C’est lors de fouilles archéologiques à Aurillac que des sarcophages en bois du Xe siècle ont été découverts en 2013. Se posait alors la question de la conservation. Un défi qu’ont relevé des lycéens du Puy-de-Dôme, spécialisés en chaudronnerie.
C’est un projet exceptionnel sur lequel les élèves du lycée Henri Sainte-Claire Deville d’Issoire, dans le Puy-de-Dôme, ont planché. Tout a commencé par une fouille d’archéologie préventive menée à Aurillac entre 2013 et 2015, au sud de l’abbatiale Saint-Géraud. Les vestiges de la première abbaye d’Aurillac ont été mis au jour. Dans le cimetière le plus ancien, du VIIIe – IXe siècle, certains défunts étaient inhumés dans des sarcophages en bois monoxyles. Il s’agit de troncs de chêne ou de hêtre fendus puis évidés pour recevoir le défunt. Ce type de sarcophage était déjà connu, mais très rare, car le bois se conserve mal. Elise Nectoux, conservatrice du patrimoine à la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), souligne : « Cette découverte était hors normes. Les vestiges qu’on va conserver et immerger représentent une collection de bois gorgés d’eau, notamment de sarcophages. Les conditions de conservation sont rarement réunies pour que ces objets se conservent. Le fait d’en avoir toute une série est très rare. On pourra étudier la manière de les faire, la typologie, la mode funéraire de cette époque. D’habitude on en a un ou deux morceaux, et là, on en a quinze complets ». A Aurillac, des conditions de conservation exceptionnelle (le cimetière baignait dans l’eau, depuis le IXe siècle…) ont permis de retrouver une quinzaine de sarcophages. La DRAC Auvergne-Rhône-Alpes s’est alors interrogée sur le moyen de conserver ces vestiges uniques. Elise Nectoux poursuit : « La conservation de ces vestiges pose des difficultés. Habituellement, on les conserve en piscine. Ils ont été conservés jusqu’à nous car ils étaient dans la nappe phréatique. On va reproduire un peu le même genre de procédé en les mettant dans l’eau, dans une vase argileuse propice à la conservation à long terme, à Issoire. L’étang que l’on a choisi est la propriété de la communauté de communes de la ville ».
Un lycée approché
David Guy, enseignant au lycée Henri Sainte-Claire Deville d’Issoire, raconte comment le projet a démarré, il y a 3 ans : « La conservatrice du patrimoine de la DRAC est une plongeuse comme moi. C’est lors d’une sortie de plongée que l’on a discuté du problème. Elle avait le projet de conservation de sarcophages. On en a discuté et il a été convenu que l’on fasse des gabions, c’est-à-dire des cages où l’on va mettre les sarcophages. J’ai emmené le projet au lycée ».
"Si on les sort de ce milieu et qu’on les place à l’air libre, ils se désagrègent"
Raphaël Lapayre, enseignant lui aussi, définit les conditions spécifiques de conservation : « Ce sont des sarcophages en bois, taillés d’une pièce dans les troncs, qui datent du Xe siècle et qui ont été découvert à Aurillac. Ils étaient dans un environnement très humide. Si on les sort de ce milieu et qu’on les place à l’air libre, ils se désagrègent. La conservation se faisait à Montpellier, dans des piscines gonflables. Le but était de les rapatrier dans la région et de pouvoir les immerger dans un lac. A proximité du lycée, il y a des étangs et des retenues d’eau. Il a été choisi d’immerger ces sarcophages dans ces étangs-là ».
Des prototypes de gabion
Jean Guerrero, enseignant au lycée, explique comme le projet a pris forme : « Le projet a démarré il y a 3 ans. On a proposé à la DRAC un prototype de gabion, en étude de conception, en 3D. On leur a fait une proposition et ils ont été conquis. Au départ, on ne s’était pas positionné pour les fabriquer car cela prend du temps. La DRAC a fait des appels d’offres auprès des entreprises. Après réflexion, le lycée a quand même fait une proposition et nous avons été retenus. On a alors lancé l’étude sur différents niveaux de classes, ce qui a rendu possible la production ». Elise Nectoux, conservatrice du patrimoine à la DRAC, ajoute : « Il y a avait le défi de trouver un endroit pour assurer la conservation et permettre le suivi de la collection. On conserve les objets pour qu’ils puissent être réétudiés plus tard. Il y a deux exemplaires de sarcophages parfaitement conservés qui sont restaurés et qui seront présentés au public, au musée d’Aurillac, à partir de l’année prochaine. Tout le reste de la collection est conservé pour être étudié. Le premier défi technique était de trouver une solution technique pour la conservation à long terme. Le deuxième défi était de faire des châssis pour le transport de la collection car les bois sont fragiles, pour l’immersion, et ensuite les ressortir de l’eau »
Un cahier des charges précis
Le projet a pris du retard avec le COVID mais a réussi à prendre forme. David Guy poursuit : « Les sarcophages étaient dans un milieu humide. On a convenu qu’ils soient immergés dans de l’eau, à une certaine profondeur pour éviter les variations de températures et la luminosité. Il fallait un milieu vaseux pour préserver un milieu privé d’oxygène. Les sarcophages seront plongés à une dizaine de mètres. Il ne fallait pas non plus de canotage sur le plan d’eau pour éviter l’oxygénation de l’eau ». Les élèves de BTS ont planché sur le projet, sur la partie conception. Ensuite, sur la réalisation, les professeurs ont fait travailler les BTS Construction et Réalisation en Chaudronnerie Industrielle, les BAC Pro et des élèves du GRETA, en formation professionnelle. Pas moins de 14 gabions ont dû être réalisés, des structures de 2,50 m de long par 0,90 m de large. David Guy insiste sur le côté hors normes du projet : « C’est le plus gros projet de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes. Ils n’ont jamais eu un projet d’une si grande ampleur, sur le plan financier, logistique, et de la conservation. On n’a pas maîtrisé le projet de A à Z, mais pour notre partie, cela représente plus de 20 000 euros ».
De nombreuses contraintes
Le cahier des charges était très précis. Des prouesses techniques que les élèves, une cinquantaine en tout, ont su réaliser. Jean Guerrero insiste: « Le plus gros défi était pour la partie conception car il y avait un cahier des charges qu’on a fixé, en tant que plongeur. Il y avait des contraintes de manipulation des objets sous l’eau et des contraintes de transport. Il fallait rapatrier les sarcophages de Montpellier et avoir des conditions de stockage pour qu’on puisse, de temps en temps, faire une inspection et une étude. Il fallait aussi que cela soit pérenne dans le temps. On a travaillé l’inox, qui n’est pas un matériau très courant dans les établissements car il coûte cher. Il fallait aussi des systèmes d’ouverture et de fermeture qui soient simples à manipuler car on travaille dans un milieu avec aucune visibilité ».
Une barge construite
Le projet devait aussi assurer la manipulation des plongeurs sous l’eau. Après 3 ans de travail, la fin du projet est bientôt proche. Jean Guerrero indique : « Le projet fabrication touche à sa fin. La suite du projet est qu’il fallait construire une espèce de barge pour amener les gabions sur l’eau et les faire descendre à l’endroit prévu. J’ai relancé un deuxième sujet pour les élèves de BTS. Les sarcophages seront immergés la semaine prochaine ».
Le début de l’immersion est prévu mardi 30 novembre, à Issoire. Pour ce projet exceptionnel, les élèves étaient très motivés. Jean Guerrero conclut : « Quel que soit le niveau, les élèves étaient tous conquis et ravis de travailler sur un projet qui sort de l’ordinaire ». Elise Nectoux, conservatrice du patrimoine à la DRAC, se félicite aussi de la réussite du projet : « Les élèves se sont bien pris au jeu et c’est un très beau partenariat. Ils ont une connaissance technique des matériaux, de la conception de produits sur mesure. Il y avait des plongeurs dans l’équipe, avec une connaissance du milieu aquatique donc ils ont pu d’entrée de jeu devancer toutes les questions qui allaient se poser. C’était une chance d’avoir en face de nous des gens qui nous comprennent ». Une section sportive de plongée a même été créée au sein du lycée, pour pouvoir lier les métiers de la chaudronnerie avec ceux de la marine. Un débouché supplémentaire possible pour des élèves qui ont travaillé sur ce projet qui sort des sentiers battus.