"Une infirmière, elle pue, elle transpire toute la journée, elle n’en peut plus", un infirmier lyonnais raconte

En ces temps difficiles, l'hôpital est sous tension. Entre manque de moyens et de personnels, la série documentaire "INFIRMIER•E•S" suit, à la Croix Rousse à Lyon, 4 jeunes infirmier(e)s passionnés, ambitieux et déterminés, confrontés à la dureté du milieu hospitalier. Théo en fait partie...

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« C’est vrai que je suis le «comique» de l’équipe. Mais il le faut ! Parce que sinon on meurt, en fait.» Théo, 24 ans, assume plutôt bien le texte qui le présente dans la série documentaire de 6 épisodes "INFIRMIER•E•S"" (disponible dès le 20 novembre à 18h) , réalisés par Olivia Barlier, que Francetv Slash diffuse sur son site : "C’est le comique de la bande et certainement le plus bosseur. Tout le monde l’adore et les patients sont toujours ravis de le voir arriver. Théo est à la fois hyperactif et totalement investi dans de fortes valeurs morales comme le devoir et l'aide envers les autres." nous prévient-on.

Il confirme : "C’est pas drôle ce qu’on fait. Par exemple, la semaine dernière on a «fait» un décès. La femme avait quarante ans, il y avait ses enfants, qui sont à peine majeurs. C’est pas joyeux, quoi». Le dialogue avec Théo, qui est donc l’un des quatre infirmiers présentés dans cette nouvelle série, est assez vite placé sur le ton de la spontanéité. Théo a toujours voulu faire ce métier, depuis le collège. «Devenir infirmier parce que c’est le reflet de mon éducation. Dans ma famille, beaucoup de gens travaillent dans le médico-social. Je ne voulais pas un métier statique, je voulais un truc qui bouge, assez polyvalent où on pouvait exercer dans plusieurs endroits et sous plusieurs formes. Etre infirmier, c'était comme une évidence.»
 
La réalisatrice, Olivia Barlier, décrit le casting qu’elle a composé pour sa série documentaire. A l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, elle a suivi le quotidien de Laura, Elisa, Manon et Théo. «Déjà, ce sont quatre personnages qui sont différents les uns des autres» commente–t-elle. «On est vraiment allés chercher des gens pouvant nous montrer la réalité de la vie à 23 ou 24 ans. Montrer ce que c’est d’arriver dans un métier qui côtoie la mort, de travailler avec des patients qui, parfois, ne s’en sortent pas forcément. Et en tout cas d’être là, présent et de faire ce métier d’infirmière. Un métier très important, humainement très engageant et très pesant aussi. »
 


Agé de 24 ans, et diplômé en 2017, Théo a toujours travaillé au CHU de la Croix-Rousse, à Lyon, dans ce service de réanimation. «C’est un service qui demande beaucoup d’entrainement physique. C’est très technique, avec énormément de matériels et ça m’intéresse beaucoup les respirateurs, les scopes, et toutes ces choses… Je suis d’un naturel assez curieux et il y a toujours des nouveautés, des choses à voir, à comprendre ou à apprendre. Ce n’est pas du tout monotone. Chaque jour ne se ressemble pas et c’est exactement ce que je recherche» précise le jeune homme, dont le mental semble à toute épreuve. Une qualité précieuse dans cette profession. Olivia Barlier l’a vérifié en préparant son reportage: «Quand on faisait nos recherches, j’entendais beaucoup de la part des responsables de services, notamment en réanimation, que finalement… les jeunes qui arrivaient en stage et ensuite étaient pris au début de leur carrière, très souvent, arrêtaient au bout de 6 ou 8 mois, ne supportant pas la pression et la charge de travail.»
 
Ce que confirme Théo : «Sur les quatre infirmier(e)s qui sont dans la série, deux ont démissionné avant la fin du tournage. Parce que c’est dur, ça demande un engagement physique assez important. Moi je travaille en journée de 12 heures. Il m’est arrivé de manger seulement à 17h30 et de faire ma première pause pipi à seulement 16h. Il en faut, du mental. L’émotionnel peut très vite arriver, donc ça demande aussi beaucoup d’engagement. Certains ramènent tout ça à la maison. On ne nous prépare pas forcément à ça à l’école. J’ai eu la chance de beaucoup voyager étant petit, avec mes parents qui m’ont fait découvrir beaucoup de choses. Ça m’a aidé.»
 

Olivia n’avait aucune contrainte imposée par France Télévisions pour produire cette série. Elle a simplement veillé à s’adresser aux jeunes. «Le montage est très rythmé. Cela diffère des documentaires classiques que l’on voit habituellement à la télévision, où le public est un peu pris par la main, avec une voix-off qui accompagne… On est un peu plus d’emblée dans des séquences fortes. On passe vite d’une thématique à une autre, histoire de mieux s’écarter des codes classiques du documentaire.» Et tenter de répondre à quelques questions simples : «Comment avoir autant de responsabilité à 23 ans et comment le vit-on intimement et personnellement ?» Pour illustrer son propos, elle a soigneusement choisi les personnages de sa série, parmi lesquels Théo s’est naturellement imposé. Il a accepté sans hésiter. «Un jour ma chef m’a convoqué dans son bureau, à 7h30 un lundi matin. J’ai cru que j’avais fait une bêtise. Quand j’y suis arrivé, il y avait quatre autres supérieurs et je me suis dit : ça sent l’ANPE ! (il rit… ). En fait non... On m’a expliqué qu’une journaliste cherchait de jeunes infirmièr(e)s pour réaliser un documentaire. A ce moment-là, j’étais dans ce service depuis deux ans. Elle cherchait quelqu’un qui avait du punch… et ma chef a tout de suite pensé à moi. Pendant une première journée, elle m’a suivi partout. Ensuite, on a eu un long entretien. Et c’est comme cela que j’ai été retenu pour faire partie de l'histoire

Beaucoup arrivent dans cette profession avec une sorte d’idéal. L’image de l’infirmière sympa, qui prend le temps de discuter avec les malades. Mais en fait, non. L’infirmière, elle a cinq minutes par patient


Théo précise qu’il a été touché par le travail respectueux de la réalisatrice, qui ne s’est jamais imposée dans son quotidien. «C’était pas comme certains reportages que l’on voit déjà la télé, du genre… «90 minutes au cœur des urgences». On y voit souvent l’action, ce qui est chaud, mais pas l’arrière de la réalité… les horaires pourris, le travail d’équipe, le manque de matériel.. Et là, on nous l’a vendu comme un reflet de notre réalité, sans mise en scène. A aucun moment, elle n’est intervenue dans notre journée. C’est ce qui m’a plu.» Car la réalité de son métier lui semble souvent déformée par les écrans. «Quand on sort du lycée, on est un peu fleur bleue, on se calque sur des séries télé pas très recommandables. Ce que disent certaines de ces fictions sur les infirmières, c’est du gros mensonge en barre ! L’infirmière qui clope et qui veut se taper le médecin, c’est faux. Une infirmière, elle pue, elle transpire toute la journée. Elle n’en peut plus. Les médecins, elle ne les voit pas parce qu’ils sont aussi surbookés. Beaucoup arrivent dans cette profession avec une sorte d’idéal. L’image de l’infirmière sympa, qui prend le temps de discuter avec les malades. Mais en fait, non. L’infirmière, elle a cinq minutes par patient. Donc si elle a réussi à faire le tour des chambres à la fin de sa journée, c’est déjà beaucoup.» Le ton est toujours aussi franc et naturel.
 

L’équipe a commencé à tourner en janvier 2020, soit avant la crise de la Covid19. A l’époque, les grèves étaient assez fréquentes, pour dénoncer le manque de moyens. Mais si Théo a accepté, comme les trois autres infirmières, de montrer sa réalité, il ne se sent pas spécialement l’âme d’un militant. «Je ne fais jamais de politique, d’autres assument très bien ce type d’engagement. Si je rencontrais le ministre de la santé, Olivier Veran, je le remercierais d'abord. Parce que c’est un médecin et c’est important d’avoir un ministre fraichement issu du personnel soignant. Et puis, les réalités que l’on vit ne sont pas de son fait. Ca fait quinze ans que les salaires sont gelés… On est un peu comme les policiers. On les adule quand ils nous sauvent et on les critique quand ils font respecter la loi… Les infirmières, on sait qu’elles existent, qu’elles nous sauveront aussi mais après… leurs conditions de vie, tout le monde s’en fout. La situation est merdique. Mais si je me mets en grève, je vais être réquisitionné, donc je vais quand même travailler et, du coup, pas manifester... donc je ne bloquerai rien et je ne ferai pas avancer les choses.»
 

Les infirmières, on sait qu’elles existent, qu’elles nous sauveront aussi mais après… leurs conditions de vie, tout le monde s’en fout.


Et pourtant, à Lyon comme ailleurs, l’image des soignants a changé. Leur abnégation et leur engagement ont ému les français, qui les ont régulièrement applaudis à leurs fenêtres pendant le premier confinement. Alors, plutôt qu’une simple augmentation mécanique de son salaire, notre infirmier préférerait que le système apporte de la reconnaissance à ses efforts. «Je travaille un week-end sur deux environ. Je fais beaucoup de nuits. Pour vous dire, une heure supplémentaire la nuit, c’est 7 centimes de l’heure… et les nuits, c’est la moitié de mon temps de travail annuel… Dans le passé, par exemple, nos ainés en réanimation bénéficiaient d’une prime de dialyse. Un bain de dialyse, ça pèse 5 kilos. On en met 4 et on les change toutes les 4 heures. On doit poser ces bacs à 1,60 m de hauteur. C’est un mouvement répétitif, les patients sont lourds… ils sont intubés. Il faut de la force physique. Avec le confinement la vie est compliquée, mais moi je me lève à 5h30… Il n’y a aucune prise en compte de la pénibilité…»
 
C’est toute cette réalité «brute» que montre le documentaire "INFIRMIER•E•S" qui est diffusé sur francetv Slash (disponible dès le 20 novembre à 18h). Une série commentée par les participants eux-mêmes, et qui se déroule entièrement à Lyon : «On ne voulait pas être à Paris» explique la réalisatrice : «On a cherché un CHU en région et c’est vrai que Lyon nous a tout de suite dit oui. Ils étaient très motivés par le projet et nous ont vraiment ouvert toutes les portes. On a été ravis de pouvoir le faire à la Croix Rousse.»
 
 
 
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