"C'est malaisant", "J'avais envie de mettre un drap sur la statue" : des habitués d'Emmaüs souhaitent la disparition des symboles de l'abbé Pierre

Après une première vague de révélations en juillet dernier, la Fondation Abbé Pierre a publié le 6 septembre un nouveau rapport incriminant le célèbre créateur du mouvement, de 17 faits de violences sexuelles supplémentaires. À Emmaüs Vénissieux près de Lyon, la plupart des bénévoles et clients sont gênés par la présence des symboles de l'abbé Pierre.

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Dans les allées du grand bric-à-brac de 3000 m² à Vénissieux, les clients habitués d'Emmaüs sont nombreux ce 7 septembre pour une grande vente ce samedi matin. Au milieu de l'entrée, la statue de l'abbé Pierre trône, la main tendue. Réalisée en inox à taille humaine, la représentation de l'homme d'Eglise très réaliste y est installée depuis 2020. Les structures du mouvement Emmaüs doivent-elles se défaire de tous les symboles liés à l'abbé Pierre ?

Débats et incompréhension

Au lendemain de nouvelles révélations mettant en cause l'abbé Pierre, la question se pose parmi des clientes du magasin Emmaüs. Entre deux achats, Lisa débat avec une autre habituée sur le fait que "l'amnésie traumatique fait qu'on peut subir une agression en étant jeune et notre mémoire l'efface puis le souvenir peut revenir". Sa voisine doute : "Mais pourquoi l'abbé Pierre ?". "Il se passe beaucoup de choses peu reluisantes dans l'Eglise et ce depuis longtemps, et on peut faire des actes merveilleux et être horrible dans le privé.", renchérit Lisa. Elle se dit "triste et déçue" d'un homme qu'elle a admiré mais souligne le "courage" de la Fondation et du groupe Egae qui a mené le travail d'écoute auprès des victimes. Pour Lisa, pas question de cesser de fréquenter les organisations Emmaüs, "une super association", qui se démarque de son créateur.

D'autres clients ne partagent pas cette opinion, loin de là. "C'est un grand homme qui a fait beaucoup de choses, on doit donner le temps à la justice de trancher pour savoir si ces témoignages sont avérés", estime un quadragénaire accompagné de ses enfants. Dans l'allée suivante, un autre homme abonde et va plus loin : "C'est un scandale, on veut le salir avec des témoignages qui surviennent après sa mort ! Quand je fais la balance entre son œuvre et des comportements peut-être déplacés, je refuse qu'on enlève sa statue". L'homme s'excuse en partant, son opinion n'allant "pas dans le sens du courant", tout en reconnaissant "ne pas s'être intéressé" aux différents témoignages en question.

"Ce n'est plus possible"

Tous les habitués ne sont pas au courant du contenu du rapport dévoilé la veille par la Fondation abbé Pierre et Emmaüs France. Ce dernier fait état de 17 témoignages sur une période longue de plus de cinquante ans, des années 1950 à 2000 et présente des faits "graves d'une autre nature", comme des contacts sexuels répétés sur une personne vulnérable, des baisers forcés et autres contacts sexuels sur une enfant âgée de 8 à 9 ans.

Des faits qui révoltent plusieurs clients interrogés. "Mais qu'il se barre (sic), bien sûr qu'il faut dégager cette statue ! C'est une œuvre d'art mais ce qui m'ennuie c'est qu'on laisse le visage de l'abbé Pierre", s'insurge une acheteuse. Un peu plus loin, une mère de famille se dit très gênée de voir la statue encore présente. "Quand on dit que la honte doit changer de camp, que les victimes doivent être reconnues car elles sont encore vivantes, c'est malaisant de voir cette statue." À ses côtés, son conjoint approuve : "Il a fait des choses horribles, la Fondation a bien fait son travail et a écouté les victimes et pense à changer de nom, donc il ne reste que les symboles à enlever".

Au niveau national, le conseil d’administration d’Emmaüs France a décidé de proposer le retrait de la mention "fondateur abbé Pierre" du logo d’Emmaüs France à l’occasion d’une Assemblée générale extraordinaire, qui se réunira au mois de décembre prochain.

"On peut se passer de la figure de l'abbé Pierre"

Derrière la caisse, Christiane, a été celle qui a annoncé les dernières révélations à ses collègues bénévoles en arrivant ce matin. "Ce n’est pas le premier, ce n'est pas le dernier, on est surtout touchés parce qu'on est une communauté", explique-t-elle. Fabien Audoin, responsable adjoint de la communauté Emmaüs à Vénissieux hoche la tête, soulagé car la Fondation a pris la parole sur ces révélations. "Personnellement, j'avais envie de mettre un drap sur la tête de la statue en arrivant ce matin. On peut se passer de la figure de l'abbé Pierre", confie le responsable.

Pourquoi est-ce si difficile de trancher ? "Il a longtemps été la personne préférée des Français, des compagnons et des bénévoles l'ont rencontré et il est considéré comme un sauveur par beaucoup tandis que les jeunes générations sont moins touchées et plus conscientes des violences faites aux femmes", analyse Fabien Audoin.

Christiane affirme qu'il faut "dissocier l'homme de son œuvre". En réalité selon elle, "le nom de l'abbé Pierre n'a pas d'importance pour la communauté. Les compagnons continuent, on va évoluer et cela ne nous touche pas dans notre travail d'accueil des personnes vulnérables". Elle reste en colère et déçue. "Je ne l'aurai pas mis dans ma liste des futurs coupables, l'abbé Pierre avait une image très marquante.", affirme Christiane dont l'engagement quotidien n'est pas remis en cause.

Avoir une réflexion et une politique quant à réduire l'image de l'abbé Pierre c'est important, c'est respecter les victimes que l'on ne doit pas oublier.

Christiane

bénévole à Emmaüs Vénissieux

Des discussions en interne vont être organisées pour revoir tous les outils de communication. Depuis le début de l'été, un sondage a été mené parmi les 80 compagnons de la communauté à Vénissieux : colère, tristesse et déception, le ressenti est quasi unanime. Car derrière la figure publique et célèbre de l'abbé Pierre, des milliers d'anonymes œuvrent dans le mouvement. Un combat "de tous les jours contre la pauvreté" que les bénévoles savent essentiel et souhaitent ne pas voir disparaître.

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