"On entend les craquements du glacier" : l'extraordinaire expédition de plongeurs lyonnais à la source du Rhône

Quatre plongeurs de l'association Odysseus 3.1 explorent les eaux glacées du lac du col de la Furka à 2429 mètres d'altitude dans les Alpes suisses. Une expédition à visée écologique et scientifique qui a lieu jusqu'au 3 juin.

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"On va plonger dans un endroit où personne n'est jamais allé avant", s'impatiente Lionel Rard, président fondateur d'Odysseus 3.1. Sa voix trahit l'émotion d'un aventurier sur le point de découvrir un territoire jusque-là inexploré.

Accompagné de trois autres plongeurs de l'association lyonnaise, le scaphandrier professionnel va nager sous le lac glaciaire du col de la Furka ou col de la Fourche, situé dans les Alpes suisses, formé par la fonte du glacier du Rhône et source du fleuve. Ils vont plonger en binôme à quatre reprises entre le 1er et le 2 juin dans trois zones délimitées : là le glacier se jette dans le lac, au milieu du lac et à l’exutoire, lieu d'où jaillit le torrent d’un mètre de large qui va devenir par la suite le Rhône.

Une banquise mouvante 

Lionel Rard, chef de l'expédition, a effectué un voyage de reconnaissance le 24 mai dernier. Il remarque déjà des changements de la glace depuis une semaine. "En plongée sous glace, donc sous plafond, on ne peut pas remonter à l'air libre comme on veut, explique-t-il, or avec la fonte des glaces, le lac a déjà commencé à bouger, c'est une banquise instable qui peut s'ouvrir et se fermer sur nos têtes". Pour éviter le drame, les plongeurs expérimentés sont raccordés à une ligne de vie. Ils peuvent ainsi retrouver la sortie et le trou par lequel ils auront pénétré dans le lac.

Mais le risque reste élevé et l'environnement hostile. À 2 429 mètres d'altitude, l'équipe est isolée et éloignée de toutes infrastructures de secours. "La route est fermée sur 10 km donc on a amené nos propres équipements de secourisme et d'oxygénothérapie", explique le responsable d'Odysseus 3.1.

En plus, un petit robot sous-marin (ROV pour remotely operated underwater vehicle en anglais) a été envoyé en repérages ce 31 mai au matin. "La visibilité est réduite, ça veut dire qu'on va devoir faire nos prélèvements à l'aveugle", confirme le plongeur scientifique. Par endroits, la couche de glace est épaisse de deux mètres, une difficulté supplémentaire pour la percer sans l'abîmer et un travail de longue haleine, car chaque trou nécessite quatre à cinq heures de perçage.

Documenter les glaciers

L'équipe scientifique est accompagnée du biographe du commandant Cousteau et de l'artiste sonore Julie Rousse. Elle a plongé hydrophones et microphones pour enregistrer les sons du glacier. Un résultat qui promet d'être magnifique. "C'est tout sauf silencieux en dessous, on entend les bulles d'eau, la neige qui fond et les craquements du glacier", s'émeut Lionel Rard. Un documentaire sera également réalisé pour témoigner de cette première mondiale.

Ce n'est pas la première fois que l'équipe plonge dans un lac glaciaire, elle avait déjà eu l'occasion de nager à -30 mètres dans le Parc National de la Vanoise, sous la glace du lac Merlet.

Obtenir l'empreinte du Rhône 

L'association Odysseus 3.1 a proposé à plusieurs groupes scientifiques de s'associer pour cette expédition. Ainsi, les plongeurs vont prélever de l'eau, de la glace et des sédiments, fruits de l'érosion, situés au fond du lac, pour que ces échantillons soient analysés par l'Université de Genève et l'INRAE. Une occasion exceptionnelle pour Aymeric Dabrin, chercheur depuis douze ans à l'Observatoire des Sédiments du Rhône. Cet organisme a pour mission de produire des données pour identifier les flux sédimentaires, ainsi que les pollutions associées à ces sédiments.

"On n'avait jamais eu l'occasion d'aborder les sédiments à la source, on va pouvoir obtenir l'empreinte, le 'signal' du Rhône", explique le chercheur. En d'autres termes, il s'agit de comprendre de quoi est "fait" le Rhône en amont : quels matériaux lourds, quelles matières sédimentaires et quels polluants y sont présents.

Je ne peux pas dire quels polluants seront identifiés mais je me doute que ça ne sera pas vierge. Il n'y aura pas de sédiments propres.

Aymeric Dabrin,

chercheur

Les chercheurs seront ensuite en mesure de comprendre comme le Rhône est, plus loin, affecté par ses affluents et leurs propres sédiments, chacun ayant des "signaux" différents. Selon Aymeric Dabrin, le Rhône reste "relativement propre" en termes de contamination aux PCB et métaux lourds, comparé aux années 1970. Toutefois, ces recherches permettent aussi d'identifier les rejets de polluants dans les cours d'eau afin de les limiter.

Un géant meurt devant nous

Ce col de la Furka est donc la source du Rhône. "Pour des Lyonnais comme nous, c'est émouvant de plonger dans la source du fleuve dont notre alimentation en eau potable dépend. On est au point de départ, on peut dire : la mer commence ici", souligne Lionel Rard d'Odysseus 3.1.

Les Alpes sont considérées comme "Le Château d’eau de l’Europe". Or, la fonte des glaciers causée par le réchauffement climatique a déjà des conséquences désastreuses pour les ressources en eau dans plusieurs pays d'Europe. Les Alpes comptent 4 000 glaciers, dont 90 % de la masse aura fondu d'ici à 2100. Le débit du Rhône, lui, devrait diminuer de 30 % avant 2040. "C'est à la fois excitant et en même temps tragique, car nous sommes face à un géant qui meurt devant nous. Ce glacier aujourd'hui fait une dizaine de kilomètres de long alors qu'à l'origine, il recouvrait Lyon", rappelle Lionel Rard.

Face à lui, il décrit un paysage magnifique, mais perturbant. "Je vois ces kilomètres de grandes bâches de plastique déployées sur le glacier, elles ressemblent aux voiles d'un bateau après naufrage, mais en altitude". Ces bâches, ce sont des couvertures isolantes installées pour refléter la lumière, maintenir à basse température le glacier et empêcher la fonte de la neige. Un "pansement sur une plaie béante" pour Lionel Rard qui critique le manque d'action des politiques aux niveaux européen et français : "l'arsenal juridique pour préserver et sauver les glaciers, on l'a. Maintenant, il faut la volonté politique."

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