Il fut l'un des chefs renommés de Lyon, derrière les fourneaux de son restaurant étoilé Michelin "l'Alexandrin". Jamais à court de projets, il se passionne aujourd'hui pour la création de boissons mêlant le thé et les herbes. Alain Alexanian évoque avec gourmandise ses racines arméniennes dans "Vous êtes formidables".
Il est « le chef à la veste orange ». Alain Alexanian revendique cette tenue si…distinctive. « Je suis d’origine arménienne. Le drapeau est rouge, mes lunettes aussi… et ma tenue est orange et bleue », sourit-il…
Des souvenirs lui remontent de Limonest, où il a grandi : « C’est ma grand-mère arménienne qui m’a donné les premières effluves. Elle me disait : on est en France, on fait la poule au pot » se souvient-il. « Pour elle, c’était typiquement français. Et, à côté, elle faisait son riz pilaf à l’arménienne, pour bien me montrer qu’il existait des choses à ne pas oublier. Les deux enracinements étaient là. Elle versait le bouillon sur le riz… Ca faisait une fumée absolument formidable ! C’était les chutes du Niagara avec le volcan, derrière. Tout ça m’a donné, à la fois, le goût de la cuisine et l’envie d’aller un peu plus loin sur le sentier de l’Arménie. »
Et il décide d’allier son lieu de naissance qu’est Lyon et celui de ce pays. « Entre les traditions, les herbes, les épices, les diverses façons de manger… tout cela m’a amené, probablement, à être un peu atypique. » La capitale Erevan est le berceau de sa famille, à 150 kilomètres d’Istanbul. Une ville riche de 1800 ans d’histoire, et qu' Alain a découvert il y a seulement 20 ans.
Avec un peu de déconvenue. Il n’a pas retrouvé là-bas la cuisine méditerranéenne qu’il espérait. « Même physiquement, c’était montagnard… Mais attention : ce n’était pas une déception. Mon sang est 100% arménien. Je me dis que, de toute façon, je le serai, là-bas.»
Le Caucase est rempli d’herbes sauvages. Et puis tout ce qui est courges… les potimarrons, les gombos
Alain a lui-même enseigné la cuisine, sur place. Il a ainsi incité les femmes à cuisiner, en dehors de chez elles. « Tous les métiers, là-bas, sont essentiellement masculins. J’ai exigé que 50% de mes élèves soient des femmes. Elles ont besoin d’en faire un métier. C’était ma part des choses dans ce pays. »
365 petites graines
La cuisine arménienne, ce sont aussi des ingrédients spécifiques. « Beaucoup d’herbes, car c’est un pays de montagnes. Le Caucase est rempli d’herbes sauvages. Et puis tout ce qui est courges… les potimarrons, les gombos » énumère-t-il « Plus ça va, plus elle incorpore une diversité de légumes. Et puis il y a deux emblèmes : l’abricot et le grenade. » Chaque grenade comprend 365 petites graines, dont les arméniens disent « On en mange une par jour et cela nous suffirait presque ».
Autre légume incontournable, l’aubergine, ou le poulet. « Ma grand-mère les retrouvait ici. Elle s’est donc adaptée, tout en conservant toutes ces épices et herbes. Elle a conservé sa façon de faire du pain, qu’elle mettait juste sur plaque, sans vraiment le cuire. Il fallait juste que ça sente le grillé… » Cette culture culinaire, sur laquelle il est intarissable, est devenue progressivement la sienne. « C’est tout ce que j’aime, tout ce que j’ai appris avec mes maîtres, dont elle a fait partie, et puis ce que je trouve aujourd’hui. »
si la passion commence à devenir un métier, il faut arrêter ce métier et en embrasser un autre
Aujourd’hui, pour Alain Alexanian, c’est Lyon. L’hôtel-Dieu, lieu de sa naissance et de renaissance. « C’est là où vécut Rabelais ! » s’enflamme-t-il. « Il a écrit Pantagruel là-bas, et Gargantua. C’était un médecin.» Cet ancien hôpital est devenu le siège de la Cité de la gastronomie « et c’est là où je suis né ! Tout est dit ! » plaisante Alain.
Après 15 ans de succès, il quitte les fourneaux
Il ne pouvait échapper à son destin. Quand il était tout petit, sa grand-mère, encore, lui avait acheté un petit tabouret pour qu’il puisse regarder tout ce qu’il se passait dans sa cuisine. « Ensuite c’est passionnel. On ne sait plus que c’est un métier. D’ailleurs, si la passion commence à devenir un métier, il faut arrêter ce métier et en embrasser un autre. »
Ainsi explique-t-il les raisons de son évolution : « J’ai voulu exercer ma passion d’une façon différente ». Ouvert en 1986, son restaurant « l’Alexandrin », qui a arboré un macaron Michelin pendant 15 ans, appartient désormais, lui-aussi, à son passé… Il en quitté les fourneaux, sans regrets. « C’est juste une autre façon de continuer ma vision. Le monde fantastique est à l’extérieur. Quand on a eu la chance de voir sa passion mise au service des autres, c’est formidable. »
Créateur de boisson au thé
Aujourd’hui, il estime qu’il n’a pas tout trouvé dans son métier. « Le thé en fait partie, et en particulier le mélange avec les herbes. » En 2006, il devient donc consultant culinaire agréé. En 2010, il crée « Kamelya, l’art du thé à la française », qui lui permet de "vendre environ une tonne de thé par an".
Pour lui, la réussite ne se résume pas seulement à cela. « Griffer des herbes d’une région pour en faire une boisson unique, inédite sans le monde entier, c’est extraordinairement beau ! Quand vous allez dans la Loire, ou la Haute-Loire, que vous voyez tout ce qui pousse, c’est un monde extraordinaire. » Et l’ensemble le rattache à sa passion, liant la délicatesse acquise en cuisine… au raffinement de la boisson. « Je pense que je n’aurais pas pu découvrir tout cela si je n’avais pas été cuisinier avant » résume-t-il.
Concernant l’avenir, pas d’inquiétude pour cet amoureux du thé, dont les multiples projets infusent en permanence. Parmi eux, travailler avec les enfants « Leur apprendre à s’approcher de la nature, mieux la comprendre et connaître les animaux qui entoure les plantes. Comprendre comment une herbe peut devenir une fleur, puis un fruit. L’enfant est un peu perdu dans les villes aujourd’hui » conclut Alain Alexanian.
REPLAY : Voir ou revoir "Vous êtes formidables" avec Alain Alexanian