Rescapée d’une tentative de fémicide qui aurait pu lui coûter la vie le 22 février 2021, à Clermont-Ferrand, Isabelle. veut aujourd’hui que son histoire permette de mieux prévenir ce type de violences. Témoignage.
Elle cherche encore des réponses. Quatre mois après avoir été victime d’une tentative de féminicide, Isabelle cherche toujours à comprendre comment son ex-mari a pu lui tirer dessus, le lundi 22 février devant son domicile à Clermont-Ferrand, alors que dans les semaines précédentes, se sentant en grand danger, elle avait alerté les services de police et même déposé plainte. Des réponses qu’elle est venue chercher dans le bureau du procureur de la République de Clermont-Ferrand, qui l'a reçue ce merdredi 16 juin.
Vous avez demandé à avoir un entretien avec le procureur de la République. Qu’aviez-vous à lui dire ?
J’avais besoin de lui poser des questions sur mon dossier, sur la procédure et d’entendre une réponse de l’institution sur mon dossier, sur ce féminicide. Il a été très franc et j’ai obtenu des réponses. Pas toujours les réponses que je souhaitais mais j’ai obtenu des réponses. Je pense que cet accueil était bien pour moi, pour mon parcours personnel. Après il a entendu aussi le besoin que j’avais d’ouvrir le dossier, d’ouvrir les perspectives … je pense qu’il a entendu les choses, mais après, il faut voir ce qui sera mis place pour essayer d’agir plus dans la prévention et moins dans la réaction après des événements…
Vous déclariez récemment dans la presse que vous étiez une survivante et qu’aujourd’hui vous vouliez vous battre. Contre quoi voulez-vous vous battre ?
Le fait de survivre à un évènement aussi violent, le fait d’être atteinte dans ma féminité et d’avoir été la victime d’une tentative de meurtre - j’ai du mal à le dire encore aujourd’hui - c’est une violence contre ma personne, contre ma famille, contre mon entourage qui est carrément indescriptible. On ne le perçoit pas tout de suite. On le perçoit au fur et à mesure des semaines, où on se reconstruit, où on fait la part des choses, où on essaye de revoir les choses, d’y réfléchir, de réfléchir au parcours accompli, à toutes les difficultés rencontrées au fur et à mesure de ce chemin… Et c’est tellement difficile que je me dis ce n’est pas possible de juste rester sur une histoire personnelle et de ne pas essayer de faire partager cette expérience, ou au moins d’alerter sur des choses qui sont certainement communes à de nombreux cas. Donc cette démarche, c’est un peu transformer cette violence qui m’est arrivée en quelque chose de positif pour en tirer des leçons et se poser les bonnes questions afin que les choses bougent et changent. Qu’on arrête de regarder ces situations comme de simples bataille familiales. Ce n’est pas juste ça. Il y a tellement de choses en commun dans beaucoup de cas, qu’à mon avis, j’ai quelque chose à apporter dans ce sens-là, apporter une ouverture d'esprit, peut-être même au niveau de l’éducation. Je pense que c’est un chantier à explorer.
Durant les cinq semaines qui se sont écoulées entre votre séparation et le drame, vous vous sentiez en danger et vous aviez d’ailleurs alerté la police et la justice. Avec le recul, que ressentez-vous aujourd’hui ?
Ce que je ressens, c’est d’avoir traversé un chemin seule, même si j’avais posé des jalons par le biais des plaintes et d'une audience auprès du juge des affaires familiales. C’est un cheminement personnel qui est difficile et on se sent seule. On dépose plainte, on pose des jalons, mais quelque part il n’y a pas de réponse dans du préventif, pas de réponse dans l’humain. Je pense qu’on ne travaille pas suffisamment dans la prévention, dans l’humain, dans l’accompagnement, ce qui pourrait peut-être diluer des situations, peut-être même les apaiser.
Selon vous, ce drame aurait-il pu être évité ?
Concrètement, dans mon cas, je pense que l’issue ne pouvait pas être prévue. Par contre, la police et la justice auraient pu mettre des bâtons dans les roues de mon ex-mari. Et ces bâtons dans les roues n’ont pas été mis au bon moment, peut-être parce que c’était une histoire très rapide dans le temps. Sur l’issue je ne sais pas, personne ne peut le dire, mais en tous cas, j’ai eu le sentiment d’être seule et que les choses ont été dites mais peut-être pas entendues ou peut-être pas prises en compte tout de suite… Aujourd’hui, c’est difficile de dire "oui j’ai été en sécurité"… Personne n’est venu à mon domicile pour vérifier que ça allait ou voir si j’étais bien en sécurité… Je n’ai pas eu ces retours en tous cas.
Suite au féminicide de Chahinez à Mérignac, une jeune femme abattue puis brûlée vive par son mari en pleine rue, le gouvernement vient de proposer six nouvelles mesures en matière de lutte contre les violences conjugales. Qu’en pensez-vous ?
Déjà je me tiens assez à distance de ces nouvelles parce que c’est toujours un renvoi à mon histoire personnelle et que j’ai encore un long chemin de reconstruction devant moi. Aujourd'hui ce que j’en entends, c’est une réponse matérielle, comme le bracelet électronique ou le téléphone grave danger. Mais je pense que si on s’appesantit uniquement sur ces outils de prévention, et bien on fait fausse route. Ça reste des outils, on peut les utiliser, ils peuvent venir en aide, mais ce n’est pas le chemin qu’il faut privilégier. Il faut travailler sur du préventif. Après en France, je ne sais pas si on travaille vraiment sur du préventif ou de l’accompagnement.
Comment pensez-vous qu’il faudrait aborder ces questions ?
Je peux vous faire un parallèle. Dans une cours de récréation vous avez deux élèves qui se disputent. Je peux choisir, en tant que prof des écoles, de dire « bon c’est pas très grave, allez, retournez jouer ça va aller mieux »… donc intervenir de manière légère. Ou bien je peux dire à l’un d’eux « ben voilà, je t’écoute, toi. Qu’est-ce que tu as à dire ? » et le laisser parler puis faire la même chose pour l’autre. Ainsi je pourrai essayer de trouver un consensus qui irait aux deux, quelque chose sur lequel ils pourraient s’entendre… essayer par une médiation de convenir d’un comportement futur, pour éviter que le conflit se renouvelle. Je ne dis pas que l’aspect préventif marche à tous les coups, mais au moins, ça permet de poser une ambiance de confiance qui fait qu’après les enfants sont prêts à revenir pour parler de leurs problèmes. Aujourd’hui, ce genre d’accompagnement n’est pas fait par la police, mais il est proposé par des associations d’aide aux victimes comme Avec 63. C’est peut être un biais qui pourrait permettre de croiser les regards…
Aujourd’hui comment voyez-vous l’avenir?
Les mois à venir je n’en sais rien. En fait, je vis au jour le jour. Il y a des jours biens, il y a des jours moins bien. Les jours bien, quand on a eu la chance de survivre à un évènement comme ça, on s’apesantit sur les petites joies de la vie, on se dit "tiens aujourd’hui il fait beau"... toutes ces choses minimes qui vous donnent du baume au cœur et qui vous font dire “ben voila ça vaut le coup de continuer". Je suis d’un naturel optimiste, donc je sais que je ferai tout pour aller mais bon... il y a encore du chemin.