Entre les Combrailles et la région de Cadiz, les passerelles sont rares...Pourtant le chanteur auvergnat Paco el Lobo, invité d’honneur du 54ème festival de Buleria de Jerez, a touché au cœur les aficionados les plus exigeants. Nous l’avons accompagné lors son voyage au pays du flamenco !
Nuit andalouse. Séville 28 degrés, 20 août. Le taxi file en direction de Jerez de la Frontera, l’air tourbillonne à la fenêtre et seul le silence rafraichit l’atmosphère. « Vous êtes venu en vacances ? » avance le chauffeur ? Non ! J’arrive de Clermont-Ferrand simplement pour rendre compte d’une soirée spéciale du 54éme festival de Buleria.». « Alors si vous aimez le flamenco, écoutez ça ! » Le silence est rompu par une solea de Alcala d’Antonio Mairena , solea à jamais gravée sur microsillons râpeux en 1977 et recrachée à travers les âges par le miracle du MP3 … La voix puissante du maestro chante pour les gitans de Triana. Sur cette autoroute que bordent des champs de fruits et d’oliviers se déroule le dictionnaire des villes historiques du flamenco : Huelva, Utrera, Malaga, Cadiz, Cordoba et bien sûr Jerez… Arrivée de nuit. Surprise : à l’entrée de Jerez de la Frontera, trône un bibendum géant ! L’Auvergne et l’Andalousie, une sororité mal connue ? Le circuit automobile doit y être pour quelque chose ! Mais l’important est ailleurs… Jerez, comme Clermont Ferrand en 2028, ambitionne de devenir capitale européenne de la culture en 2031.
J’ai tout de suite pensé à Paco El Lobo
La ville, organisatrice du Calo Flamenco de l’été, a donc confié à Paco de la Rosa, directeur artistique et universitaire, la responsabilité d’organiser la soirée internationale de la fiesta de la buleria. « J’ai tout de suite pensé à Paco El Lobo, raconte Paco de la Rosa, il est, à lui seul, un trait d’union entre Jerez et Paris. Depuis 50 ans il chante partout dans le monde mais il n’avait pas encore été invité, là où il a débuté, dans le quartier de San Miguel ! » Dans un autre siècle, précisément en 1973, Paco El Lobo a en effet posé son baluchon à Jerez. Il est un jeune homme en quête du duende… Les flamencos sont alors considérés comme de simples chanteurs de rue, alternant place pour touristes, peña pour aficionados et trouvant refuge dans des bistrots comme le « Bar Arco de Santiago » qui délimite l’entrée du quartier gitan éponyme. Paco el Lobo y fait ses gammes flamencas et y lie une amitié indéfectible avec le jeune guitariste Moraito Chico. Amitié créative qui pendant des années fait grandir le cante du jeune gitan français.
Etre invité à Jerez, c’est un aboutissement
Certains rendez-vous ne se manquent pas. Lorsque Paco de la Rosa lance l’invitation, nous sommes en 2020, Paco El Lobo répond immédiatement présent… « Etre invité à Jerez, c’est un aboutissement. C’est un peu comme si j’avais travaillé mon art pendant des décennies pour simplement un jour, être là. Dans ces jardins de la Atalaya, à côté des quartiers San Miguel et Santiago, là où s’est inventé le flamenco. Là où les familles gitanes d’aujourd’hui perpétuent les légendes… » Lors d’une ballade en ville en compagnie de sa fille Churri, les souvenirs de Paco El Lobo jaillissent avec autant de précision que de frivolité, l’art du sourire en mode touriste ! Finie la bohème des années 70-80. A Jerez, les flamencos ont désormais des statues : ici la danseuse Lola Flores, par-là les cantaors Antonio Chacon ou Terremoto… Puis le chanteur des Combrailles va seul rendre visite à l’épouse et à la mère de son ami guitariste Moraito Chico disparu en 2013. Délicatesse des gens bien élevés.
« Avec la crise du Covid, cela fait deux ans que je pense à ce concert poursuit Paco el Lobo, j’ai choisi trois styles incontournables, la solea, la caracoles et la buleria. J’ai écrit des coplas qui disent mon amour du flamenco et des gens d’ici. Et un hommage particulier à Moraito… » Nuit du concert, vendredi 20 août. Après une première partie ou Matéo Solea a rappelé, par son chant puissant, qu’à Jerez, l’âme de Terremoto plane toujours, c’est au tour de Paco el Lobo d’entrer en scène. Il est accompagné par José Galvez, « une guitare » d’équilibriste et de sons bien envoyés…. Instant suspendu. La voix est, comme toujours, sur un fil… La poésie présente comme rarement… Et le compas de la philharmonie de palmas de Jerez est à faire bouger les morts…Dans le public, des aficionados venus de toute l’Europe et des membres de la famille Chaplin qui tournent un documentaire sur les origines gitanes du génial Charlie. L’émotion partagée n’épargne personne. Après trente minutes d’un chant délicat et rageur, Paco el Lobo a conquis Jerez. Ses amis musiciens le savaient capable du meilleur, il a aussi ajouté de la tendresse à cet art de la rupture qu’est le flamenco.
Voilà c’est fait ! Et bien fait !
En troisième partie, la voix de Tia Juana la del Pipa, fait trembler la peau. Accompagnée par le talentueux Manuel Valencia, elle incarne l’histoire de Jerez. Canal historique. Sa mère étant une légende de la danse, immense danseuse de poids et de grâce ! « Voilà c’est fait ! Et bien fait !» Paco de la Rosa, directeur artistique de la soirée, peut être fier de son choix. En ouvrant le festival aux artistes de la diaspora flamenca, il a offert à Jerez une vitrine internationale et ouverte aux influences. Il annonce à Paco el Lobo qu’il sera désormais invité d’honneur du festival ! En coulisse, Paco el Lobo sourit, remercie, plaisante et observe… Peu à peu, il revient de l’ailleurs où il a fait voyager son monde. Il est trois heures du matin, enfin la nuit andalouse souffle un air frais. Paco El Lobo marche au bras de sa fille Churri. Il n’est plus un loup pour personne mais un ange qui va tenter de trouver le sommeil après un orage d’étoiles.
Vous pouvez revivre ce concert en intégralité grâce à la vidéo ci-dessous.