Il est l'un des auteurs et comédiens les plus célèbres en France. Encore aujourd'hui, plus de trois siècles après sa mort, Molière reste source d'interrogations quant à sa vie et son œuvre...
« Je me suis retrouvé immergée dans ce monde avec des acteurs que j'avais reconnus comme ceux de Molière, dans une espèce de cave que j'avais situé dans le Vieux-Lyon. Je ne savais pas quelle pièce, c'était, mais je me souviens que ce qu'ils disaient était extraordinaire ».
Joëlle Sevilla se remémore sa première rencontre avec Molière. Elle est comédienne à l’époque et sillonne les routes de France. Lui, est décédé depuis plus de trois siècles. Mais c’est le coup de foudre. La comédienne lyonnaise, mère du réalisateur de la série Kaameloot Alexandre Astier, s’intéresse alors à la vie et l’œuvre du dramaturge français. Une vie consacrée au service de son art, faite de préjugés dont beaucoup ignorent la vérité encore aujourd’hui.
« Toute sa vie, Molière a fait l’objet de fantasmes, depuis sa naissance et ses origines jusqu'à après sa mort », confirme Martial Poirson, professeur à l’Université Paris 8 et spécialiste de Molière. Sa vocation, son œuvre, sa vie personnelle, … Même sa mort n’échappe pas à la controverse. Joëlle Sevilla et Martial Poirson démêlent le vrai du faux.
Molière, un artiste rebelle ?
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, a 21 ans lorsqu’il fait ses débuts dans le théâtre. On le retrouve alors aux quatre coins de la France, à enchaîner les représentations avec sa troupe de l’Illustre Théâtre. Mais que fait un fils de bonne famille sur les routes ? « C’est le premier grand mythe autour de Molière, celui de sa vocation », souligne Martial Poirson.
Le fils aîné de milieu bourgeois, dont le père avait une très bonne situation à la fois financière, puisqu’il était marchand tapissier à Paris, et sociale, puisqu'il était valet de tapissier de la chambre du roi, aurait dû suivre la voie tracée par son père.
Martial PoirsonProfesseur à l'Université Paris 8 et spécialistes des études thêatrales
En tout cas, c’est ainsi que cela se passe dans la majorité des cas au 17e siècle. Au lieu de ça, Molière choisi d’exercer, par passion, l’un des métiers les plus inconsidérés de l’époque. Méprisés, critiqués pour leurs mauvaises mœurs, leur immoralité, les comédiens sont excommuniés. Autrement dit, ils sont exclus de la communauté des Chrétiens.
Pourquoi Molière s’infligerait-il ce châtiment à une époque où la religion occupe une place importante dans le quotidien des Français ? D’autant plus qu’au 17e siècle, les comédiens le sont de père en fils ou de mère en fille, ce qui n’est pas son cas.
« Il y a une histoire assez drôle racontée par un grand écrivain russe, Mikhail Boulgakov, qui dit que son père aurait demandé à un prêtre d'aller le convaincre de renoncer à l'idée de devenir comédien. La légende raconte que c'est finalement Molière qui aurait convaincu le prêtre de rejoindre sa troupe », affirme Martial Poirson.
Ce n’était pas la profession rêvée par les parents de Molière, mais ils ne l’ont pas déshérité pour autant. « On a voulu voir en lui un adolescent rebelle, quelqu'un qui aurait été en rupture avec son contexte familial », explique le professeur qui réfute cette hypothèse, pourtant mise en scène par Ariane Mnouchkine dans le film « Molière ou la vie d’un honnête homme ».
Un acteur de Versailles ?
« Molière n’était pas tellement un acteur de cour comme on l’entend beaucoup. Oui, il allait jouer à Versailles quand on lui demandait. Mais il allait aussi chez les ministres, chez Madame de Sévigné », explique Joëlle Sevilla, qui soulève une question : comment un artiste qui a autant critiqué la société de son temps, le clergé, les médecins, le pouvoir en place, aurait-il pu s’attirer la sympathie de la cour ?
Quand Molière a écrit Tartuffe (qui est une critique très radicale de l'Église, NDLR), Louis XIV l'a quand même interdit. Il a fallu rajouter deux actes, le 2 et le 5.
Joëlle SevillaComédienne lyonnaise et amoureuse éperdue de Molière
Le dramaturge a malgré tout réussi à devenir l’un des artistes favoris de Louis XIV. Lors de banquets, spectacles équestres, opéras organisés par ou pour le Roi, Molière est présent pour jouer ses pièces, mettant parfois Louis XIV dans une position délicate.
« Moi, je le dis souvent, Molière est favori sans être courtisan », explique Martial Poirson. À cette époque, le dramaturge bénéficie du statut d’artiste pensionné et sa troupe est financée directement par le roi. Près d’un tiers de ses pièces sont écrites à la demande de Louis XIV.
Certains tableaux datant du 19e siècle mettent d’ailleurs en scène cette complicité, comme celui de Jean-Auguste Dominique Ingres sur lequel on observe Molière manger à la table de Louis XIV à Versailles. « C’est une pure fake news, parce que dans le protocole de la cour, il est interdit à quelqu'un qui a une condition aussi décriée de siéger à la table personnelle de Louis XIV, réservée à la famille de sang royal », explique Martial Poirson.
« Donc ces tableaux, ils sont inventés. On est au milieu du 19e siècle, il y a eu la Révolution Française et il faut restaurer une image plus positive des rois, et donc on invente cette image de Louis XIV qui est capable de sortir de l'ordre protocolaire, de quitter les impératifs de la cour, pour pouvoir honorer son artiste », ajoute le spécialiste.
Lyon, sa ville de cœur ?
Un Molière proche de Louis XIV, mais aussi un Molière proche du peuple. Car avant de s’en aller pour la capitale, le dramaturge sillonne pendant près de 15 ans les villes de province pour tenter de se faire un nom. « C'est un artiste qui a une très bonne connaissance des provinces et qui a d'ailleurs cherché beaucoup de sujets d'inspiration dans les rencontres qu'il y a faites. Par exemple, dans Monsieur de Pourceaugnac, il y a des scènes en vrai patois picard », explique Martial Poirson.
« C'est la première fois qu'un artiste d’Île-de-France va intégrer des langues régionales dans une pièce de théâtre qu’il jouera par la suite à la cour comme à la ville », ajoute-t-il. Durant sa tournée des provinces, c’est à Lyon qu’il passe le plus clair de son temps.
« On a retrouvé les écrits chez le notaire pour son mariage », souligne Joëlle Sevilla qui a ouvert un théâtre en octobre 2021 à Lyon nommé « Mascarille » (nom donné aux personnages de valet dans les pièces de Molière, NDLR).
Il fallait une ville importante. Il ne pouvait plus retourner à Paris parce qu'il avait trop de dettes. À Lyon, il y avait quatre foires par an. C'était une ville extrêmement riche, avec beaucoup de passages et au 17e siècle, avec énormément d'acteurs italiens.
Joëlle SevillaComédienne lyonnaise et amoureuse éperdue de Molière.
À Lyon, on retrouve par exemple le passage de Molière avec Cyprien Ragueneau, poète et pâtissier de la rue Saint-Honoré à Paris dont on entend parler dans la pièce d’Edmond Rostand Cyrano de Bergerac et qui a tout plaqué pour suivre le dramaturge dans sa tournée en province. Ce dernier est aujourd’hui enterré au cimetière d’Anay à Lyon. C’est à Lyon que Molière écrit et joue sa première pièce en cinq actes intitulée « L’étourdi ou les contretemps » en 1955.
Molière, dans l’ombre de Corneille ?
« C’est par ses ennemis que l’on connaît Molière ». Joëlle Sevilla se remémore toutes les polémiques entourant la vie et l’œuvre du dramaturge. « Il a écrit l’école des femmes. Ça a fait un scandale. Ses détracteurs ont écrit deux pièces contre lui. Il réplique en écrivant la critique de l'école des femmes. Ça ne les calme pas. Ils écrivent d'autres pièces contre lui. Et là, il met un terme à la querelle en écrivant L’impromptu de Versailles, où il prend ses ennemis un par un, puis il les imite ».
Mais celle qui résonne dans sa tête, c’est la dernière en date, selon laquelle Molière n’aurait pas rédigé toutes ses œuvres. « C’est juste impossible quand on connaît la vie de Molière parce que les frères Corneille étaient ses pires ennemis », renchérit la comédienne.
En 1919, un écrivain nommé Pierre-Louÿs rédige un article dans lequel il démontre la supercherie. Son argumentaire se base sur des citations similaires entre les deux auteurs. « À l'époque, on cite de mémoire. Il n’y a pas Internet, on ne peut pas vérifier », explique Martial Poirson qui infirme cette hypothèse.
Encore aujourd’hui le sujet est repris par de nombreux chercheurs. Beaucoup réfutent cette thèse. C’est le cas notamment de Georges Forestier, auteur de la première biographie scientifique de Molière.
« C'est incroyable de dire que cette biographie scientifique, elle date d'il y a 15-20 ans maximum. Donc il a fallu attendre quatre siècles pour qu'on ait une biographie vraiment rigoureuse de Molière », souligne le professeur qui a rédigé un ouvrage retraçant ces mythes qui ont construit la légende Molière : Le Molière imaginaire.
D’autres continuent de confirmer le rôle de Corneille dans la carrière de Molière. Dominique Labbé, chercheur à l’Institut d’Études politiques de Grenoble (IEPG) est par exemple à l’origine d’une des plus célèbres études montrant une ressemblance entre les pièces des deux artistes. Pourtant, en novembre 2019, deux chercheurs du CNRS et de l’École nationale des chartes démontrent scientifiquement que Corneille n'a écrit aucune des pièces de Molière.
Un acteur mort sur scène ?
Sa mort aussi soulève des interrogations. Le 17 février 1673 Molière joue pour la 4e fois Le malade imaginaire, pièce dans laquelle il incarne un faux malade. Rapidement, le comédien est pris d’un malaise sur scène et n’est pas capable de terminer la pièce.
C’est vraiment le mythe de l'acteur génial, tellement dévoué à son art que finalement, il trompe la nature elle-même et meurt en jouant un malade. Alors qu'en réalité, on sait aujourd'hui qu'il est mort d'une fluxion de poitrine.
Martial PoirsonProfesseur à l'Université Paris 8 et spécialistes des études thêatrales.
Molière meurt quelques heures plus tard chez lui. « On va même aller jusqu’à dire qu’il était atteint d'une maladie secrète depuis fort longtemps, et qu’il est mort devant son public en faisant un ultime dieu aux spectateurs sur scène », renchérit le spécialiste.
Une idée qu’il réfute également, Molière n’ayant pas montré de signes de faiblesse. Le dramaturge n’a quasiment jamais manqué une représentation. S’il avait eu des problèmes de poumons, le public l’aurait remarqué. La thèse d’un hiver très rude faisant des milliers de victimes de pneumonie est alors évoquée.
« L'autre aspect de cette mort, c’est que l'Église lui aurait refusé le sacrement de l'enterrement et qu'il aurait été enterré dans la fosse commune ». À l’époque en France, ces fosses sont réservées aux prostituées, aux vagabonds… Aux personnes que la société rejette et qui n’ont pas de moyens pour se payer une sépulture. Les comédiens en font partie, rejetés par l’église, mais arrivent à y échapper en reniant leur profession juste avant de mourir.
La réalité, c’est que Molière n’avait pas eu le temps de renoncer à sa profession. « On a inventé en fait une punition post-mortem de l'Église. C'est vraiment la métaphore de Molière enterré comme un chien », explique Martial Poirson. Mais son épouse Armande de Béjart, après quelques négociations auprès du roi et de l’archevêque de Paris, a réussi à faire enterrer son mari dignement… sous le nom de Jean-Baptiste Poquelin, marchand de tapissier.
« On a mis sur son tombeau un drap à l'ordre de l'incorporation des marchands tapissiers et repris son nom de baptême, pas son nom de scène », conclut le spécialiste. Molière a été enterré au pied de la croix dans le cimetière Saint-Joseph à Paris. Le cercueil a depuis été détruit pour construire les catacombes et les ossements ont disparu, laissant certaines personnes continuer de penser à la thèse d’un enterrement dans la fosse commune.
D'autres mythes entourent la vie de Molière. N’a-t-il pas épousé sa belle-fille ? Son épouse Armande de Béjart l'a-t-elle trompé ? A-t-il fait de la comédie par défaut ? Les idées reçues persistent encore aujourd'hui.
>>> Retrouvez l'interview de Joëlle Sévilla, directrice et fondatrice d'Acting studio Lyon dans ce podcast en cliquant ici.
Retrouvez également Joëlle Sevilla sur le plateau de Vous êtes formidables, en replay sur france.tv.