Ancien élève de Marcel Marceau, le mime Benoit Turjman a été, entre autres, la doublure de Mister Bean, alias Rowan Atkinson. Vu dans la série "Emily in Paris" ou dans le film "Je vous trouve très beau", d'Isabelle Mergault, il s'exprime avec virtuosité et humour sur scène avec son spectacle surprenant : "le voisin". Rencontre sur le plateau de "Vous êtes formidables"
« Comédien-mime, c’est la dénomination qu’aurait adoré Marcel Marceau, qui était mon maître à l’école », explique d’emblée le mime lyonnais Benoit Turjman.
Ce prodige de la scène occupe, tous les mardis soirs en ce mois de septembre, les planches de l’Espace Gerson, à Lyon, quand il n’est pas régulièrement en tournée. Son spectacle, intitulé « le Voisin », le met dans en scène dans le rôle d’un jeune célibataire un peu gauche… et dans différentes situations : à une soirée-rencontre, au camping ou encore à la découverte de ses voisins de palier, le soir de Noël.
En dehors de la scène, le comédien n’a pas grand-chose à voir avec le « voisin » qu’il interprète. « J’adore composer des personnages. Et pouvoir sortir de scène sans être reconnu est un de mes petits plaisirs. Et surtout pouvoir aller observer le public en douce…», avoue Benoit avec un large sourire.
Enormément de choses que l’on vit se passent de mots
A quelques onomatopées près, l’artiste est devenu… muet, presque par hasard. « Alors que je n’avais pas encore 20 ans, un jour sur scène, dans un festival d’humour à Villeurbanne, je me suis rendu compte que, dans les moments de silence, j’avais un lien spécial avec le public. Je pouvais vraiment sentir sa respiration. Et c’est là que j’ai plongé » Et sa culture a fait le reste. « Chemin faisant, j’ai découvert que j’avais une passion pour Alejandro Jodorowsky, Michel Courtemanche, ou encore Pierre Richard, qui a baigné mon enfance… »
Très vite, Benoit Turjman captive le public. La salle est rapidement plongée dans un silence absolu. « Le silence peut avoir quelque chose de gênant pour le public, parce qu’on nous force à nous exprimer. On a besoin de s’exprimer par les mots. Ceci étant… Toute cette partie gestuelle, ce dialogue que l’on peut avoir sans parler… C’est le sel de notre vie. Tellement de choses passent par là. Quelqu’un qui est amoureux se passe de mots. Une peur panique se passe aussi de mots. Enormément de choses que l’on vit se passent de mots. C’est cela que j’essaye de retranscrire », s’enflamme-t-il.
Il assume donc pleinement ce silence et s’en sert. « C’est un silence qui est habité par les émotions, et par ce personnage. C’est un vieux garçon, célibataire. Il n’est pas avenant, au premier regard. Et ce petit malaise, que l’on peut ressentir au début, est très vite contrebalancé par sa maladresse, sa naïveté. Et le public va très vite avoir un attachement pour lui. Moi, j’essaye de rendre à nouveau les gens sensibles, dès le début de mon spectacle, à ce qui se passe de mots.»
Sa trajectoire l’a d’abord mené à Sciences-Po Lyon, où il a participé à des cours de théâtre. « J’y ai même suivi des cours avec l’actuelle ministre de la culture Rima Abdul Malak. C’est elle qui m’a fait plonger dans le théâtre. Elle était passionnée par tout ce qui a trait à la culture et elle m’a transmis son amour du jeu », se souvient-il.
Un apprentissage chez Marcel Marceau
Il est également passé par l’école Marceau. « J’avais commencé à jouer des spectacles de mimes que j’avais composés et qui était plein de maladresses. Je me suis assez vite rendu compte qu’il était bon que je puisse rencontrer des gens qui maitrisaient cet art, cette technique. Il n’existait qu’une seule école référencée : l’école internationale de mimodrame de Paris, celle de Marcel Marceau. J’ai alors rencontré un génie. J’étais absolument béotien en la matière. J’avais simplement cette énergie folle en moi, et j’ai rencontré un métier avec des gens passionnés qui brulaient d’un feu intense. »
Il se souvient du maître Marceau en personne. « De voir cet homme, déjà très âgé, déployer une énergie folle avec un talent incroyable, c’était une master class tous les jours. Que ce soit avec lui, ses assistants, les professeurs de danse, de théâtre… cela m’a plongé plus loin encore dans la passion. J’étais toujours le premier arrivé, et dernier sorti…», se remémore-t-il.
Il faut être souple d’esprit. Un esprit-signe dans un corps-singe
Autre rencontre, sur son chemin de mime : le comédien Rowan Atkinson. Il s’incline devant une photographie de Mister Bean. « Maître…» appuie-t-il en riant. « C’est incroyable de pouvoir être, pendant trois mois, sur un plateau avec Rowan. J’étais sa doublure cascade et sa doublure lumière. Cela me permettait vraiment, en permanence, de l’observer, d’apprendre… »
Auprès de ses maîtres, Benoit Turjman a donc acquis les recettes permettant de maîtriser l’art du mime. « Il faut être souple d’esprit. Un esprit-signe dans un corps-singe. Il vaut mieux entretenir son corps, pratiquer des sports, s’assouplir. C’est indéniablement un plus, mais ce n’est pas une nécessité absolue. Je pense notamment à Patrice Thibaut, qui est un de nos très grands artistes gestuels français. Ce n’est pas un athlète mais je vous recommande impérativement de visionner ses spectacles. »
Mais l’essentiel n’est pas là. Benoit accorde surtout de l’importance à tisser une histoire. « Qu’est-ce que je veux raconter ? Par quels tourments va passer mon personnage ? Quelles sont ses envies, ses désirs ? Et, petit à petit, j’y mets le corps. A force de répéter, je commence à prendre une certaine désinvolture avec l’histoire, et je m’en amuse. » Il trouve alors des gags, des rebondissements.
Nous sommes tous des inconnus les uns pour les autres, et on va vivre un moment d’émotions ensemble
« Ce que j’adore dans la pantomime, que je pratique, c’est faire vivre un décor, des univers. C’est de faire voyager le spectateur, et lui faire ressentir l’environnement. C’est presque de la 3D. Il a ainsi la sensation d’être plongé lui-même dans mon spectacle. Il vit autour de moi. Si je suis, par exemple, dans cette tente de camping, il doit lui-même avoir l’impression d’y être et de suffoquer», décrit-il.
Cela exige, aussi, un gros travail de mémoire. « Je dois en effet mémoriser chaque élément de ce décor virtuel, et continuer à les faire vivre. Je me dessine des plans. La lumière va suggérer des ambiances. A moi de faire vivre tout le décor… » Et il y ajoute un peu d’interactivité, en incluant le public dans ses histoires. « C’est tout l’intérêt du spectacle vivant. A la différence du cinéma, on peut sortir de l’écran. Aller à la rencontre du public, toujours de manière bienveillante, car je déteste les sarcasmes sur scène. C’est aussi pour cela que j’aime le théâtre profondément. Nous sommes tous des inconnus les uns pour les autres, et on va vivre un moment d’émotions ensemble. »
A la télé et au cinéma
Le cinéma, il en a tout de même gouté un peu. Benoit Turjman a participé au film d’isabelle Mergault « Je vous trouve très beau », avec Michel Blanc. « Pour moi, c’est une friandise, un bonus. Ce sont des moments festifs et intenses. On se rencontre dans un temps très court. Comme une grande colonie de vacances qui avance vers un projet merveilleux » commente cet artiste hors pair, qui a également collaboré à la saison 2 de la série « Emily in Paris ».
Benoit n’est pas avare de commentaires. Il aime manifestement parler de son art… Le comble pour un mime. Mais il ne s’estime pas frustré de ne pas avoir droit à la parole dans ses spectacles. « La question ne se pose même pas. Je brule d’un feu intérieur, et il s’exprime infiniment plus sur scène, quand je me passe des mots. Je suis un bon acteur classique, et ce que je cherche à transmettre transparait au-delà de tout, quand je me passe de mots. »
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