TEMOIGNAGE. Guerre en Ukraine : ils racontent leur retour en France « pour rester en vie »

Expatrié depuis cinq ans, Joël a quitté l’Ukraine avec sa femme Ludmila pour échapper à la guerre. Il est arrivé dans la nuit de jeudi à vendredi 4 mars dans un village du Puy-de-Dôme, chez sa sœur. Il raconte « l’enfer » de leur périple.

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Les traits tirés et la voix pleine d’émotion, Joël Domme a le sentiment d’avoir échappé au pire. Ce retraité vivait en Ukraine depuis 2017. Il est marié à Ludmila Ter-Gukasova depuis 2011. Il menait une vie paisible à Mykolaïv, près de Kherson, dans le sud du pays, jusqu’à ce que la guerre éclate.


La progression des troupes russes a tout bouleversé. Joël raconte : « On était à Mykolaïv. On pensait que tout irait bien. Puis finalement, avec les descentes aux abris et le fait de ne pas dormir la nuit ni le jour, on a pris la décision le 27 février, après 3 jours dans cette situation, de tout mettre dans les valises et de partir le plus vite possible, en direction  de la Pologne. On est partis à 10 heures du matin et on est arrivés le lendemain vers 6 heures, à la frontière ».

" Le plus dur est d’avoir laissé dernière nous le fils de mon épouse, avec sa belle-fille"

Joël et sa femme sont arrivés à Jumeaux, dans le Puy-de-Dôme, dans la nuit de jeudi à vendredi 4 mars. C’est la sœur de Joël qui les a accueillis. Les yeux remplis de larmes, il vit douloureusement le fait d'avoir dû laisser le fils de sa femme : « Sur la route, il y avait beaucoup de checkpoints, de contrôles par l’armée, par des civils parfois armés de fusils de chasse. Ils vont se défendre jusqu’au bout. Le voyage a été très éprouvant et fatigant nerveusement. Le plus dur est d’avoir laissé dernière nous le fils de mon épouse, avec sa belle-fille. C’est très dur. On espérait pouvoir passer la frontière avec eux mais on nous a dit que c’était impossible. Il a 40 ans donc il est mobilisable. On ne sait pas si on le reverra. J’espère. C’est notre famille ».

"On a tout laissé là-bas"

Quitter l’Ukraine avec son épouse a été un vrai déchirement. Un sentiment de culpabilité l’envahit : « On est soulagés d’être ici mais notre vie est en Ukraine. On a nos amis, nos habitudes. Avant la guerre, notre passe-temps était la pêche, la cueillette de champignons. Cela va nous manquer. On a tout laissé là-bas. Est-ce qu’on va retrouver notre maison ? J’espère que oui. On est partis d’Ukraine avec le strict minimum. On a mis ce qu’on pouvait dans les valises. On est tristes d’avoir laissé les amis. On aurait aimé les prendre avec nous mais on ne pouvait pas. C’était difficile de partir. On est rentrés en France pour rester en vie ».

Un long périple

Joël prend alors la main de sa femme et la serre fort. Il évoque le long voyage qu’ils ont effectué ensemble : « Nous sommes partis de Mykolaïv en voiture avec son fils, en pensant qu’il pourrait partir. On est allés à une première frontière et ils ont refusé de le laisser passer. Malgré mon passeport français, je devais prendre la file des réfugiés et il y avait 4 jours d’attente. La nuit il faisait jusqu’à -10 degrés. La journée, il faisait -3 degrés. J’ai dit à mon épouse que je ne pouvais pas attendre, que j’allais mourir de froid. On a dit qu’on rentrait à Mikolaïv. Arrivés à Lviv, on s’est dit qu’il fallait repasser la frontière le lendemain. Le lendemain, on a voulu partir mais la voiture n’a pas démarré : quand on a mis de l’essence, ils ont coupé avec de l’eau et tout a gelé pendant la nuit. Un contact nous a conduits en voiture à 80 km de là. On lui a payé le plein d’essence et on lui a donné de l’argent. Puis on a pris un minibus. Pour passer la frontière, il y avait 17 kilomètres de file de voitures. Les gens attendent dans les voitures. C’est très long. On a eu de la chance car on a pu prendre un minibus et doubler la file. On n’a pas eu besoin de marcher. On a pu passer à la frontière près de la Biélorussie ».

"C’est très usant nerveusement, il va falloir longtemps pour que ça passe"

Avec des trémolos dans la voix, le retraité se souvient : « Ce voyage, ça a été l’enfer. Il y a du stress, de la fatigue, de l’émotion. On a fait 3 500 km. Heureusement que les transports étaient gratuits car je ne sais pas où l’on serait. Pour le voyage de Varsovie à Berlin, on avait un siège pour deux. C’est très usant nerveusement, il va falloir longtemps pour que ça passe ». Le couple franco-ukrainien tente de garder le contact avec la famille restée sur place mais les nouvelles ne sont pas rassurantes. Ce vendredi matin, un appel de l’oncle de la femme de Joël leur apprend que les parachutistes russes sont aux portes de Mykolaïv. Résignés, Joël et sa femme ne savent pas ce que l’avenir leur réserve. A partir de ce soir, ils seront hébergés dans un logement fourni par la mairie.

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