Mercredi 13 octobre, le film « Leur Algérie » de la réalisatrice Lina Soualem sort en salles. Le documentaire met en lumière ses grands-parents qui ont quitté l’Algérie pour s’installer dans le Puy-de-Dôme, à Thiers.
C’est un film tout en émotion et en pudeur qui sort dans les salles obscures ce mercredi 13 octobre. « Leur Algérie » est un documentaire signé de la réalisatrice Lina Soualem. Fille du comédien Zinedine Soualem et de l’actrice-réalisatrice Hiam Abbas, Lina Soualem a filmé pendant près de trois ans, ses grands-parents Aïcha et Mabrouk, qui ont quitté l’Algérie il y a plus de 60 ans pour s’installer à Thiers dans le Puy-de-Dôme. La petite-fille a voulu comprendre le parcours de ses grands-parents et a recueilli leur témoignage. Après 62 ans de mariage, ils ont choisi de se séparer. La réalisatrice explique la genèse du projet : « J’ai fait des études d’histoire et de sciences politiques donc au départ je ne m’intéressais pas forcément au documentaire, que je connaissais mal. Mes deux parents étaient comédiens donc je connaissais le cinéma sous le prisme de la fiction. Finalement j’ai fait de la programmation dans des festivals, notamment en Argentine, dans un festival des droits de l’homme. A ce moment-là, j’ai découvert le genre documentaire. J’avais depuis longtemps l’envie de filmer ma grand-mère, qui me paraissait être une figure féminine très énigmatique. Finalement, je n’osais pas vraiment me confronter à son histoire car elle et mon grand-père ont toujours été très silencieux. Ce n’est qu’il y a quelques années, quand mon père m’a appelée pour me dire que mes grands-parents se séparaient, que j’ai pris conscience de l’urgence pour moi de les filmer et de raconter leur histoire. J’ai décidé d’en faire un documentaire parce que c’était la meilleure façon pour moi d’allier l’intime et le collectif, la grande Histoire à travers la petite histoire ».
Une histoire de déracinement
Lina Soualem a tenu à brosser le portrait de toute une génération en souffrance : « Je voulais rendre visibles les trajectoires de vie de mes grands-parents qui sont des personnes immigrées d’Algérie. Ce sont souvent des personnes qui sont référées en tant que masse, on parle toujours des immigrés, des réfugiés, des exilés, des musulmans de France. J’avais envie de m’intéresser à leur parcours intime, la manière dont le destin collectif dans lequel ils ont évolué a pu les affecter. Je voulais mettre en avant le silence qui existe autour de leur histoire, qui est lié à la douleur du déracinement. C’est quelque chose que j’ai découvert en faisant le film. Je partais du constat d’une absence de transmission, d’une histoire algérienne que je ne connaissais pas dans l’intime alors que je l’étudiais à l’école. L’histoire intime est très absente du débat, du roman national. Ce sont des trajectoires de vie qui sont invisibles, marginalisées. Ce sont des gens qui ne se racontent pas, qui n’ont pas pu se raconter et qui ont dû rester discrets pour s’intégrer. Je voulais leur redonner la parole et remettre à l’honneur leur mémoire. C’est souvent une histoire qui est traitée comme étrangère à celle de la France alors que c’est une histoire complètement française. La France a passé 130 ans en Algérie. Ces immigrés ne venaient pas de nulle part. Leur histoire fait partie intégrante de celle de la France ».
LEUR ALGÉRIE - Bande-annonce from JHR Films on Vimeo.
Faire parler son grand-père
Son grand-père Mabrouk est un taiseux. Mais Lina Soualem parvient à le faire témoigner : « Je trouve qu’il parle beaucoup par rapport au départ. Ca a été un long travail d’allers-retours chez eux pour les filmer. J’ai filmé pendant presque trois ans. Au départ, je filmais mon grand-père un peu de loin. J’avais un peu peur de me confronter à son silence. Petit à petit, en me revoyant revenir et poser les mêmes questions, il a un peu baissé la garde. Quand on a passé 40 ans de sa vie à s’enfermer dans son silence, ce n’est pas facile de s’ouvrir tout d’un coup. Je pense qu’il y a des choses qu’il ne s’autorisait plus à penser. J’ai fait remonter des choses enfouies depuis longtemps. Au bout d’un moment j’ai arrêté de toujours poser des questions frontalement. J’ai essayé de l’emmener dans certains lieux, de lui montrer des photos pour réactiver la mémoire, le faire parler plus naturellement ».
Ma grand-mère a toujours raconté ses anecdotes avec le rire alors que ce qu’elle racontait était plutôt tragique
Sa grand-mère Aïcha passe du rire aux larmes et se confie plus facilement : « Elle n’a pas l’habitude qu’on s’intéresse à sa vie, à son intimité. Pour se protéger dans les moments de gêne, elle rit. Il y a cette complicité entre nous où elle me dit que c’est trop mais où finalement elle me parle. Je sens qu’elle a envie de parler avec moi mais qu’elle n’a pas cette habitude. Cela prend un peu de temps. Ma grand-mère a toujours raconté ses anecdotes avec le rire alors que ce qu’elle racontait était plutôt tragique. C’est quelque chose qui m’a beaucoup intriguée. Je me rendais compte en grandissant que par exemple, son mariage à l’âge de 15 ans, ce n’est pas rigolo pour une jeune fille. J’ai mis du temps à réaliser qu’il y avait d’autres choses derrière et que finalement ses rires n’étaient pas des rires de bonheur mais cachaient quelque chose ».
Un passé dans la coutellerie
Son grand-père Mabrouk a été ouvrier-polisseur dans la coutellerie. Dans le documentaire, une vie de labeur apparaît. Lina Soualem explique : « Je lui posais souvent des questions par rapport à son travail car il travaillait 70 heures par semaine dans les usines. Cela a constitué une grosse partie de sa vie. C’est pour travailler qu’il est venu en France et pas ailleurs. Les Français allaient chercher la main d’œuvre algérienne dans les colonies. Il ne me répondait pas directement, il n’osait pas me dire que c’était un travail dans lequel il se sentait exploité. Il a fini par le raconter à un cousin comme on le voit dans le film. Ce qu’il dit est très dur, il ne dit pas seulement qu’il s’est senti exploité mais carrément prisonnier de ce travail. C’est aussi pour ça que je l’ai filmé dans le musée de la coutellerie car j’ai toujours connu mon grand-père comme polisseur de couteaux, je connaissais bien l’histoire de la coutellerie à Thiers, mais quand j’ai visité ce musée, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune trace de ces ouvriers algériens. Il n’y avait pas une pancarte, pas une photo, alors qu’ils constituaient presque 60 % de la main d’œuvre. C’était important pour moi de le filmer dans ce musée pour lui rendre sa mémoire ».
La présence de Zinedine Soualem
Son père Zinedine est également un personnage du film. Lui aussi se confie avec pudeur : « Au départ, je n’avais pas prévu de le filmer car je pensais que j’allais avoir une conversation exclusive avec mes grands-parents. Finalement, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas ne pas le filmer car j’ai compris que mon père est aussi héritier du silence. J’ai compris que s’il ne me restait rien, c’est aussi parce qu’on ne lui a pas raconté grand-chose non plus. J’ai réalisé que c’était une pièce importante de cette lignée de transmission. Il fait partie du puzzle de la mémoire. J’ai appris des choses de mon père par le film. Il ne m’avait jamais parlé de son enfance dans le mythe du retour ou du fait qu’il ait eu la nationalité française à 28 ans alors qu’il est né et qu’il a vécu toute sa vie en France. Ce sont des choses que je n’imaginais absolument pas ». La réalisatrice a choisi d’insérer dans le documentaire des images d’archives tournées par son père. Un matériau précieux qui lui a servi de base de travail : « Mon père est inclus dans le film car je suis parti de choses qu’il a filmées dans les années 90. En regardant ces images avec un nouvel œil et en étant consciente de la séparation de mes grands-parents, je me suis demandé en les regardant, adulte, si mon père à cette époque cherchait à garder des traces de cette mémoire qui ne se transmettait pas. Mon père est vraiment le premier collectionneur d’images. Il m’a laissée un héritage visuel incroyable avec toutes ses archives et les photos de famille. Il les gardait, les agrandissait ».
Le voyage en Algérie
A la fin du film, Lina Soualem retourne sur la terre de ses ancêtres, à Laouamer, en Algérie. Une séquence qui a profondément marqué la réalisatrice : « Ce n’était pas prévu au départ que j’y aille car je ne voulais filmer que Thiers, marquer l’exil et la distance qui se sont construits avec la terre natale. Finalement, comme au départ je n’avais pas de financement en France, j’ai dû présenter le film dans de nombreuses plateformes de work in progress, de coproduction dans des festivals à l’étranger, notamment dans le monde arabe et en Afrique du nord. J’ai pitché le film dans un festival à Béjaia et j’ai gagné une temps de résidence à Alger où j’ai passé un mois. En étant là-bas, la force des choses a fait que le parcours du film m’a emmené en Algérie. Même si c’est un film sur l’exil en France, je ne peux pas éviter d’aller voir ce village qui est la source de tout, la source de la transmission, des douleurs, des souvenirs, du silence. Il représentait beaucoup de choses. C’est aussi pour cela que j’avais du mal à y aller : quand on grandit avec une terre natale lointaine et parfois fantasmée, on a peur de se confronter à la réalité. C’était extraordinaire de pouvoir y aller car j’ai découvert ce village sous la neige, ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. J’ai croisé des gens qui connaissaient mon grand-père, des gens de la famille qui me racontaient des choses sur lui. J’ai compris qu’il n’avait pas vraiment coupé. Il ne parlait pas de cela à ses enfants mais il était toujours connecté à cette terre. C’était très fort de ressentir cela à travers ce voyage ». En tant que comédienne, Lina Soualem a joué dans quatre longs-métrages des réalisatrices Hafsia Herzi, Hiam Abbass, Rayhana et Rima Samman. Aujourd’hui, elle développe son second projet de long-métrage documentaire « Bye Bye Tibériade » et travaille en tant qu’auteur et coordinatrice d’écriture sur des projets de fictions, séries et documentaires.