Ils se surnomment les "sans-facs", des étudiants qui n'ont pas obtenu de place sur les bancs de la fac. À Lyon, sa licence en poche, Chrispi pourrait perdre son logement et être expulsé du pays faute d'avoir trouvé une place dans un master de droit.
" Si je n'ai pas un certificat de scolarité d'ici octobre, je vais me retrouver à la rue ", explique Chrispi. Originaire du Congo-Brazzaville, le vingtenaire a fait sa licence à Lyon. Il aimerait entrer en master de droit à l'université Lyon 2, mais faute de place, il reste sur le banc de touche.
Risque d'expulsion
Le rêve du jeune homme, devenir avocat spécialisé dans le droit du travail, pour ouvrir un cabinet dans son pays. "Je ne peux pas être formé chez moi, on manque de spécialistes et je n'aurai pas accès aux documents scientifiques comme ici", détaille-t-il.
Sans accès à un M1 de droit, il ne pourra pas passer l'examen du barreau. Plus qu'un rêve qui s'éloigne, il risque aussi de perdre son logement social s'il ne présente pas de certificat de scolarité à son hébergeur. S'il n'est pas étudiant, il pourrait aussi être expulsé du territoire français, s'il n'a pas de titre de séjour.
Saisine infructueuse
L'an passé, il avait déjà tenté de rentrer dans un master de droit, sans succès. "Je m'étais rabattu sur un DU de droit (NDLR : diplôme universitaire, qui ne valide aucun grade universitaire). C'est une formation payante, je dois encore rembourser 1 000 € et comme je n'ai pas de titre de séjour, je ne peux pas travailler ', résume Chrispi. Le serpent qui se mord la queue.
Il a donc fait une saisine auprès du rectorat pour essayer d'obtenir une place en master. Sans place en M1, tout diplômé d'une licence peut se signaler à son rectorat qui va devoir leur faire trois propositions. Problème, il faut faire avec les places restantes dans les universités et ça ne correspond pas forcément au projet professionnel de l'étudiant. "On m'a proposé une place dans une formation pour être enseignant", souffle le jeune homme.
Une sélection à l'entrée du master
Depuis six ans, le collectif "sans-fac" mène des actions pour les étudiants qui n'ont pas de place. Ce lundi 20 septembre, ils ont organisé un nouveau rassemblement sur le campus du quai Claude Bernard, pour interpeller la présidence de l'Université Lyon 2.
Ce collectif s'est monté après la réforme du master en 2017. Depuis, la sélection ne se fait plus entre le M1 et le M2, mais à l'entrée du master. " Cela met en danger les personnes les plus précaires, il faut arrêter de considérer que la faculté doit être élitiste, elle doit permettre aux gens d'étudier gratuitement et de s'émanciper ", s'exaspère Marie de l'Unef, porte-parole du collectif.
"On a déposé 20 dossiers auprès de l'Université", détaille-t-elle. "Depuis, on n'a qu'une personne qui est inscrite et on n'a pas l'impression d'être réellement écoutés par la direction. On sait que les universités manquent de moyens, mais faire de la place à vingt personnes, ce n'est pas impossible."
Plus de place en psychologie
" Il n'y a pas que vingt dossiers, on traite d'autres recours, ainsi que les saisines du rectorat, c'est plutôt 200 à 300 étudiants pour lesquels on cherche une solution, contrecarre Marie-Karine Lhommé, vice-présidente de l'Université Lyon 2.
La direction met en avant que des propositions ont été faites pour quatre "sans-fac" "Je ne nie pas qu'il y ait des situations très difficiles, mais pour dix d'entre eux, ils ont déjà une place dans une autre université, même si ce n'est pas leur premier choix, ils ne sont pas vraiment "sans-fac"."
La direction souligne que si les manifestations se déroulent chez elle, le manque de place concerne les autres facultés : " hier, on a fait un point avec le rectorat. Dans toutes les universités, il reste zéro place en psychologie et que quelques-unes en droit."
Des filières trop demandées
Problème, certaines filières, comme le droit, la gestion et la psychologie, sont très demandées, quand dans d'autres formations, il reste des places. " On accueille de plus en plus d'étudiants, sans recevoir plus de moyens, détaille la Vice-présidente. On ne va pas créer des places, pour que les étudiants restent debout en amphithéâtre, sans être sûrs qu'ils aient des stages ou un travail une fois diplômé."
Si aujourd'hui, plus de jeunes accèdent à l'enseignement supérieur, il existe toujours des disparités entre les classes sociales. Selon un rapport du ministère de l'Enseignement, de 2020 à 2022, pour les jeunes âgés de 25 à 29 ans, 39% des enfants de cadres ont obtenu un master, un doctorat ou diplôme d'une grande école, contre 13% des enfants d'ouvriers ou d'employés.