Une jeune fille victime de harcèlement scolaire témoigne. Elle raconte son quotidien, sa scolarité gâchée, ses doutes et ses espoirs. Et ses tentations suicidaires. Le rectorat répond en évoquant le temps nécessaire pour traiter ces situations délicates.
Anaïs a 12 ans, elle est en 5ᵉ, au collège Louis Lachenal de Saint-Laurent-de-Mure dans le Rhône. Elle souffre d'une maladie infantile rare et fait partie de ces enfants dits à "haut potentiel intellectuel".
Déjà éprouvée à son entrée en 6ᵉ, la jeune fille a continué sa scolarité. C'est en début d'année de 5ᵉ que les choses ont dégénéré. L'une de ses amies s'est transformée en son ennemi, de façon insidieuse. D'abord physique, "je me faisais pousser", le harcèlement est devenu psychologique : mise à l'écart, dénigrement, isolement à la cantine et ostracisation dans la cour. Un groupe de classe parallèle a même été créé sur WhatsApp, “La vraie 5B”, dont Anaïs est la seule élève à être exclue.
Après deux hospitalisations, elle est déscolarisée depuis janvier. Elle bénéficie de neuf heures de cours par semaine, dont trois assurées par l'Éducation nationale. Le plus souvent à distance, elle se rend une fois par semaine dans l'établissement, le soir, après le départ des autres élèves. L'occasion pour cette élève en classe bilangue (anglais-allemand) de ne pas perdre ses acquis dans la langue de Goethe.
Je reste enfermée chez moi. Je fais mes devoirs. Ça me fait beaucoup de peine, j'aime sortir, voir des amis. Je faisais des activités, mais j'ai dû arrêter, car des rumeurs circulaient sur moi. Je ne peux plus y aller.
Anaïs, victime de harcèlement
Dans le salon familial, sa maman, assise à ses côtés, prend la suite. Elle regarde un papier posé sur la table, face à elles. "Ma fille se plaignait des actes de l'une de ses amies. Un jour, c'est allé trop loin. Elle m'a écrit un mot." À ce moment-là, la mère prend conscience de l'urgence et de la gravité de la situation.
Je n'en peux plus, je me demande si ça vaut encore la peine de vivre.
Le mot qu'Anaïs a écrit à sa mère
"Un sentiment d'abandon"
Collège et rectorat sont prévenus, mais les réactions semblent longues pour la famille. Pire, la maman éprouve un sentiment d'abandon, dénonce un certain laxisme. "J'ai eu la naïveté de croire que le collège allait faire quelque chose, mais c'est toujours pareil : c'est à la victime de s'en aller". Car, dans le cas d'Anaïs, la solution proposée par l'institution est de la déplacer vers un autre établissement. Pas facile pour cette famille isolée en milieu rural : les autres collèges aux alentours sont trop éloignés ou leurs classes déjà surchargées.
En cette fin d'année scolaire, nouveau problème. Anaïs n'a plus de notes, pas d'évaluation. Une situation problématique pour celle qui se rêve chercheuse en neuropsychologie. Sur la table du prochain conseil de classe ce jeudi : son potentiel redoublement. "Ce n'est pas une option pour moi, ça serait injuste", explique la jeune fille.
Depuis des mois, Anaïs reste chez elle. Elle passe beaucoup de temps à écrire. "Des petits textes, ça fait du bien. Je parle de fragilité, je parle de moi, de l'être humain en général avec des métaphores de fleurs." À ses côtés, il n'y a plus que ses parents. Sa mère, stressée par la situation, est aujourd'hui en arrêt maladie.
Les fleurs ressemblent à l'être humain. Elles sont fragiles, belles. C'est un être vivant dont il faut faire attention.
Anaïs, victime de harcèlement
Le principal du collège n'a pas souhaité s'exprimer sur ce dossier. Il renvoie sur le rectorat de Lyon. Là, le référent harcèlement explique les démarches et comprend l'inquiétude des familles. "Le temps peut sembler long, mais tous les dossiers sont traités" selon lui. Dans le cas d'Anaïs, "tout a été mis en œuvre", ajoute-t-il. "Mais dans certaines situations, il arrive que le harcèlement rebondisse, et ça repart". Il faut alors prendre du temps pour "aborder la problématique sur le fond". Pourtant, la harceleuse, présentée comme une élève brillante, "au comportement exemplaire", n'aurait toujours pas été sanctionnée.
À l'avenir, dans les écoles, on pourra déplacer les harceleurs alors que la tendance jusqu'à maintenant, c'était de déplacer les victimes pour les mettre en sécurité. Mais il faut tenir compte de l'avis des familles. Parfois, elles préfèrent que leur enfant soit déplacé. Il faut prendre le temps d'écouter.
Damien Durand, référent harcèlement au rectorat de Lyon
Cette semaine, le ministre de l'Éducation nationale a demandé que dans tous les collèges une heure soit consacrée au harcèlement. Des numéros de téléphone sont à la disposition des familles (le 3020 pour le harcèlement à l'école et le 3018 pour le cyberharcèlement). Des informations détaillées sont disponibles sur le site du ministère de l'Éducation nationale.