Le décret vient de tomber ce mercredi 13 mai. Le "système d'informations" qui doit recenser les malades du coronavirus et leurs proches est officiellement actif. Un "fichier" qui en Auvergne inquiète des médecins. Il ouvre une brèche dans le sacro-saint secret médical. Explications.
Le lundi 11 mai a sonné le début du déconfinement. La liberté pour beaucoup.
Une liberté que certains médecins auvergnats estiment pourtant menacée. Pour contenir l’épidémie de coronavirus, le gouvernement a publié un décret autorisant la mise en place d’un système d’informations pour recenser les malades du COVID 19 et leurs proches. Une mesure très controversée. En Auvergne-Rhône-Alpes plusieurs médecins ont fait savoir qu’ils s’y opposaient. Selon eux c'est une atteinte au secret médical.
Un refus qui pose problème puisque ce sont précisément les médecins traitants qui sont appelés à signaler leurs patients atteints du Covid 19. Lorsqu’ils reçoivent un malade, il leur est demandé de donner son nom ainsi que celui de ses proches à la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie).
La loi d’urgence sanitaire rend cette déclaration obligatoire pour le médecin. Elle n’est pas soumise au consentement du patient. Le patient peut uniquement décider s’il veut ou non donner le nom des personnes avec qui il a pu être en contact.
Le secret médical mis à mal
" Les médecins sont en danger " nous expliquait dimanche 10 mai le docteur Fabien Ruaud, le président du syndicat des médecins généralistes (MG France) en Auvergne-Rhône-Alpes, " On va casser quelque chose qui est fondamental, la confiance entre un patient et son médecin : le secret médical. Pour l’instant, la loi n’est pas au journal officiel, jusque là, je demande à tous mes confrères d’obtenir un consentement écrit et éclairé du patient pour transmettre son nom à la CPAM. "
" Je n’agirai que si nous avons l’aval de l’Ordre des Médecins " complète le docteur Laurent Dissard, le président d’SOS médecin à Clermont-Ferrand. " Si l’instance responsable du secret médical estime qu’il faut le lever, alors soit ! "
Et en effet, l’Ordre des médecins se dit favorable à cette mesure : " Elle est nécessaire " explique le docteur Henri Arnaud, Président de l’Ordre des médecins du Puy-de-Dôme. " Oui c’est une atteinte au secret médical mais il faut savoir déroger lorsqu’il y a urgence, lorsqu’il faut sauver des vies. Ce sont des circonstances inédites. "
" De toutes façons on est bloqués " estime le Dr Dissard. " Ceux qui diront non à ce fichier seront considérés comme responsables de la diffusion du virus."
Donner le nom des proches : c’est non !
La loi prévoit également que les médecins transmettent à la CPAM, sous réserve de l’accord du patient, les noms de ceux qu’il aura pu approcher et donc, éventuellement, contaminer. La CPAM se chargera ensuite de contacter ces personnes pour les orienter vers un centre de tests ou une mise en quarantaine.
Pour MG France Auvergne, il n’est pas question de suivre cette recommandation. " En ce qui concerne la transmission du nom des proches du malade je m’y oppose, ça n’est pas le rôle du médecin de parler de personnes qu’il ne connait pas, qu’il n'a jamais ausculté. Il y a un mélange des genres, ça n'est pas le travail d'un médecin mais celui d'un enquêteur " explique le Dr Ruaud.
" C’est bien gentil d’identifier des gens mais un fichier ça n’a jamais soigné personne ! " rebondit le Dr Dissard. " Notre rôle est de soigner, pas de collecter des noms. On ne sait pas exactement où vont atterrir ces données et qui va pouvoir les consulter. "
Données sensibles
Les noms des malades et de leurs proches doivent être confiés aux agents de la CPAM. Ceux que le gouvernement a baptisé les « brigades » ou les « anges gardiens ». Ils ont pour mission de téléphoner aux proches des malades pour les avertir qu’ils ont été en contact avec une personne infectée. Le fichier qui recense les noms doit être détruit au bout de trois mois.
Mais les médecins restent dubitatifs.
" Nul ne sait si un des agents de la CPAM n’est pas proche d’un banquier, d’un assureur, de votre employeur ! " explique un généraliste qui préfère conserver l’anonymat. " Dans quelques temps on aura peut être affaire à des anciens malades du COVID 19 qui se verront refuser un prêt parce qu’il seront considérés comme à risque ! "
" On ne sait pas qui saisit les données, comment elles sont transmises, où elles sont stockées " relance le Dr Ruaud, président du syndicat MG France en Auvergne. " Lorsqu’on me dit qu’elles seront effacées au bout de trois mois je réponds que tout ce qui est stocké sur internet ne disparait jamais. Ce sera toujours là. "
Sous couvert d’anonymat, un cadre de la CPAM a répondu à nos questions sur l’organisation concrète de ces " brigades " . Officiellement, chaque agent s’occupe seul des fiches des patients qui lui sont transmises. Mais sur une plateforme départementale, il y a plusieurs dizaines d’agents. Donc potentiellement plusieurs dizaines de personnes qui ont accès au système d’informations. Ce sont des « téléconseillers » selon le sous directeur Santé de la CPAM du Puy-de-Dôme, Nicolas Gérard. Selon l’employé de l’assurance maladie " ce sont des juristes, des assistants sociaux, des délégués, des cadres mêmes… tout le monde a été mis a contribution. Ca nous a plus ou moins été imposé. "
Les agents de la CPAM doivent signer un papier les soumettant au secret médical, sans qu’ils soient eux mêmes des soignants.
La CNIL ( la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés ) fait savoir qu'elle " diligentera des contrôles " pour éviter les dérives. La commission " estime le dispositif conforme au réglement européen sur la protection des données personnelles ".
"On ne peut pas faire confiance au patient"
" Ce recensement va dans le bon sens " explique Nicolas Gérard, le sous directeur Santé de la CPAM du Puy-de-Dôme. " On est dans un Etat d’urgence sanitaire donc les règles changent. Il y a des exceptions aux règles habituelles du secret médical. On ne peut pas laisser un malade avertir son entourage. Certains joueraient le jeu, pas d’autres. C’est trop risqué. On ne peut pas faire confiance au patient. L’issue c’est quand même de sauver des gens. Il faut que les malades soient répertoriés, fichés, mais qu’ensuite ces fiches soient détruites assez rapidement. "
Pour l'instant, 9 médecins sur 900 que compte la région Auvergne-Rhône-Alpes ont fait savoir qu’ils ne participeraient pas à ce système d’informations. " On ne peut pas les contraindre mais s’il y a loi, cela veut dire qu’ils seront hors la loi et donc condamnables. L’Ordre des médecins peut porter plainte contre eux " conclut le docteur Henri Arnaud.