L'Etat est "responsable" de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique, a estimé mercredi la justice administrative, une décision saluée comme "historique" par les ONG qui attaquaient la France pour son inaction, et par l'un des témoins, agriculteur à Grignan (Drôme).
"A hauteur des engagements qu'il avait pris et qu'il n'a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, l'État doit être regardé comme responsable (...) d'une partie du préjudice écologique constaté," écrivent les juges du tribunal administratif de Paris à l'issue de deux années de procédure.
Mais ils se sont donnés un délai supplémentaire de deux mois pour étudier la demande des ONG d'enjoindre à l'Etat de prendre des mesures pour respecter ses propres engagements en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
"Un premier pas" pour Maurice Feschet, agriculteur à Grignan
Une première victoire qui réjouit notamment Maurice Feschet, 75 ans, et sa famille d'agriculteurs, basée à Grignan, dans la Drôme, où elle produit de la lavande depuis cinq générations. Très impacté par les effets de la sécheresse sur son exploitation, il s'est porté témoin dans cette action menée par ces ONG.
En 2018, avec onze familles de différents pays, (éleveurs de chèvres au Kenya, apiculteur au Portugal notamment) il a également déposé plainte auprès de la cour de justice européenne (CJUE) contre le parlement et le conseil européen pour "inaction climatique".
Pour lui, c'est un premier pas : "Ce n'est pas qu'une réponse positive. Nous on avait réclamé un euro symbolique et on ne l'a pas obtenu." explique-t-il. En effet, le tribunal a également rejeté la demande des ONG d'une réparation d'un euro symbolique pour ce préjudice écologique, pour des raisons d'ordre juridique sur la nature des réparations exigibles. Il leur a par contre accordé un euro symbolique au titre du préjudice moral. "Mais ce n'est pas fini ! Et puis cette décision, c'est bien. On avait fait cette action parce que l'Etat avait promis qu'en 2020, on aurait 21% d'énergie renouvelable en France, et on est toujours autour de 13%. C'est l'urgence climatique qui nous a poussés à le faire! Depuis les cinq dernières années, on voit bien que cela va très vite. Inutile d'être agriculteur pour voir que, chaque semaine, se produit une catastrophe naturelle quelque part. On veut que l'Etat français prenne des dispositions."
Il faut commencer à se poser des vraies questions.
A 75 ans, Maurice Feschet poursuit avec ferveur ces combats, mais pas pour son cas personnel : "Moi, à mon âge, je n'ai plus rien à perdre. Même si demain ça sèche, mes chrysanthèmes mourront et voilà." plaisante-t-il. "En revanche, je suis inquiet pour mes enfants. A la ferme, on s'est transmis l'affaire de père en fils. Même si on ne vit pas très grassement, j'aimerais que mes petits-enfants puissent continuer à survivre. On a voulu faire beaucoup de bruit pour que l'Etat bouge, et, avec lui, tous les pays du monde. Si on prend de la place dans les medias, c'est pour avertir aussi les gens. Ceux qui vivent en ville au milieu des immeubles ne se rendent pas forcément compte. Il faut commencer à se poser des vraies questions. Je pense qu'on peut continuer à garder notre niveau de vie, mais en gérant différemment les ressources que l'on a. Tout le monde doit participer !" conclut-il.
Les ONG très satisfaites
"HISTORIQUE : l'inaction climatique de l'Etat est jugée ILLÉGALE !", ont rapidement tweeté en réaction les ONG requérantes, regroupées sous la bannière "l'Affaire du siècle" (Notre Affaire à tous, Greenpeace France, Fondation Nicolas Hulot et Oxfam France).
Les juges ont donc globalement suivi les recommandations de la rapporteure publique qui avait demandé lors de l'audience mi-janvier de reconnaître la "carence fautive" de l'Etat, pour "n'avoir pas respecté la trajectoire" de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu'il a lui-même fixée. Elle avait en revanche estimé que la carence fautive ne pouvait s'appliquer au niveau des objectifs eux-mêmes et avait donc suggéré de surseoir à la demande d'enjoindre l'Etat à prendre des mesures supplémentaires contre le réchauffement.
Les ONG espèrent qu'une victoire en justice pourrait modifier le rapport de forces politiques, au moment où le projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qu'ils estiment largement en-deçà de l'enjeu, doit être présenté la semaine prochaine en Conseil des ministres. "C'est un bel écho à la Convention, qui a proposé des solutions, une preuve flagrante qu'on doit être ambitieux. Il fait que la loi aille plus vite, plus loin, plus fort," a d'ailleurs estimé Grégoire Fraty, co-fondateur de l'association "Les 150" des participants à la CCC. "Les juges disent aujourd'hui clairement que les promesses n'engagent pas celles et ceux qui les écoutent , mais d'abord ceux qui les formulent," a de son côté estimé eurodéputée Marie Toussaint, une des initiatrices de la procédure.
C’est une décision historique et une grande victoire de la mobilisation citoyenne pour la #JusticeClimatique !
— Grégory Doucet (@Gregorydoucet) February 3, 2021
L'Etat est aujourd’hui sommé d’agir !
Bravo à toutes les associations, les citoyennes et les citoyens pour leur détermination. Preuve que la mobilisation paie ! ? https://t.co/9BqMCRNt7v
L'Etat prend acte de la décision
Le gouvernement a "pris acte" de la décision de la justice pointant les manquements à ses engagements de lutte contre le réchauffement, en se disant "pleinement engagé pour relever le défi climatique", notamment avec la future loi issue de la Convention citoyenne pour le climat.
"Le tribunal a jugé que l'action de l'Etat en matière de lutte contre le dérèglement climatique avait été insuffisante par le passé," a indiqué le ministère de la Transition écologique, après la décision mercredi du tribunal administratif de Paris qui a jugé l'Etat "responsable" de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique, notamment en ne respectant pas ses propres objectifs de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, fixés dans la "stratégie nationale bas carbone".
"Le gouvernement a conscience du fait que les premiers objectifs fixés sur cette période passée n'ont en effet pas été atteints. C'est précisément pour cela qu'il a, depuis 2017, fortement rehaussé ses efforts en matière de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre," a poursuivi le ministère.