Inaugurée en 1992, l’A 46, connue comme rocade Est de Lyon, avait été présentée comme une rocade pour les villages et villes du sud-est de Lyon, une trentaine de communes au total. Aujourd'hui, c'est une source de nuisances tant sonore qu'atmosphérique. Les riverains craquent.
"C’est un bruit incessant de plus en plus gênant au fur et à mesure que l’on s’en approche. Mais pour nous, c’est le trafic des véhicules qui passent derrière notre lotissement pour rejoindre l’A 46 qui pose le plus de problèmes".
Bernard Vuillaume n’est pas content mais reste policé. Depuis qu’il habite sa maison, à l’entrée sud de Mions près de Lyon, et cela fait 37 ans, jamais les nuisances n’ont été aussi palpables. Ce retraité de l’informatique n’en peut plus des difficultés de circulation qui embarrassent son quartier, à un petit kilomètre de la rocade.
Quand cette dernière est bloquée, ce qui arrive souvent, les automobilistes sortent pour emprunter la départementale D 149 qui passe juste derrière chez lui. "Les voitures et les fourgons traboulent le long des maisons pour aller retrouver l’A 7 au niveau de Saint-Symphorien-d’Ozon ou Saint-Pierre-de-Chandieu et récupérer l’A 43 à hauteur de Villefontaine", déplore dans un soupir celui qui ne pensait pas qu’un jour, “la rocade des villages” devienne une autoroute à deux voies puis un jour, à trois voies...
À deux kilomètres de là, Silvia Montoya vitupère contre ces embouteillages monstres qui engorgent l’A 46, "des files ininterrompues de camions sur les deux voies". Elle qui a passé sa jeunesse dans cette petite ville du sud-est de Lyon, ne reconnaît plus les environs, malgré son retour il y a une dizaine d’années.
Quand on sort dans le jardin, il y a certains jours où ça sent cette odeur de caoutchouc brûlé. Si le trafic augmente avec le passage à trois voies, on se demande ce que ça va être !
Silvia Montoya
Régulièrement, "une partie de ses voisins n’ose plus ouvrir les portes-fenêtres l’été, ils préfèrent tout fermer et mettre la climatisation".
La rocade des villages est devenue une autoroute
Depuis qu’elle a vu le jour, il y a 22 ans, l’association "Apache" dénonce le sort des habitants du sud-est lyonnais. Une vingtaine de communes est concernée par le contournement Est de l’agglomération, en particulier la ville de Mions. "Ça fait plus de 20 ans que l’on existe et on préférerait ne plus exister”, sourit amèrement Gérard Laroze, son président. Mais les mobilisations passées n’ont pas été suffisantes pour se faire entendre.
Inaugurée en 1992, l’A 46, autrement appelée rocade Est de Lyon, avait été présentée comme une rocade pour les villages et villes du sud-est de Lyon, une trentaine de communes au total. Elles étaient implantées dans des zones fortement agricoles, les voiries leur permettant d’être reliées entre elles étaient loin d’être suffisantes. Il fallait compter une demi-heure entre Mions et Meyzieu pour à peine 10 km.
Dans l'esprit des concepteurs de la rocade, il était question de faciliter les liaisons entre les communes. Et du même coup relier avec une meilleure efficacité ces territoires à Villeurbanne et Lyon.
Plus de trente années après sa mise en circulation, le trafic local et le transit surtout n’ont cessé de grimper. "Au début, on était contents”, reconnaît Bruno Vananty, qui réside en maison à une encablure de l’échangeur numéro 15, donnant sur Corbas. Mais depuis qu’il y habite, il y a deux décennies, le trafic a explosé. Pour beaucoup de riverains et d’adhérents de l’association, les choses ont commencé à se gâter avec l’annonce du déclassement des portions urbaines de l’A6 et A7, transformés en M6 et M7, faisant du tunnel sous Fourvière un axe urbain fermé au transit. Or, le tunnel de Fourvière, ce sont 120 000 utilisateurs par jour avant l’interdiction de l’emprunter aux poids lourds... D’où l’inquiétude grandissante d’Apache qui n’hésite plus à décocher ses flèches contre les collectivités en prévision du report programmé de la circulation sur la rocade Est, dans une agglomération où le contournement Ouest (COL) est (définitivement ?) au point mort.
Deux fois 3 voies, saturées d'avance
Un débat public avait eu lieu en 2013 au cours duquel avait été examiné le rapport du bureau d’études allemand TTK portant notamment sur l’Anneau des Sciences (Traçé ouest du périphérique). Ce dernier, non plus, n’a jamais vu le jour.
Mais TTK avait suggéré un barreau supplémentaire au sud de l’A432 (qui fait le lien entre l’A42 (direction Genève) et l’A43 (direction des Alpes) pour rejoindre l’A7 au sud de Vienne. "Cela permettrait de dévier une partie du transit soit 40 000 véhicules dont une très forte proportion de poids lourds”, souligne Gérard Laroze, ingénieur mécanicien à la retraite.
L’étude préconisait un tracé situé en partie le long de la voie à grande vitesse existante Paris-Méditerranée. Fortement saturée, l’A46 risque de l’être tout autant voire davantage avec le passage à deux fois 3 voies sur 21 kilomètres.
Selon le Cerema, un organisme public expert notamment dans le domaine des infrastructures et des transports, une deux fois 2 voies est déjà à son maximum à 45 000 véhicules / jour. L’établissement public considère que pour une trois fois 2 voies, la gêne se fait sentir à partir de 40 000 véhicules / jour, la saturation dès 65 000. Chiffres à l’appui, Apache refait les comptes.
Si on additionne le report du tunnel de Fourvière à la mise en service de la ZFE (Zone à faible émission) au 1er janvier 2025 dans une large partie l’agglomération dont le boulevard Laurent Bonnevay (périphérique), le trafic risque carrément d’exploser sur l’A 46 Sud
Gérard LarozeAssociation Appache
Le président de l'association rappelle au passage que seront désormais concernés les véhicules Crit'Air 5, 4 et 3. Selon les estimations de reports, le trafic sur l’A 46 sud devrait atteindre 70 000 à 100 000 véhicules / jour dont un tiers de camions dont une bonne partie en transit.
Selon les directives européennes, le trafic local devrait être séparé du trafic de transit... Sur ce point aussi, Apache n’est pas disposée à enterrer la hache de guerre. Quid de la pollution liée au trafic ?
Qui dit augmentation de trafic, avec des véhicules roulants ou à l’arrêt, dit pollution. Peu de données ont été effectuées le long de la rocade. Pour mieux en cerner le niveau, des mesures sont en cours.
Dernièrement, pour évaluer les risques liés à la pollution, 14 communes du sud-est lyonnais ont demandé à ATMO Auvergne/Rhône-Alpes de mettre en place des capteurs pour mesurer et analyser les particules fines émises le long de la deux fois 2 voies actuelles. Les associations locales membres de la fédération Fractures demandent que les relevés prennent également en compte les particules ultra-fines (PUF) et l’ozone. Ce qui n’est pas prévu pour l’instant, trop coûteux pour les communes.
Une quarantaine d’adhérents ont pris part à un comptage du nombre de véhicules en juin 2023. Ils se sont relayés de 7h00 du matin à 20h00 pour compter les véhicules qui passaient sur les 4 voies de l’A46 sud au niveau du pont du point kilométrique 14,5.
Fractures et Apache
"Durant ces 13 heures, nous avons compté 75 346 véhicules dont 30 % de poids lourds. Et constaté ce jour-là un trafic supérieur de 20% dans le sens Nord Sud que par rapport au sens Sud Nord. La saturation du trafic s’est fait sentir principalement entre 7h30 à 10h le matin et de 17h à 18h30 l’après-midi. Le reste du temps, le nombre de passages par heure a été plus faible. Nous arrivons à la conclusion qu’une troisième voie ne réglera pas le problème de saturation de cet axe et que la seule solution, c’est un axe parallèle qui arrive au sud de Vienne.
Nuisances sur terre et dans les cieux
Les habitants de Mions et des communs proches subissent d'autres nuisances qui leur fait redouter les jours de beau temps. La peur de la chaleur ? Non, en toute saison, ce qui les hante, ce sont les passages d’avions qui décollent et atterrissent à l’aérodrome de Corbas dès qu’il fait beau, les week-ends et de plus en plus en semaine. "Depuis que de nouveaux relais 5G ont été installés proches des lotissements, les pilotes s’en servent comme balises, ça entraîne beaucoup de bruit", a constaté un riverain dont la maison est à un peu plus d’un kilomètre à vol d’oiseau de la piste, au nord-est de l’aérodrome.
Ce dossier aussi, Apache et Fracture essaient de s’en occuper. Sur Mions, Corbas, Chaponnay, Marennes, Simandre, une partie des villes de Bron et Saint-Priest, des habitants se plaignent, ils sont nombreux. Les deux associations souhaiteraient participer au comité de pilotage qui se réunit une fois l’an, sous l’égide de la préfecture et de la métropole, propriétaire des terrains. "Ce que nous demanderions, c’est de faire évoluer la charte pour établir des règles strictes qui soient suivies par les utilisateurs sur les tracés. En aucun cas, nous ne voulons la mort de l’aérodrome", martèle Gérard Laroze, le président d’Apache.
Le renouvellement des membres de ce comité a lieu tous les 6 ans, c’est le cas cette année, alors les associations mettent la gomme pour se faire entendre. Apache dit avoir fait parvenir un courrier à ce sujet à la préfète début octobre, sans retour à ce jour.
"Il y a sur notre commune un arrêté municipal de mai 2021 qui répertorie les bruits d'activités professionnelles, sportives culturelles et de loisirs. Il dit qu'aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme. Nous n'avons pas le droit de mettre en marche une perceuse hors des horaires convenus. Et les avions ? Que fait-on ?"
Gérard Laroze, président d'Apache
Ce bruit contant et prévisible, un paradoxe extraordinaire
Les problèmes des habitants sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord le passage des avions, les tracés au-dessus des zones d’habitation. La goutte qui a fait déborder le vase, c’est l’extension des plages d’apprentissage en semaine : "Jusqu'à il y a trois ans, en arrière, ces vols s’effectuaient très majoritairement le week-end, explique Bernard Vuillaume, informaticien à la retraite. Ce sont des vols circulaires avec des monomoteurs qui font des boucles et enchaînent décollages et atterrissages.
Quand les avions passent à 300 mètres au-dessus de chez nous à longueur de journée, c’est dur !
Bernard Vuillaumevoisin de l'aérodrome de Corbas
Autre inquiétude grandissante : Outre les hélicoptères, les baptêmes et autres vols d'initiation en parachute composent une part importante de l’activité de l’aérodrome. Et ils se développent.
Les Pilatus qui emmènent les parachutistes montent à 2 ou 4 000 m d’altitude. "Pour les atteindre, ils font des boucles côté ouest et côté est, ils montent en hélices. Ce sont des sessions, dans le jargon des moniteurs. Il y a des week-ends, on est arrivé à plus de 30 sessions par jour. Dernier exemple en date : le samedi 5 octobre dernier, 33 sessions dont certaines comportant plusieurs rotations, en moyenne des rotations toutes les 20 minutes pour monter à 4 000 m toutes les 8 à 10 minutes pour les sauts à 2 000 m” dénonce avec agacement un autre responsable de l’association qui piste les coucous. Grâce aux transpondeurs, on arrive à trouver leurs traces. Et encore il n’y a que 30% des avions qui en sont équipés, c’est dire".
Pour Vincent Ligneau, qui habite près des tennis municipaux depuis 1998, c’est le supplice de la goutte d’eau. "Ce sont des bruits qui ont un cycle, prévisibles. Quand ils montent et quand ils descendent en piqué. Impossible d’envisager une sieste !" Et ce responsable d’un bureau d’études dans l’industrie d’établir un constat d’absurdité comparé à l’usage des tondeuses, autorisées le samedi entre 10h et 19h, le dimanche de 10h à midi. "Là, non, mais en plus impossible d’aller voir un voisin pour lui demander de respecter les horaires, ça commence souvent à 8h pour finir après 19h”, dit-il, en déclarant qu’à la retraite, sa famille pliera bagage si rien n’est amélioré d’ici là. Une retraite pas vraiment en rase campagne, juste loin de ce monde du bruit incessant.