Finies les heures de bureau devant un clavier, pendus au téléphone. Fanny et Harold ont plaqué leur travail dans les assurances pour vivre désormais au grand air, dans un village du Puy-de-Dôme, avec la colonie de cochons qu’ils élèvent à la ferme. Un changement de vie radical pleinement assumé.
A Saint-Quintin-sur-Sioule (Puy-de-Dôme), il n’y a bien que leurs deux vélos tout terrain électriques pour seul signe visible de modernité. « Je crois qu’il n’y en a pas d’autres ici à ma connaissance » sourit Harold Turgis, tout de kaki vêtu, des bottes au coupe-vent. Le voir ainsi sur son VTT, parti pour faire un tour des parcs à cochons, en apparence, il ne reste donc plus rien de l’ancien cadre d’une compagnie d’assurances qu’il était encore il y a peu. Harold, 40 ans, affiche le regard d’un homme en phase avec ses aspirations, à l’unisson avec son épouse Fanny, 36 ans, elle aussi, ex-salariée dans les assurances. Tous deux devenus agriculteurs dans ce coin des Combrailles, à mille lieux de leur vie d’avant.
Tant pis pour Punta Cana !
C’est sur l’un des vallons qui domine Ebreuil (Allier) que se niche « La ferme des cochons heureux », l’entreprise bâtie de toute pièce par le couple il y a deux ans. « On vendait des trucs passionnants ironise Fanny : des placements financiers, super ! Un matin, on s’est levés, on n’avait plus envie de travailler pour un patron, plus envie de marcher à la baguette. On s’est posé LA question : qu’est-ce qui nous rend heureux ? La réponse n’a pas traîné : nos enfants. Jusque-là, je partais à 7 heures le matin, je rentrais à 19 heures, Harold était souvent sur les routes. Bref, on ne les voyait pas grandir et on n’était pas devenus parents pour ça ! » Ce matin-là, la petite tribu composée de Lucas, 11 ans, Axel, 8 ans, et Louise, 3 ans était à l’école dans le village voisin, à bonne distance cette fois de leurs parents. Deux caravanes, côte à côte, jouxtent l’un des enclos où cochonnets et truies vaquent à leur train-train quotidien : retourner la terre et dorer au soleil. Inspirant. A elle-seule, cette image symbolise le grand vent de liberté qui a soufflé sur la famille Turgis. « On vit dans ces caravanes à mi-temps quand il nous faut être au plus près de nos animaux pour les nourrir ou les surveiller. Il y a la caravane des enfants et celle des parents. L’autre moitié de la semaine se passe à Chapdes-Beaufort (Puy-de-Dôme), chez nous, où il y a le laboratoire de transformation et le séchoir » explique Harold avant de poursuivre. « On a tout balayé du jour au lendemain, on a fait table rase de nos bons salaires et de nos trains de vie, tant pis pour les RTT, les vacances à Punta Cana, terminé aussi de craquer 1 000 euros pour les courses. C’est pourtant le rêve d’une vie pour beaucoup de personnes mais pour nous, tout ça, c’était trop cher payé ! Nos parents n’ont pas compris comment on pouvait se plaindre d’un travail assis devant un ordinateur dans un bureau climatisé, mais ils commencent à se faire à l’idée non ? » questionne des yeux Harold, en se tournant vers Fanny. Une moue dubitative pour seule réponse.
On est des moutons à 5 pattes ici !
Assis dans l’une des deux caravanes, l’un et l’autre raconte ainsi ce pas de côté. Un pas de géant pour Harold, né à Lille, sans aucune souche agricole, parti travailler à Lyon, puis Marseille. Pour en arriver là, il a fallu alors passer par les bancs de l’école. « J’ai dû aller chercher un diplôme d’agriculture. Pendant un an, j’ai pris des cours à la Maison Familiale Rurale de Gelles (Puy-de-Dôme). C’était la seule façon d’obtenir des aides, et de rassurer les banques ». En revanche, pour les primes PAC, Harold et Fanny peuvent toujours attendre, « Les élevages de porc ne sont pas éligibles ». Justement des cochons sur ces terres peuplées exclusivement de charolais, c’est là aussi l’autre étrangeté dans le paysage. « On nous prend pour les huluberlus du coin ici ! On est des moutons à 5 pattes » se marre Fanny. Car de là, à se soucier du regard des autres…. « Tous les voyants étaient au rouge quand on a pris la décision : on avait des crédits sur le dos, des enfants à nourrir, pas d’expérience, pas de formation, de bons postes dans le tertiaire, tout pour ne pas bouger ». Pour seule porte de sortie, « un terrain qui appartient à mes parents, hérité de mes grands-parents » raconte Fanny, fille et petite-fille d’éleveurs bovins.
On leur offre les meilleures conditions de vie possible, ils naissent et on leur fout la paix jusqu’à l’abattoir
Et voilà comment 12 hectares à flanc de collines, faits de prairies et de forêts de chênes, sont ainsi devenus la chasse-gardée des culs noirs du Limousin, des Mangalitza et des Berkshire (proche cousin des kintoa, bellota, noir de Bigorre). 25 truies, 300 porcs élevés en plein air qu’il vente ou bien qu’il neige. « Notre choix s’est vite porté sur ces races oubliées, des races anciennes et rustiques. On a d’abord flashé notamment sur le cochon laineux ». Un coup de foudre pour ce porc originaire de Hongrie qui n’a de laineux que le nom. Soyons clairs ! De son manteau, même avec toute la bonne volonté du monde, personne n’arrivera à en faire un pull moelleux. Ainsi vient se frotter à l’homme, les oreilles sur ses yeux, grognements appuyés, le Mangalitza. Race à mi-chemin entre le sanglier et le cochon domestique. Mais au toucher, on dirait bien qu’il a aussi du porc-épic en lui tellement son poil est dru et épineux. « Certains en font des blaireaux de barbier ou des brosses pour les toilettes » précise Fanny, « ça les isole du froid l’hiver et de la chaleur l’été mais surtout le Mangalitza est au cochon, ce que le Kobé est au bœuf. Une viande qui fait le meilleur gras, très persillée » rajoute Harold. Et pourtant, là encore, le couple n’a pas choisi la facilité. « Ces races ne sont pas rentables. Elles grossissent en 24 mois, ça veut dire du travail, des soins, de l’alimentation pendant deux ans, bref un coût de production important. C’est un parti pris, on veut faire de la qualité et c’est à ce prix-là ! ». Au prix aussi d’une maîtrise totale, depuis la naissance jusqu’à la vente des produits finis. « On transforme trois cochons par semaine en salaisons et en viande fraîche. On vend en direct aux particuliers sur les marchés ou à la ferme, dans deux épiceries fines et on fournit des restaurateurs ».
Nourris au maïs, au son, aux pommes de terre, et au petit lait, produits dans un rayon de 20 km, les cochons des Turgis semblent couler ici des jours tranquilles quoi qu’en disent les défenseurs de la cause animale, les végans en tête, avec qui Harold et Fanny ont cessé de débattre sur les réseaux sociaux. « On leur offre les meilleures conditions de vie possible, ils naissent et on leur fout la paix jusqu’à l’abattoir. J’estime que quand ils viennent se faire gratouiller, c’est un signe de confiance et de bien-être » se défend Harold pour justifier le nom qu’il a donné à cette « ferme des cochons heureux ». Le premier de tous était de ceux-là, il annonçait à lui-seul la couleur. D’une vie en…rose. « C’était un verrat, on l’avait appelé…Rocco. Et il était à la hauteur ! en rit encore Harold. Puis avec le temps, c’est humain (un cousinage entre l’homme et le porc a été démontré notamment par l’historien Michel Pastoureau, ndlr), Rocco a donc molli et bien mal lui en a pris, «Il a préféré se prélasser au soleil ». Alors ici comme ailleurs, « copain comme cochon », ça va un moment ! Si bien que « Rocco a fini en chorizo ! »
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