Selon plusieurs plannings familiaux en Auvergne Rhône Alpes on assiste à une montée en puissance des idées anti-avortement. Malgré l'allongement des délais, le parcours de l'IVG reste semé d'embuches notamment pour les habitantes de zones rurales.
"Dans la Drôme on est plutôt bien outillés par rapport aux délais d'accès à l'avortement", quand Annik Lemarchands, responsable du planning familial amorce la discussion, le ton est plutôt rassurant voire optimiste.
Les délais sont passés de 12 à 14 semaines de grossesse (16 semaines d'aménorrhée) depuis la loi du 2 mars 2022. Or rapidement un premier problème de taille apparaît." Car ç'est loin d'être évident pour tout le monde" regrette Annik Lemarchands. Cette remarque laisse entendre que tout le monde n'adhère pas à cette décision si bien que certains hôpitaux ne le pratiquent pas. Le constat est partagé par les plannings familiaux du Rhône et de l'Ardèche. "Dans le Rhône, cet été une trentaine d'IVG ont été réalisées dans ces délais" précise du Valérie Radix du planning familial du Rhône, "c'est une bonne chose. Mais la liste des hôpitaux qui pratiquent ces IVG entre 12 et 14 semaines de grossesse est encore limitée. Il faut le temps que ça se mette en place."
"Il se pourrait que certains hôpitaux refusent de le faire ou ne s'en donnent pas les moyens" prévient Annik Lemarchands. Dans un rapport qui a abouti à l'allongement des délais de recours à l'IVG, les observateurs ont en effet pu constater que certains hôpitaux refusaient de pratiquer des avortements à la fin des délais légaux.
Il n'est plus concevable qu'en fonction des convictions du chef de service de tel ou tel hôpital, aucune offre d'orthogénie ne soit assurée ou que l'établissement public refuse d'assurer les IVG entre dix et douze semaines de grossesse, alors que le délai légal n'est pas dépassé. Il s'agit là d'une protection essentielle pour les femmes les plus vulnérables qui ne peuvent s'adresser à une clinique privée ou se rendre à l'étranger, pour des raisons d'information et de coût. L’offre de soins ne doit pas être à géométrie variable et chaque hôpital public doit être tenu d’assurer la prise en charge des IVG puisqu’il s’agit d’un droit reconnu à toutes les femmes par la loi.
Rapport d'information sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, fait par Marie-Noëlle BATTISTEL et Cécile MUSCHOTTI, Députées
Des inégalités territoriales
Là où il faut être vigilants, c'est que de plus en plus de médecins partent à la retraite, souligne Annik Lemarchands. En Ardèche, la responsable locale du planning familial cite deux médecins dans le département qui pratiquent des IVG médicamenteuses en libéral.
Mais du Cheylard à Lamastre par exemple il y a au moins 35 minutes de voiture, "alors parfois c'est moi qui les emmène" raconte la militante locale. "Et le problème c'est qu'on préconise d'avoir un hôpital de référence à moins d'une heure pendant les deux jours qui suivent la prise de médicament. Nous n'avons pas d'hôpital de référence à moins d'une heure, alors comment faire?"
Les professionnels en appellent donc à l'Agence Régionale de Santé pour qu'il y ait un accès au droit à l'IVG plus égalitaire sur le territoire.
La montée des théories "pro-vie"
Au delà de l'offre de santé, le droit à l'IVG selon plusieurs observateurs peut également être fragilisé par la montée des idées anti-avortement.
Un numéro vert national, le 0 800 08 11 11 a été mis en place pour répondre aux questions de santé sexuelle et notamment à celles des femmes enceintes qui souhaitent avoir recours à l'IVG. Beaucoup d'appels témoignent de discours culpabilisants de la part de professionnels de santé.
"Vous n'aviez pas pensé à la contraception?" "Regardez le cœur bat parfaitement !" Et votre conjoint, il a peut-être son mot à dire?" ce genre de phrases sont récurrentes selon de nombreux témoignages.
"Mais on ne veut pas généraliser" tempèrent toutes les interlocutrices des plannings familiaux que nous avons contactées. Les professionnels de santé sont leurs alliés et elles appellent de leurs vœux des formations plus poussées sur la santé sexuelle.
Parmi les freins au droit des femmes à l'avortement, elles notent également une montée en puissance des idées anti-IVG inspirés des Pro-Life américains. Leurs méthodes consistent à la fois à diaboliser l'avortement mais également à investir les réseaux sociaux pour convaincre les femmes de ne pas avorter.
"Ces mouvements d’opposition à l’IVG sont également présents en France, organisant chaque année depuis le milieu des années 2000 des marches pour la vie qui réunissent ainsi de manière très visible les opposants à l’avortement " précise le rapport remis en 2020 à l'Assemblée Nationale.
"A Valence nous avons reçu des revues anti-avortement dans des dizaines de boites aux lettres" s'insurge Annik Lemarchands, "et ce n'est pas un cas isolé. Ce qui se passe aux Etats-Unis donne des ailes aux anti IVG" selon la militante.
En France, les députés se pencheront, fin novembre, sur la proposition de loi de la majorité, visant à inscrire ce droit dans la Constitution. Malgré l’allongement du délai légal à quatorze semaines de grossesse, depuis la loi du 2 mars, des inégalités d’accès à l’IVG demeurent, selon le profil des femmes ou encore leur lieu de résidence.