des produits de luxe ». Aujourd’hui, Hervé multiplie les efforts pour trouver un emploi : « Je consulte les annonces sur les sites Internet, sur Pôle Emploi, les entreprises d’intérim. Partout où je peux être candidat, j’envoie des CV, même pour des missions très courtes ».
"500 candidatures envoyées en deux ans et zéro réponse"
Trop souvent, les entreprises auprès desquelles il postule ne daignent pas répondre. Hervé est venu chercher du soutien auprès de Chôm’actif, une association clermontoise qui accompagne les demandeurs d’emploi : « Je suis venu à Chôm’actif parce que j’ai fait le point sur 500 candidatures envoyées en deux ans et 0 réponse reçue. Je me suis alors dit que j’allais demander de l’aide ». De l’aide, il en a trouvé au sein de cette association. Hervé raconte : « Il y a une conseillère qui m’aide à modifier mon CV, à ne plus ramer tout seul. C’est déjà un encouragement. Il y aussi l’aspect numérique, avec la mise à disposition de moyens informatiques, et le savoir-faire des animateurs qui aident à s’y retrouver. Même si j’étais très bon il y a plusieurs années, les nouvelles technologies ont beaucoup changé et il faut sans cesse se remettre à jour. De plus, on n’est plus isolé ». Hervé avance une explication aux refus qu’il essuie : « On peut l’expliquer par le contexte économique, par l’inconvénient d’avoir plus de 50 ans. C’est vraiment un frein dans cette période ». Célibataire, Hervé perçoit le RSA. De son propre aveu, il s’en sort « acrobatiquement ».
"Je voudrais partir dignement"
Pour lui, trouver un emploi est essentiel : « Je voudrais avoir une fin de carrière un petit peu positive. Je voudrais partir en étant utile aux autres. Je voudrais partir dignement. Je postule car j’ai envie de terminer proprement, l’envie de me battre encore un peu, l’envie d’avancer dans mes projets ». Le sexagénaire candidate sur Clermont-Ferrand et les environs, sans oublier les villes accessibles en train, comme Vichy ou Issoire. Depuis qu’il a poussé la porte de Chôm’actif en mars dernier, son horizon s’est éclairci : « Depuis que j’ai adhéré, j’ai pu avoir des entretiens, j’ai eu des réponses négatives un peu plus souvent. Fin janvier, j’ai un entretien pour un emploi d’animateur radio. Dans les réponses reçues, on noie souvent le poisson en disant que je ne corresponds pas tout à fait au profil, ou que, malgré mes qualités, ma candidature n’a pas été retenue. Ce sont des fourre-tout. La vraie raison n’est pas exprimée ».
Changer les mentalités
Selon lui, les seniors doivent batailler pour trouver un emploi : « C’est théoriquement possible de travailler quand on est senior. Mais il y a l’obstacle de l’âge en entreprise. Il y a des personnes qui ont des freins psychologiques au sujet des plus de 50 ans. Les textes de loi ne peuvent pas modifier ces freins car c’est un changement de société à faire. Les statistiques disent que plus de 50% des seniors qui cherchent un emploi n’en trouvent pas. Certains abandonnent complètement. Personne n’évoque le découragement et l’isolement ressentis. On n’est pas foutus quand on a plus de 50 ans. L’expérience passée peut servir à d’autres ». Cette expérience au service des plus jeunes, c’est aussi l’argument avancé par Jean-Louis M’Pelingo, directeur de Chôm’actif. Il explique : « Un senior peut apporter la transmission des savoirs et des compétences à des jeunes, puis partir à la retraite tranquillement. On est dans une société d’acharnement, alors que la transmission est importante voire indispensable pour qu’une société se perpétue ».
"Nous sommes dans une société stigmatisante, discriminatrice"
Il dénonce les limites de notre société : « Nous sommes dans une société stigmatisante, discriminatrice. Contrairement à d’autres pays anglo-saxons où on considère les seniors comme une richesse, ici en France, ce n’est que dans la médecine, dans le médico-social qu’on reconnaît les seniors à travers l’indice glissement vieillesse technicité (GVT). Mais en dehors de ces secteurs, les seniors sont bons pour la poubelle. Cela nous horripile. On trouve cela lamentable d’avoir une société qui fonctionne comme cela. On essaie de faire ce qu’on peut, dire aux seniors qu’ils peuvent y arriver. Il faut qu’ils y croient, mais si le marché de l’emploi les rejette, nous sommes compatissants mais cela ne suffit pas ». Jean-Louis M’Pelingo rappelle : « Le cas de monsieur Jouhanneaux n’est pas isolé. Il peut continuer à travailler, à produire, à accompagner mais il est au bord de la route. Ce n’est pas normal et même scandaleux ».
Au troisième trimestre 2021, les 55-64 ans représentaient 16,8% de la population active, selon les données de la Direction générale du Trésor. Selon un rapport de la Dares, publié en avril 2022, en France, le taux d’emploi des 55-64 ans se situe à 56%. Une moyenne qui cache de profondes disparités, car ce chiffre fond après 60 ans : il passe de 75,1% pour les 55-59 ans à 35,5% pour les 60-64 ans. Si le taux d’emploi des seniors en France augmente en continu d’année en année, il demeure toutefois dans le bas du classement des pays de l’Union européenne : en 2020, il était de 53,8% contre une moyenne de 59,6% dans l’UE à 27. Le taux de chômage augmente au fur et à mesure que les seniors prennent de l’âge : de 5,2% chez les 50-54 ans, il passe à 6% chez les 55-60 ans, et à 6,9% pour les 60-64 ans.