ENQUÊTE : le protoxyde d'azote, ces ballons pour rire qui envoient les jeunes à l'hôpital

Rencontre avec les consommateurs de protoxyde d'azote, leurs parents et les professionnels de santé pour tenter de comprendre pourquoi la consommation de ce gaz "hilarant" explose.

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-"Madame, ça fait un effet... Vous imaginez pas, on est sur une autre planète!".

Cet après-midi froid d'automne, un groupe de militants associatifs, distribue des tracts d'information sur les risques du protoxyde d'Azote.

Le "gaz hilarant" ou "proto", est un gaz à usage alimentaire détourné. Il est vendu, sous la forme de cartouches (pour les siphons à chantilly par exemple) ou de bonbonnes dans les commerces de proximité (épiceries, supermarchés) et sur internet.

Parmi les jeunes ados croisés à la gare de Vénissieux environ un sur trois en consomme en l'aspirant dans des ballons qu'ils remplissent à l'aide des fameuses bouteilles. 

-"C'est trop bien! On a des sensations de ouf. On sent plus rien et puis on part super loin"

-"Mais ça dure combien de temps ?" 

-"Deux minutes, cinq minutes et on est morts de rire". 

Ces deux minutes là se transforment souvent en 2 fois dix, car les consommateurs de protoxyde d'azote inhalent le gaz, attendent les effets puis recommencent souvent à plusieurs reprises. 

Le groupe de garçons qui échange avec Samia, surveillante d'un collège du quartier, savent qu'il y a des risques : 

-"L'autre jour lui, il est tombé par terre", affirme un ado de 15 ans, brun, survêt bleu et oreillettes sans fil connectées. Il montre du doigt un copain, plus grand de taille, plus pâle qui confirme:  

"Ouais je suis tombé, paraît que j'étais dans les vapes mais moi dans ma tête je jouais à la Play. J'ai rien compris"

-"On a cru qu'il respirait plus, qu'il était dans le coma, et puis il s'est réveillé"

Certains on déjà senti des fourmillements, ou des pertes de sensations dans les jambes 

-"Mais ça revient !" disent-ils.

Pas toujours et pas sans séquelles, c'est tout le problème de ce gaz en vente libre mais dont la vente et la promotion auprès des mineurs sont interdits. 

Difficile cependant d'encadrer leur circulation. A Vénissieux, tout le monde connait l'adresse des revendeurs. Et en réalité, à part en cas de vente à des mineurs, la police ne peut intervenir que pour déchets abandonnés sur la voie publique si tel est le cas. 

L'association France des banlieues qui multiplie les actions de sensibilisations appelle de ses vœux une règlementation plus stricte. Elle soutient l'idée d'une interdiction de l'utilisation de ces gaz à des fins psychoactives sous peine d'amende. 

C'est également le point de vue d'une mère de famille qui les a contactés. Pour ce reportage, elle a accepté de témoigner anonymement. Elle préfère se protéger car reconnaît-elle : "elle n'est pas en dépression mais elle pleure souvent". 

"J'ai cru qu'il allait mourir"

Son fils va avoir 20 ans en février prochain. En novembre 2021, "il s'est plaint du bras gauche, le médecin lui a donné du doliprane et une atèle, pensant qu'il s'agissait d'une tendinite. Puis je l'ai retrouvé enfermé dans sa chambre à vomir toute la journée" raconte-t-elle.  

"On est allés aux urgences et là, il a fait une diploplie, il voyait tout en double. Après IRM, il faisait une une trombophlébite cérébrale", soit l'obstruction d'une veine autour du cerveau par un caillot 

"J'ai cru qu'il allait mourir, il ne tenait plus sur ses jambes il était en fauteuil roulant. Ça se voit encore au niveau de ses lèvres il pèse 53 kg, il est toujours fatigué."

Et puis le jeune homme est sorti de l'hôpital après 15 jours de soins. "Et là rebelote" raconte sa mère. "Je me disais, il va faire une chute, on va le retrouver mort ...toute la nuit je tournais dans le quartier pour le retrouver." 

"Un jour son oncle a essayé de le récupérer mais il n'a pas réussi, il ne voulait pas partir et les jeunes lui demandaient de sortir de leur terrain". 

"Je dors plus la nuit, j'ai peur que ça recommence. Je ne comprends pas que ça soit en vente libre". 

Quand mon frère est allé à la rencontre du revendeur à Vénissieux, il lui a répondu: c'est mon gagne pain.

raconte la mère d'un jeune hospitalisé

"Il a commencé à 19 ans, au moment où on a eu des problèmes familiaux", tient a préciser cette femme visiblement émue.  Aujourd'hui le jeune homme est en foyer, à Villeurbanne, "il fait du foot, ça lui fait du bien. Il veut revenir à la maison mais il a peur de se rapprocher de ses anciennes fréquentations et d'être tenté d'y retourner."

Les risques du protoxyde d'azote 

Le nombre de cas d'hospitalisation pour des complications à Lyon dans les services des Hospices Civils a été multiplié par 5 en trois ans. Il y a autant de filles que de garçons et leur âge médian est de 21 ans. L'usage touche tous les milieux sociaux, jeunes collégiens, lycéens ou encore étudiants, dans tous les domaines. 

 76% des appels reçus par les centres antipoison concernent des atteintes neurologiques avec parfois des séquelles persistantes nécessitant une rééducation fonctionnelle 

L'Agence régionale de santé et les HCL ont lancé plusieurs alertes sur l'augmentation du nombre de patients reçus dans les services. 

La consommation de ces gaz implique des risques liés à une utilisation ponctuelle :

  • Asphyxie par manque d’oxygène    
  • Perte de connaissance
  • Désorientation
  • Vertiges    
  • Chutes
  • Accidents de la voie publique
  • Brûlure par le froid du gaz expulsé 

"Mais ce qu'on observe de plus en plus ce sont des troubles liés à une consommation prolongée de grandes quantités de gaz" explique Alexandra Boucher, pharmacienne du centre d'addictovigilance de Lyon.  "On ne sait pas à partir de quand on s'expose à des risques, il n'y a pas de seuil défini et le grand problème c'est l'image inoffensive de ces produits! On a des cas d'atteintes neurologiques graves, des troubles cardiaques, moteurs, certains sont incapables de marcher seuls", sans compter les impacts psychiques liés à l'addiction. 

"Les complications observées en cas de prises répétées et/ou massives (par ex neurologiques, thrombotiques, les troubles de l’usage etc…) sont d’autant plus redoutables qu’elles se développent généralement de façon insidieuse, sans que la personne concernée ne s’en rende compte initialement. Mais une fois que cela devient cliniquement parlant, cela signifie que le mal est fait" précise Alexandra Boucher. 

Que faire en cas de problème? 

 En cas d'effets néfastes et de symptômes inquiétants, il faut rapidement consulter votre médecin traitant ou aller aux urgences pour bénéficier d’une prise en charge adaptée le plus tôt possible.
Il est surtout essentiel d'arrêter la prise de protoxyde d’azote. 

Que faire si on m'en propose? Que dire à un ado? qui appeler? Retrouvez tous les conseils sur droguesinfoservices

Une proposition de loi datant du 5 octobre 2022 a été présentée par la sénatrice Valérie Létard, elle recommande l'interdiction de la consommation de protoxyde d'azote à des fins récréatives, de règlementer la quantité détenue et vendue de contenants de gaz et de matériel associé et de créer un délit de conduite sous l'emprise de ces produits. 

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