Affaires criminelles : quand il n'y a pas de corps, comment rendre la justice ?

Le 9 mai 2023 à Lyon s'est ouvert le procès d'un homme soupçonné d'avoir tué un gangster du milieu lyonnais dont le corps n'a jamais été retrouvé. Il est pourtant jugé pour meurtre. Quelle différence avec une disparition inquiétante ? Quel sentiment peut animer la famille d'une victime ? Décryptage.

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Comment peut-on juger quelqu'un pour avoir tué une personne jamais retrouvée ? C'est l'épineuse question que se pose la cour d'assises du Rhône, depuis ce 9 mai 2023. Charles R. a été renvoyé devant la justice pour l'assassinat de Julien L. disparu dans la nuit du 16 au 17 juin 2018. 

Le suspect a reconnu les faits, mais le corps de sa victime n'a jamais été retrouvé. Seule une pelle qui aurait servi à essayer de l'enterrer dans un bois près de Lyon, a été dénichée sur les bords du Lac Léman. 

C'est là que Charles R. a déclaré avoir jeté le corps. Il aurait été aidé par un complice, lui aussi renvoyé devant la cour d'assises pour délit de recel de cadavre.

Délit de recel de cadavre

Selon l'article 434-7 du Code Pénal "le fait de receler ou de cacher le cadavre d'une personne victime d'un homicide ou décédée des suites de violences est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende". 

Cette affaire vient rappeler la difficulté pour la justice d'établir la vérité des faits quand la personne disparue n'a jamais été retrouvée. 

Les affaires sans corps sont des affaires au cours desquelles il faut rassembler suffisamment d'éléments probants et un faisceau d'indices permettant de conclure, à partir d'une disparition inquiétante, à la conviction de la mort et à une éventuelle inculpation. 

"C'est toujours spécial, comme situation" commente Me David Métaxas, avocat de la famille de la victime. Dans ce type d'affaire criminelle, à l'ouverture des audiences, le président doit rappeler que "vraisemblablement, la victime serait décédée". Charles R., ancien footballeur semi-professionnel, a reconnu les faits. Ce qui facilite la tenue des débats.  

Dans cette affaire, on a retrouvé l'auteur, qui a été confondu par les aveux de son complice. Il a ensuite lui-même avoué avoir fait disparaître le corps dans le lac Léman. Ce dernier étant le plus profond d'Europe, les recherches n'ont jamais permis de retrouver le corps.

Me David Metaxas

Avocat au barreau de Lyon

L'avocat, qui n'en est pas à son premier procès de ce genre, décrit une tension palpable au procès lorsque les familles sont privées, selon lui, "de possibilité de faire leur deuil. Il y a une colère profonde, un sentiment d'injustice" décrit l'avocat. 

Du côté des accusés, David Metaxas estime que "c'est plus confortable quand il n'y a pas de corps, car rien ne permet d'identifier la façon exacte dont la victime a été tuée et les faits sont donc très difficiles à prouver".

Meurtre sans cadavre ou disparition ? 

Chaque année, entre 50 et 70 000 personnes disparaissent en France. Un millier d'entre elles ne seront jamais retrouvées, ou en tout cas pas dans les dix années qui suivent" explique Patrick Mallet, ancien policier à la retraite, et président en Auvergne-Rhône-Alpes de l’association Assistance et recherche de personnes disparues composée uniquement de bénévoles. 

Pour Philippe Folletet, vice-président de l'association et enquêteur, "quand on a des dossiers plus anciens, qui remontent à plusieurs années, certains sont très vraisemblablement des meurtres dont on n'a pas retrouvé les cadavres". L'enquêteur résume toute la difficulté de ces affaires en une phrase : "un meurtre sans cadavre, c'est une disparition inquiétante". 

"La plupart des affaires traitées par l'association relèvent de suicides, d'accidents ou de disparitions volontaires. Mais un certain nombre de dossiers mériteraient plus d'investigations", estime Patrick Mallet. 

L'ARPD vient justement de faire ressurgir une affaire de disparition il y a près de 20 ans, en Bretagne. Une jeune femme d'Annemasse avait alors disparu. Saisie par la famille, l'association se penche sur le dossier composé d'une quinzaine de pages tout au plus et des failles permettant de supposer qu'elle avait fait une mauvaise rencontre. Depuis, une enquête a été réouverte visant un ancien proche de la jeune femme. Il est actuellement emprisonné. 

Dans ces situations, une nouvelle enquête, de nouvelles déclarations, peuvent permettre soit de confondre un meurtrier, soit de retrouver des restes humains, même de nombreuses années plus tard. 

L'affaire Jubillar, le mari nie toute implication 

Quand l'accusé clame son innocence, et qu'aucun corps n'a été retrouvé, la situation devient cependant extrêmement complexe pour la justice. C'est le cas de l'affaire Delphine Jubillar, disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Son époux, Cédric, est soupçonné d'avoir tué l'infirmière de 33 ans. Il est mis en examen pour meurtre aggravé et est en détention provisoire depuis juin 2021.

La chambre d’instruction de la cour d’appel de Toulouse a jusqu’ici toujours rejeté les demandes de libération en mettant en avant "la préservation des indices et la poursuite de l'enquête". La sixième demande de remise en liberté a été refusée le 18 octobre 2022. Incarcéré depuis le mois de juin 2021 dans l'enquête sur la disparition de sa femme, le Tarnais de 35 ans est à l'isolement à la prison de Seysses (Haute-Garonne). Les avocats de Cédric Jubillar, qui clame son innocence, estiment que le dossier est vide. Ils demandent qu'il puisse sortir de prison au plus vite avec un bracelet électronique. Faute de corps, d'aveux ou de preuve irréfutable, cette affaire suscite une vive émotion et pose encore de nombreuses questions. 

Maurice Agnelet condamné

Agnès Le Roux, héritière d'un des plus prestigieux casinos niçois, disparaît en 1977. Soupçonné, l'avocat Maurice Agnelet, qui fut un temps son amant et proche du patron d'un casino concurrent, bénéficie d'abord d'un non-lieu en 1985.
Renvoyé aux assises après le revirement d'un témoin capital, il est acquitté en 2006, mais condamné en appel à vingt ans de réclusion l'année suivante. 
En 2013, la Cour européenne des droits de l'homme estime que ce procès n'a pas été équitable. Mais en 2014, Maurice Agnelet est de nouveau condamné à vingt ans de réclusion.
Il meurt à 82 ans en janvier 2021, en Nouvelle-Calédonie, où il avait rejoint son fils après sa libération moins d'un mois plus tôt pour raisons médicales.
Cette affaire a inspiré un film d'André Téchiné en 2014, "L'homme qu'on aimait trop", avec Guillaume Canet, Catherine Deneuve et Adèle Haenel.

Guillaume Seznec condamné puis gracié

L'affaire Guillaume Seznec reste l'une des grandes énigmes judiciaires du XXe siècle. 
Négociant en bois, Seznec quitte Rennes le 25 mai 1923 avec son ami Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, pour faire du négoce à Paris. Trois jours plus tard, il revient seul, affirmant avoir laissé, près de la capitale, Pierre Quémeneur qui préférait terminer le voyage en train. Ce dernier ne donnera plus signe de vie.
Le 4 novembre 1924, Seznec est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Il passera 20 ans au bagne, en Guyane.

Gracié par le général de Gaulle en 1946 pour bonne conduite, il rentre en métropole le 1er juillet 1947, à 69 ans. Renversé à Paris en novembre 1953 par une camionnette, il meurt trois mois plus tard.
Sa famille a poursuivi son combat pour sa réhabilitation, mais quatorze demandes de révision du procès ont été rejetées, la dernière en 2006.

Patrick Chabert, condamné puis acquitté

Le 10 juin 2003, Nadine Chabert, 34 ans, en instance de divorce, ne se présente pas à l'audience de conciliation.
Salariée dans une société de réinsertion à Istres, elle avait annoncé, à son travail, qu'en cas d'absence, il faudrait avertir la police et chercher du côté de son mari. Ce dernier, Patrick Chabert, soutient, ainsi que sa fille et la mère de la disparue, la thèse d'un départ volontaire dans une secte.
Condamné en première instance, en septembre 2010, à 20 ans de réclusion criminelle, Patrick Chabert a été acquitté le 20 décembre 2011 en appel.

Disparition d'une étudiante japonaise, un procès à venir 

Nicolas Zepeda sera jugé en appel du 4 au 20 décembre 2023 devant les assises de la Haute-Saône à Vesoul. Son procès en appel devait avoir lieu en février dernier, mais il a été reporté. Le Chilien comparait pour l'assassinat de Narumi Kurosaki, une étudiante japonaise, en 2016.  La jeune femme a depuis disparu. Son corps n'a jamais été retrouvé.

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