C'est l'histoire d'une chargée de clientèle du Crédit Agricole qui accuse son directeur d'agence de l'avoir harcelée moralement et sexuellement sans que sa hiérarchie intervienne. Depuis trois ans, la jeune femme est en arrêt maladie. L'affaire a été examinée par les prud'hommes de Lyon.
"Il m'a fracassée, jusqu'à ce que je ne puisse plus rebondir". La vie de cette jeune femme, chargée de clientèle dans une agence bancaire du Crédit Agricole à Décines a basculé à l'arrivée d'un nouveau directeur. Elle accuse ce dernier de l'avoir harcelée moralement et sexuellement. Malgré ses appels à l'aide, sa hiérarchie n'a pas bougé. La jeune femme a porté l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Lyon. Le dossier était examiné ce mercredi après-midi, 24 janvier.
Harcèlement et discrimination
Elle avait de bonnes relations avec les clients et remplissait ses objectifs commerciaux. Son travail donnait entièrement satisfaction. Jusqu'à l'annonce de sa grossesse. La conseillère, qui était jusque-là complimentée, a alors vu ses notations se dégrader et sa rémunération globale être diminuée.
Ces mesures discriminatoires, elle finit par s'en plaindre auprès de sa hiérarchie. Mais ses dénonciations seraient restées lettre morte. La jeune femme se dit également victime de harcèlement moral et sexuel. Elle a expliqué subir des mots et gestes déplacés. Parfois difficiles à prouver. Entre-temps, la santé de la jeune femme s'est dégradée. Aujourd'hui, elle souffre de troubles anxio-dépressifs sévères. Des troubles associés à des pathologies telles que des lésions cardiaques et dermatologiques. Impossible pour la chargée de clientèle de travailler. Depuis plus de trois ans, la jeune femme est en arrêt maladie. La MSA lui a même accordé le statut de travailleur handicapé.
Isabelle Chaduc, élue CFDT au Crédit Agricole Centre-Est, pointe du doigt la responsabilité de l'employeur. "On parle de harcèlement moral, harcèlement sexuel ou de propos sexistes sur des périodes longues et on la laisse toute seule (...) Bien sûr qu'elle est détruite. Vous vous retrouvez toute seule, isolée, avec un employeur qui nie tout rôle. Or, ils ont été actifs puisqu'ils ne l'ont pas écoutée, ils n'ont pas fait en sorte que ça ne se produise pas. Ce sont des situations qui ne sont pas tolérables".
De son côté, la direction du Crédit Agricole indique avoir diligenté deux enquêtes internes pour ces faits de harcèlement moral et sexuel. "Les signalements de cette salariée ont été entendus. Ces deux enquêtes paritaires ont été confiées à un cabinet externe et indépendant. Elles ont conclu à une absence de harcèlement", indique la directrice de communication de la banque. Les deux enquêtes ont fait l'objet de débats devant les conseillers prud'homaux.
Prud'hommes
La jeune femme s'est décidée à porter l'affaire devant le conseil des prud'hommes de Lyon. Elle réclame aujourd'hui la résiliation judiciaire de son contrat. Mais c'est une plaignante traumatisée et brisée qui s'est présentée ce mercredi après-midi à l'audience. "Moralement détruite", il lui a fallu beaucoup de soutien pour qu'elle arrive jusqu'au conseil des prud'hommes. Cette dernière, qui a souhaité rester anonyme, espère obtenir la résiliation de son contrat au tort de l'employeur.
Pour les syndicats, cette affaire est symbolique. "C'est un dossier qui est extrêmement emblématique, dans la durée des faits, dans l'accumulation des preuves, dans le silence et l'inaction de l'employeur, dans le niveau d'atteinte à la dignité et à l'état de santé de l'employée," assure Sonia Paccaud, secrétaire régionale de la CFDT.
"C'est un énorme dossier avec beaucoup de manquements. On espère que le Conseil de prud'hommes sera attentif et reconnaîtra le statut de victime de ma cliente", déclare Me Garance Genet, l'avocate de la jeune femme.
Image vertueuse
Charte éthique et code de bonne conduite seraient souvent une façade, "de la communication", dénoncent les syndicats. "Le Crédit Agricole veut renvoyer une image vertueuse, comme beaucoup d'entreprises. Mais malheureusement, cette image vertueuse qu'il veut renvoyer à l'extérieur est beaucoup moins jolie à l'intérieur. On a des cas réguliers de collègues en souffrance, de collègues qu'on ramasse à la petite cuillère", assure Stéphane Bonnaud, délégué Force Ouvrière au Crédit Agricole Centre-Est.
Des maladresses, des dysfonctionnements, des loupés peut-être, reconnaît le défenseur de la banque. Mais les allégations de harcèlement et de discrimination à l'état de grossesse sont diffamatoires, indique ce dernier. Elles visent à réclamer d'importants dommages et intérêts, d'après l'avocat du Crédit Agricole.
La direction du Crédit Agricole Centre-Est tient aussi à souligner que la plainte au pénal de cette salariée a été classée sans suite. À l'issue de trois heures d'audience, les conseillers prud’homaux ont décidé de prendre jusqu'au 15 mai pour réfléchir à leur décision.