Des victimes de Bernard Preynat, condamné pour agressions sexuelles sur mineurs, devraient être indemnisées après une décision exceptionnelle de la justice ecclésiastique de Lyon, mais la mesure est critiquée car elle se défausse sur l'ex-curé et fera appel aux dons en cas d'insolvabilité.
La décision exceptionnelle en mai dernier, de la justice ecclésiastique de Lyon, de condamner l'ancien prêtre Bernard Preynat à indemniser des victimes est particulièrement critiquée car elle se défausse sur l'ex-curé et fera appel aux dons en cas d'insolvabilité.
L'ouverture à cette indemnisation, une "première" dans l'Eglise de France, a été annoncée le 29 mai dernier par l'administrateur apostolique du diocèse de Lyon, Mgr Michel Dubost.
Ce dernier, dans son communiqué, avait alors fait état en ce sens d'une "sentence" (jugement) du tribunal interdiocésain lyonnais, qui reconnaît le statut de "victime" à 21 anciens scouts agressés sexuellement par Bernard Preynat entre 1971 et 1991. Ces derniers ou leurs proches s'étaient manifestés au préalable auprès de l'archevêché pour "une demande de réparation" du préjudice subi.
C'est Bernard Preynat qui devra payer, précise bien Mgr Dubost, qui dans sa communication ne l'avait pas précisé.
Quatorze victimes, dont les faits sont prescrits pour la majorité, ont reçu "l'assurance d'une compensation financière", selon le prélat tandis que les sept autres, "parties prenantes dans le procès au civil contre Bernard Preynat", devront encore attendre. Car l'ancien prêtre, âgé de 75 ans, a fait appel de sa condamnation, le 16 mars dernier à Lyon, à cinq ans de prison ferme pour ses agressions.
"Notre tribunal statuera sur la demande une fois la décision de l'instance judiciaire étatique passée en force de la chose jugée", indique en effet le tribunal ecclésiastique dans son jugement que l'AFP a pu consulter.
Les sommes accordées par la juridiction de l'Eglise n'ont pas été communiquées mais selon plusieurs victimes, elles varieraient entre "10.000 et 12.000 euros en moyenne".
"Nous prendrons la responsabilité de ce que Bernard Preynat ne pourra pas payer", affirme l'administrateur diocésain, évoquant en ce sens le relais d'un "fonds d'indemnisation" exceptionnel de l'archevêché, qui sera créé via une association "dans les prochains jours".
La constitution de ce fonds, qui fera l'objet d'un "appel aux dons" auprès des fidèles et du public, devrait prendre "quelques mois", ajoute le dignitaire religieux assurant "que toutes les victimes seront indemnisées".
L'Eglise est prête à se substituer à l'Etat si celui-ci ne fait rien en terme d'indemnités, explique encore Mgr Dubost mais ce n'est pas cumulatif, nuance t-il.
En clair, si les sept victimes du procès Preynat touchent en appel des dommages et intérêts, comme en première instance, elles ne seront pas bénéficiaires de l'enveloppe diocésaine.
Les victimes n'y voient qu'une mascarade
L'initiative lyonnaise intervient alors que l'épiscopat catholique a voté à l'automne le principe d'un geste financier pour les victimes d'agressions sexuelles, une annonce inappliquée aujourd'hui, les évêques ayant demandé un "temps d'appropriation" pour préciser leur démarche.
Mais elle est critiquée par certaines victimes de Bernard Preynat qui n'y voient "qu'une mascarade". "L'Eglise ne peut pas faire acte de repentance et échapper à ses responsabilités quand il s'agit d'indemniser des victimes en se défaussant sur Bernard Preynat et en jouant le temps!", réagit Pierre-Emmanuel Germain-Thill, partie civile au procès Preynat.
"Pour nous, ça ne va jamais s'arrêter. Il y en a encore pour des années !", ajoute-t-il spéculant sur l'appel éventuel de la "sentence" du tribunal ecclésiastique que pourrait faire l'ex-prêtre d'ici la fin juin, mais aussi sur les recours encore possibles après son prochain procès en appel.
Même écho de la part de François Devaux, le président de l'association de victimes La Parole libérée, pour qui l'Institution "joue sur des bonnes valeurs qu'elle ne s'applique pas" et fait preuve de "désinvolture" en s'appuyant à la fois sur Preynat et le public pour satisfaire la "demande de réparation" des victimes.
"L'Eglise n'est pas pauvre. Elle a peut-être des problèmes de liquidités mais elle n'est pas pauvre", poursuit M. Devaux, soulignant la portée "symbolique" qu'aurait constituée une participation directe du diocèse à ce fonds pour "tourner la page".
"On ne peut pas le faire légalement. Quand vous donnez de l'argent à l'Eglise, vous le donnez dans un cadre très précis avec une déduction fiscale qui vous oblige à le dépenser pour ce pourquoi vous l'avez reçu", a rétorqué Mgr Dubost.
L'affaire Preynat, qui a éclaté en 2015, a éclaboussé toute la hiérarchie catholique à travers le cardinal Philippe Barbarin. Condamné l'an dernier pour ses silences sur l'affaire, le prélat a été relaxé en appel mais a démissionné de ses fonctions d'archevêque de Lyon.