Changement climatique. "C’est notre autonomie alimentaire qui est en jeu” : de grands chefs choisissent les légumes de demain

Comment va-t-on se nourrir demain ? Comment adapter notre alimentation, nos légumes, nos céréales, au changement climatique ? Des maladies qui ravagent les récoltes, aux vagues de gel et aux canicules, l'enjeu est de taille. A la ferme Melchior près de Lyon, des espèces plus résistantes et nourrissantes passent le test du goût.

Ils ont parfois des noms qui font rêver, comme le "tendre de Chateaurenard". Et parfois, un peu moins : "le giraumon galeux d'eysines" ou "le poivron museau de bœuf"...

Variétés anciennes, oubliées, cultivées à l’autre bout du monde ou tombées en désuétude depuis le XIX° siècle, elles ont toutes plusieurs points en commun : un goût exceptionnel, une résistance aux conditions climatiques et une relative confidentialité. 

C’est la raison pour laquelle le CRBA, le Centre de ressources de botanique appliquée, fait appel aux plus grands chefs de la région pour les remettre au goût du jour.  

Définir l'autonomie alimentaire de demain

L’institut, installé sur les hauteurs de la Métropole lyonnaise, dans une ancienne maison des champs de Charly, collecte, conserve et expérimente des espèces "adaptées aux changements climatiques" depuis plusieurs années. Il y a toute un tas de variétés qui s’adaptent mieux à des à-coups de chaud, de froid, de sec, d’humide...”, explique Stéphane Crozat, ethnobotaniste et directeur du CRBA. On a collectionné des espèces au sud de la Russie ou au Daghestan... Là-bas, l’amplitude thermique va de -20° à 53°, et ils ont des variétés de melon ou de pastèque qui fructifient à ces températures-là. Nous, on n’a rien, donc ces espèces il faut les tester et c’est comme cela qu’on va s’adapter. C’est notre autonomie alimentaire qui est en jeu”.  

Ici, rien ne ressemble à ce que l’on peut voir dans un potager traditionnel : les tomates ressemblent à des poivrons, les poivrons à des aubergines et les melons à des courges... ou bien c’est l’inverse. Dans un espace de 500 m2, après une longue étape d’acclimatation et de sélection, on cultive la crème de la crème, sans herbicide ni pesticide.

On l’appelle le Potager des Chefs. Des 52 variétés de tomates testées par le CRBA, 6 espèces - aux qualités gustatives particulières - ont été présentées à des ambassadeurs de premier choix : des chefs cuisiniers.  

“L’idée, c’est d’affiner notre sélection grâce à leurs avis, parce qu’in fine, les variétés vont être produites dans la ferme semencière et distribuées à tous. Nous, on est là sur la partie agronomique, scientifique, résistance au froid, au sec, aux maladies, comment ça se comporte, etc... On fait tout ce travail qui prend des années, et si au bout du bout, ce n’est pas bon, c'est inutile”, explique encore Stéphane Crozat.  

Des varietés parfois anciennes, mais plus riches 

Chacune des variétés proposées a été testé et sélectionnée par plusieurs publics : agriculteurs, maraichers. “Au CRBA, on fait de la sélection participative. Par exemple, les maraichers du coin recherchaient des tomates de plein champ, qui poussent sans tuteur, pour faire du coulis, donc on a sorti toutes nos variétés en stock au conservatoire et on va trouver celle qui correspond le mieux à ces besoins”, explique Victor Durand, chef d'exploitation de la Ferme Melchior.  

La plupart de ces espèces ont été retrouvées et ramenées du Caucase depuis la création du partenariat avec la station Vavilov de Saint-Petersbourg, la plus ancienne banque de graines au monde. 

“L’objectif, c’est de faire découvrir à ces chefs des variétés que l’on pense exceptionnelles et c’est grâce à leur palais d’exception qu’on pourra prouver ou pas qu’elles sont meilleures que les variétés hybrides que l’on mange aujourd’hui”, ajoute Victor Durand.  

Car aujourd'hui, selon la FAO (l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture), 90% de nos ressources alimentaires proviennent de seulement 15 espèces de plantes différentes (riz, blé, maïs...) et 80% des légumes et céréales cultivés il y a cinquante ans ont disparu. Une étude canadienne a par ailleurs démontré qu’une pomme des années 50 comportait 100 fois plus de vitamines que les variétés hybrides d’aujourd’hui. 

L'épreuve du goût 

Alors au moment de la dégustation, c’est avec enthousiasme que les chefs exercent leurs palais exigeants. Il y a plein de choses que l’on n’a pas l’habitude de voir ici, des melons, des courges des choses avec des formes particulières, ça me met la puce à l’oreille et l’eau à la bouche”, témoigne Jean-Rémy Caillon, chef de l'Alpage à Courchevel (Savoie), avant d’activer ses papilles et faire marcher ses méninges.

Distillation, infusion, caramélisation, ces nouvelles variétés ouvrent un univers de possibles.  “C’est très sucré, raconte Jean Rémy Caillon en croquant un légume rouge, là on peut aller s’amuser avec des fraises, en dessert par exemple, avec un  peu de vanille, et avoir une autre vision du poivron, c’est rigolo..."

Et il va parfois falloir preuve d’imagination, car toutes les variétés n’ont pas toujours un aspect séduisant, comme ce melon couvert de bulbes blanchâtres. Aujourd'hui, on va trouver ce qui va nous donner à manger dans les 250 années qui viennent. Et il va falloir changer de critère, ce n’est pas la beauté que l’on doit trouver, ce qui est peut-être le cas aujourd’hui, mais le gout renforcé de toutes ces céréales, de tous ces fruits”, s’enthousiasme le chef Alex Alexanian.  

C’est pour cela que l’on a besoin des chefs. Ils ont un message à porter. L’urgence climatique s’accélère et on a besoin d’ambassadeurs. Il va falloir éduquer le consommateur, faire de la pédagogie. Par exemple, on est tous habitués au melon bien orange, bien ferme, bien sucré, mais ils ont tous le même goût, nous on a des variétés avec des goûts de banane, de fruits rouges, des chaires roses, blanches, toutes sortes de couleurs et en fait, c’est délicieux”, conclut Stéphane Crozat, du CRBA.  

Le centre espère recruter des dégustateurs plus pérennes pour l’année prochaine, afin qu’ils puissent venir tester régulièrement les variétés, tout au long de leur sélection. 

Avec Valérie Benais

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