Né à Lyon, Jean-Yves Loude et sa compagne ont voué leur existence à défendre, au fil de leurs voyages, des peuples et des cultures remarquables. Passionné par les Kalash du Pakistan, ou l'histoire de la naissance de l'archipel du Cap Vert, il est venu dépayser le plateau de "Vous êtes formidables" sur France 3. Bon voyage !
Ecrivain et ethnologue, Jean-Yves Loude a passé une bonne partie de sa vie à faire découvrir des contrées lointaines et leur culture spécifique. Parmi ces dernières, il voue notamment une passion communicative aux îles du Cap Vert.
Son parcours a débuté à Lyon, ville de sa naissance. « Mon père travaillait à la Ville comme ingénieur, et ma mère… s’est beaucoup occupée de moi », sourit-il. Son goût pour l’ethnologie n’est pas un héritage familial. « Non, ça vient des années 70, du rock, du blues, des noirs et de l’envie de traverser les frontières pour connaître les autres, qui n’intéressaient pas mes grands-parents », résume-t-il d’une seule traite. Il portait alors des « chemises et des rêves à fleurs » et une envie de s’adonner « à d’autres cultures et d’autres pensées que celles que l’on m’avait transmises. Je me suis dit que cela devait être plus riche.»
Je suis devenu, de retour de mon premier voyage en Inde, à l’âge de 20 ans, un jeune homme en colère
Enfant, il lisait beaucoup. Notamment les albums de Tintin, à répétition. « Et puis on finit par se dire que lire Tintin c’est bien, mais qu’être Tintin c’est mieux. » Une envie de partir, voir l’Himalaya pour vérifier « si c’est vrai que l’on reçoit le ciel dans ses paumes lorsque l’on traverse les frontières de l’Inde ! » A vrai dire, c’est le contraire qui l’attendait. « C’est là où j’ai découvert les violences, l’injustice sociale, peu de riches, beaucoup de pauvres. Je suis devenu, de retour de mon premier voyage en Inde, à l’âge de 20 ans, un jeune homme en colère. Cette colère ne m’a pas quitté. Et j’ai essayé d’être en cohérence en participant au changement, lutter contre ces injustices. »
Lyon en poche
Il fait tout de même sagement des études. Ce qu’il ne regrettera pas. « Cela m’a beaucoup profité. Le marketing, la publicité, la créativité et l’imagination m’ont été très utiles. Et puis c’est avec d’anciens collègues de mon école de commerce, l’EM Lyon, que l’on a fondé « Lyon en poche », un hebdomadaire de la culture et du cinéma dont j’ai été le premier rédacteur en chef. C’est là où j’ai appris mon métier : écrire », précise Jean-Yves. « Mais j’étais aussi chanteur de rock », ajoute-t-il en s’esclaffant.
Peu après sa première escapade en Inde, Jean-Yves rencontre sa future compagne, Viviane, toute aussi adepte du voyage. Ensemble, ils partent vers de multiples destinations, comme le Yemen, le Mali ou Haïti « pour essayer de comprendre le monde dans lequel nous vivions. Toutes les sociétés étant faites d’hommes et de femmes, un couple est beaucoup mieux perçu… et comprend mieux les mystères et les secrets des deux sexes. On l’a expérimenté notamment à la frontière afghano-pakistanaise. »
Au-delà des paysages, ce sont bien les êtres, avant tout, qui l’intéressent, pour approcher une pensée, apprendre la langue. Il prend l’exemple d’une relation de plusieurs années entretenue avec les Kalash du Pakistan. « C’est un peuple polythéiste à Chamane, entouré d’un océan de monothéisme un peu rugueux qui n’accepte pas leur différence. On a vécu un peu avec eux, et appris leur langue. On a eu accès à une société qui fabriquait des mythes, pour expliquer les malheurs et les désordres du monde. C’est une chance inouïe. » Sur le sujet, il est soudainement enflammé « Un peuple qui n’a pas le droit à la parole, qui est menacé par l’intolérance, a été notre école de l’humanité. » Une expérience qui a donné naissance à une grande exposition au Musée des Confluences, à Lyon, en 2019, et à plusieurs ouvrages.
La naissance du premier Créole
Installez-vous… Le voyage narratif a débuté. Jean-Yves Loude passe sans hésiter du Pakistan au Cap Vert. Même entrain, même passion. « C’est le premier territoire au monde où l’Afrique et l’Europe se sont rencontrés de façon brutale. Un territoire désert… Les portugais de l’époque des grandes découvertes arrivent. Ils déportent des africains de la côte de Guinée pour cultiver ces terres. Un peuple se forme très rapidement… Une langue naît… le Créole. A partir de cette langue naît une poésie, et une musique, et toute une culture qui, après cinq siècles de résistance, fait partie du patrimoine de l’humanité. »
Avec sa compagne, ils connaissent parfaitement les dix îles qui composent cet archipel, ancienne colonie portugaise depuis 1470, devenue indépendante en 1975. « Nous les avons toutes parcourues et nous avons voulu montrer l’identité de ce pays indépendant par l’émergence de ses musiques. Toute l’histoire peut ainsi être écrite par les musiques du Cap Vert », insiste-t-il.
Soudain, l’esclave est capable de parler avec ses voisins en excluant son maître !
Il évoque plus précisément la genèse de la première langue créole qui s’est élaborée au Cap Vert. « Imaginez le traumatisme. Les maitres portugais déportent des esclaves qui ne comprennent pas leur langue, et ne se comprennent pas non plus entre eux, car issus de différentes ethnies. Double défi : il faut comprendre les ordres de l’esclavagiste pour survivre et communiquer, par solidarité, avec les autres. Génie humain de la résistance : très vite, une langue est créée, mélange de mots portugais et de grammaire africaine. Soudain, l’esclave est capable de parler avec ses voisins en excluant son maître ! »
Pour notre interlocuteur, il s’agit d’une illustration de « poésie de la résistance ». « Elle était métaphorique, allégorique : les esclaves pouvaient dire leur volonté de vivre en excluant le maître, qui croyait comprendre… Mais il ne comprenait rien. »
Et là, est née une danse érotique, méchante, satyrique et moqueuse
La musique n’est pas en reste. L’un des genres musicaux originaires du Cap Vert le plus connu en Europe est la Morna, popularisée notamment par la chanteuse Cesaria Evora. « Cette musique est née, comme le Fado, à la moitié du 19ème siècle avec presque les mêmes ingrédients, bien qu’étant deux genres bien distincts », signale Jean-Yves Loude.
Il évoque un exemple historique. « Il était interdit d’utiliser des tambours, susceptibles de ramener des esprits ancestraux d’Afrique, et redonner de l’assurance aux esclaves. Qu’à cela ne tienne ! Les femmes avaient un pagne africain autour de leur taille. Elles l’ont défait, roulé entre leurs cuisses pour pouvoir taper dessus et se faire entendre. Et là, est née une danse érotique, méchante, satyrique et moqueuse contre les hommes volages », s’amuse notre amoureux du Cap Vert et de sa « capacité de résistance ».
On leur donnait une guitare et il devait divertir leurs maîtres
Avec Viviane, ils ont participé à l’élaboration d’archives musicales de ce pays, à la demande du gouvernement cap-verdien et de la coopération française. « Avec un formidable ingénieur du son de Radio France, nous avons parcouru toutes les îles en onze semaines pour recueillir 130 musiques. »
Selon Jean-Yves, le Cap Vert a produit de multiples genres musicaux parce que l’histoire de ses îles est très diverse. « Il y a beaucoup de musique de danse de salon en Europe, qui a été élaborée par les esclaves. On leur donnait une guitare et il devait divertir leurs maîtres. »
Admiratif à souhait, Jean-Yves Loude estime que cette créativité musicale a sauvé le Cap Vert des famines, sécheresses, les déportations de travailleurs, durant le 20ème siècle.