Amoureuse éperdue de Molière, comédienne hors-pair, Joëlle Sevilla est sans doute le trait d'union de la grande famille de comédiens qui entoure son fils, Alexandre Astier, réalisateur de Kaamelott à la télévision et au cinéma. A Lyon, elle transmet son art des planches aux élèves de son école. Portrait dans "Vous êtes formidables" sur France 3
Quelle carte de visite ! Comédienne, metteure en scène, auteure, productrice, scénariste et enseignante. Joëlle Sévilla est partout. On l’a vue au cinéma, à la télévision et bien sûr au théâtre.
Au cinéma, notamment, elle a retrouvé en juillet 2021 les costumes et la gouaille de Dame Séli, l’incontournable belle-mère du Roi Arthur dans le premier volet de Kaamelott, réalisé par son (vrai) fils Alexandre Astier. Un rôle qu’elle interprète depuis six saisons dans la célèbre série-culte diffusée à la télévision.
Mais elle n’avait pas joué ce personnage depuis 13 ans, au moment du tournage de l’ultime saison. «Les saisons changent et les costumes aussi», sourit-elle. «On avait sur ce film une costumière très imaginative. Ça ressemble un peu à de la BD à certains moments. Elle s’est beaucoup amusée à faire ces costumes, dans un grand atelier. Elle nous faisait essayer un tas de trucs». Voilà pour le look. Quant à Dame Séli : «C’est toujours la même !» résume la comédienne.
Elle voulait devenir "acteuse"
Joëlle est originaire de Lyon. Mais ses racines sont ailleurs. Une moitié en Espagne, et l’autre en Italie, du côté maternel. «Mes parents étaient ouvriers. Avec mes grands-parents, ils étaient rentrés dans la vague d’immigration des années juste avant-guerre. Ils ont travaillé à l’usine».
Dès son enfance, la petite Joëlle voulait devenir… «acteuse». Elle rit. «Comment savez-vous ça ?» Elle s’explique «Ça étonnait beaucoup ma mère. Les gens qui étaient autour de moi, mes cousins me disent que je n’arrêtais pas de répéter ça. Et pourquoi ? Je ne sais pas. Je n’avais jamais mis les pieds au théâtre avant d’en faire».
Elle évoque ses souvenirs. «Il y avait ma petite voisine, une dame adorable, qui s’appelait Madame Dameco, qui m’emmenait aux Guignols. A l’époque, ils se trouvaient sur le quai Saint-Antoine. Peut-être que ça vient de là. Mais je n’ai pas dit que je voulais être marionnettiste !» Elle rit encore. «Non, je ne sais pas d’où ça vient…»
Du théâtre, du cinéma, et de la télé...
Il n’empêche. La vocation est là. Et d’ailleurs, elle commence très tôt, dès l’âge de 14 ans. L’un de ses premiers metteurs en scène sera Bruno Boëglin, qu’elle finira par épouser. Le cinéma arrivera plus tard. Elle interprète notamment le rôle d’une religieuse dans «Le hussard sur le toit» de Jean-Paul Rappeneau.
Puis arrive la télévision, avec cette série désormais culte qu’est Kaamelott, signée par Alexandre Astier, son fils, qui revisite l’histoire du Roi Arthur et des Chevaliers de la table ronde. Un fils dont elle parle avec humour, en citant Giuletta Masina, lorsqu’elle évoquait Federico Fellini. «Comme Fellini la trompait beaucoup, on lui demandait souvent si c’était pas trop dur d’être avec un génie. Elle répondait : c’est beaucoup plus facile que de vivre avec un crétin». Elle rit à nouveau.
C’est beaucoup plus facile que de vivre avec un crétin
Joëlle SévillaVous êtes formidables
Un peu de fierté, tout de même ? Pour Joëlle, c’est une notion différente «Comme on est tous dans le métier… Son père aussi…Tout comme l’ensemble de notre grande famille élargie… Je ne vois pas, dans ces conditions, les choses comme si, tout à coup, émergeait une fleur, comme ça, dont on se demanderait d’où elle tombe». Elle précise : «Je ne peux qu’être fière d’Alexandre parce que c’est un être très intelligent…».
Sans doute connaissait-elle cette intelligence avant qu’il n’atteigne le succès ? Elle soupire «Oh non. Je l’ai élevée seule. J’étais une maman très angoissée. Je me souviens de son professeur de musique, lorsqu’il était au conservatoire. Moi je voulais lui faire passer un diplôme… Quelque chose qui lui donne un peu un avenir. Mais je me suis fait rembarrer. Sa prof m’a dit : vous n’y pensez pas, madame ! Alexandre est un artiste ! Je me suis fait engueuler, alors qu’il n’avait pas dix ans. Moi, j’essayais juste de voir comment on allait manger, quoi». A cette époque, elle s’inquiétait pour son avenir. «J’étais en tournée. Une comédienne de théâtre à l’époque… On avait un peu peur de ne pas y arriver…»
Une grande famille qui s'élargit
Bien plus tard, elle finit donc par jouer sous sa direction. «Encore une fois, l’histoire de cette grosse famille fait qu’on est étonné de pas grand-chose», s’excuse-t-elle presque. «Moi je trouve qu’il est très sérieux, quoi. Très agréable. Je crois que tous les comédiens diront la même chose. Et pourtant, j’ai tourné avec des metteurs en scène irascibles. Mais là ne m’interrogez pas, car ça va devenir compliqué…»
Une véritable tribu. Dans ce film, on retrouve notamment le père d’Alexandre, Lionnel Astier, qui joue Léodagan, le beau-père du Roi Arthur, et une dizaine de membres de la famille. Et même Bruno Boëglin, le premier mari de Joëlle. «Ça parait idiot de dire qu’on est une grande famille mais… Si, quand même. Je pense que les comédiens, surtout au théâtre, sont des gens qui restent fidèles. Dès lors qu’on a fait un bout de parcours ensemble, on est fidèles entre nous. Ca s’élargit comme ça…», résume la comédienne. Une fidélité moins évidente au cinéma. «Au cinéma, je pense qu’il y a plus de clans. Il y a davantage de genres, de familles différentes».
Je suis contente de Lyon. Elle est belle.
Joëlle Sévilla>
Et puis il y a l’attachement à Lyon. A cette image, la quatrième saison de Kaamelott s’est tournée entièrement dans le berceau d’origine de cette grande famille. Une volonté forte. «Oui, je pense. Lui, en premier, d’ailleurs. Alexandre allait à Paris, souvent, pour négocier avec la chaine M6. Mais pour travailler, il disait qu’on travaille mieux à Lyon. Là-bas, on est tout le temps dans les transports, le métro, les taxis. On ne peut rien faire». Joëlle n’a jamais quitté Lyon, sauf pour des tournées. «Moi je suis contente de Lyon. Elle est belle. Franchement…»
Le film a remporté un énorme succès, avec 2.4 millions de spectateurs, et ce, malgré l’obligation du pass sanitaire. Il y aura donc évidemment un deuxième volet au cinéma. Et Joëlle y sera, normalement. «Ben j’espère. Si je ne suis pas morte !», s’amuse-t-elle.
Je trouve que les comédiens ne sont pas responsables au cinéma. Alors que, sur scène, ils sont responsables de leur rôle
Joëlle Sévilla
Ce sera une nouvelle occasion de voir encore cette fabuleuse actrice sur grand écran. Lorsqu’on lui demande, au passage, si elle aurait aimé jouer davantage pour le grand écran, elle hésite. « Vous savez, c’est très long, le cinéma. Il faut de la patience. Certes, c’est très beau parce qu’on n’a pas besoin de refaire 700 fois les choses. Mais je trouve que les comédiens ne sont pas responsables au cinéma. Alors que, sur scène, ils sont responsables de leur rôle. Là, personne ne peut venir les chercher. On ne peut rien leur interdire. »
Elle croise ses bras «A partir du moment où ils sont sur scène, ils vont faire ce qu’ils veulent. Au cinéma, on n’a rien. On n’est même pas sûr d’être au montage après le final cut. On n’est sûr de rien. On ne connaît pas le scénario entier quand on a un petit rôle. On peut discuter de rien. Le temps presse. Il y a des équipes énormes…»
Une école dédiée à Molière
Joëlle Sévilla enseigne à l’Acting Studio, l’école de théâtre qu’elle a fondée dans le vieux-Lyon en 1999. Les futurs comédiens y passent trois ans. «C’est très compliqué à expliquer. Un jeune comédien, lorsqu’il arrive, doit passer par des techniques tout à fait différentes. Déjà, il faut qu’il apprenne à avoir confiance pour tenir sur un plateau. Pour jouer des auteurs difficiles, avancer, sortir, un peu, de leur ombre et accepter le regard. Puis, petit à petit, les techniques font qu’ils acceptent à la fois d’interpréter un rôle de composition, et aussi de se retrouver et qu’ils s’écoutent».
Elle tente d’affiner son propos «Quand on voit un acteur jouer, au cinéma, on pense que c’est simple. Mais, en fait, c’est des préparations, à l’intérieur de soi-même, qui sont énormes. Toujours pour la même chose : être efficace. Le plus vite possible».
Devenir comédien...c’est des préparations, à l’intérieur de soi-même, qui sont énormes. Toujours pour la même chose : être efficace. Le plus vite possible
Joëlle Sévilla
Elle a également racheté un théâtre, qui rouvert en octobre 2021 à Lyon. Au «Mascarille» - nom emprunté aux personnages de valet dans les pièces de Molière – c’est une pièce de cet immense auteur qui a été la première à l’affiche : «Les fourberies de Scapin». Elle transmet son amour de Molière à ses élèves, notamment en leur rappelant : «A vous de comprendre que c’est un auteur précieux et que vous avez le devoir de lui donner la vérité !»
Si elle l’avait rencontré, que lui aurait-elle dit ? La réponse est immédiate «Je t’aime !». On l'oublie souvent, mais Molière a vécu douze ans dans sa «chère ville de Lyon» et Joëlle ne doute pas qu’on jouera encore ses pièces dans un siècle. « On le jouera jusqu’à la fin des temps, comme Shakespeare. Cela ne s’arrêtera jamais » affirme-t-elle.
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