Les stocks du lactarium de la région, situé à Lyon, sont au plus bas. Inquiets, les professionnels tirent la sonnette d'alarme. Le lait maternel est indispensable à la nutrition et à la protection de milliers de bébés nés prématurément.
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Des frigos presque vides et des soignants assez inquiets. Nous ne sommes pas à l'Etablissement Français du Sang, qui lance régulièrement des appels aux dons pour lutter contre les pénuries, mais au lactarium de la Croix-Rousse. Plus confidentiel, le don de lait maternel n'en reste pas moins indispensable à de nombreux bébés prématurés. Mais dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, comme partout en France, le précieux liquide se fait rare depuis le début de l'année.
Des stocks qui s'amenuisent
"D'habitude on a entre 150 et 250 litres de stock, quand on est très confortable, ce mois-ci on est descendus à 30 litres, cela devient très compliqué d'approvisionner les services de néonatalogie», explique le Dr Rachel Buffin, responsable du lactarium de la Croix-Rousse. «Actuellement nous sommes à 75 litres, cela nous laisse environ dix jours d'autonomie».
"Les dons de lait ont toujours été fluctuants, un peu comme les dons du sang et on a parfois des années très fastes puis une chute brutale, sans qu'on ne l'explique forcément», raconte le Dr Buffin. Mais ce qui inquiète les professionnels, c'est que les tensions sur les stocks semblent cette fois nationales. «D'habitude la pénurie touche un ou plusieurs lactariums. Mais là, c'est très clair, elle les touche quasiment tous et on va très vite se retrouver en carence», alerte le professeur Jean-Charles Picaud, président de l’association des lactariums de France (ADLF).
Car le lait maternel dispose en France d'un statut particulier, comme le sang ou les organes. Il ne peut pas être vendu et n'est récolté que par des organismes agréés et contrôlés régulièrement, les lactariums. Répartis sur tout le territoire, ces centres sont d'ordinaire capables de s'entraider en cas de pénurie localisée. Mais lorsque les stocks sont partout menacés, même les centres où la situation n'est pas critique ne peuvent plus fournir leurs voisins.
Hors le lait maternel est un produit indispensable, parfois vital, pour de nombreux bébés nés prématurément. «Il permet à la fois de nourrir un bébé, car les prématurés ont souvent un système digestif trop immature pour le lait infantile, mais il a aussi de nombreuses propriétés anti-infectieuses», explique le Pr Picaud.Plus les bébés sont petits, plus le lait maternel est bénéfique, «car il permet de prévenir de nombreuses complications auxquelles ils sont particulièrement exposés. Il a une vraie visée thérapeutique».
En temps normal, ce lait est réservé aux enfants nés à moins de 34 semaines de grossesse et de moins de 1,8 kg. «Mais en ce moment, faute de stock, nous avons du restreindre ces critères, On doit jongler avec les services de néonatalogie pour cibler les enfants les plus fragiles». Aujourd'hui, ce sont donc les enfants de moins de 1,5 kg et nés à 32 semaines, qui sont prioritaires. Ce qui représente tout de même environ 10 000 enfants par an en France.
Une pénurie liée à Omicron
Alors comment expliquer cette pénurie généralisée ? «C'est difficile à dire», reconnaît le Dr Buffin. Evidemment, le lien avec Omicron est assez tentant. «C'est notre première hypothèse, reconnaît le Pr Picaud. Avec la désorganisation de la société liée au nombre important de contaminations, on peut comprendre que certaines mamans aient été submergées par d'autres problématiques : la garde d'enfants, la fermeture des écoles, le travail etc...».
Le professeur reconnaît que le don de lait maternel demande tout de même du temps et de l'organisation. «Lors du tout premier confinement, on a plutôt eu une hausse de dons, les mamans sont restées chez elles, il y avait une forte volonté d'entraide. Mais là, peut-être que les gens sont entrés dans une certaine morosité», propose le Dr Buffin pour expliquer ce creux soudain. En plus de cela, certaines fausses informations ont circulé sur les réseaux sociaux. Les professionnels tiennent donc à rappeler que la contamination au covid, ainsi que la vaccination ou la non-vaccination, ne sont pas des contre-indications au don de lait.
Un appel aux dons
Pour faire face à cette situation, les professionnels ont donc lancé un appel au don, au niveau national. Et depuis quelques jours, les stocks remontent lentement. Une très bonne nouvelle, pour le lactarium de la Croix-Rousse, mais qui s'accompagne d'une surcharge de travail. «Nous avons reçu de très nombreux appels», salue le Dr Buffin, mais avec le manque de personnel, il est difficile de répondre à toutes les sollicitations. «La problématique, c'est que nous avons de nombreux appels au départ, mais au final, il y a peu de mamans qui sont vraiment éligibles ou qui vont rester donneuses très longtemps» ajoute le docteur, puisque par définition, le don de lait maternel reste limité dans le temps.