À partir du 1er avril, les expulsions vont reprendre après la trêve légale de l'hiver. Chaque dossier d'expulsion interroge sur la question du droit au logement opposable et de son application.
Ousseini a 46 ans, il vit dans un squat à Lyon depuis décembre 2022. L’habitation appartient à la SNCF et le bâtiment est censé rester vide et en l'état d’ici à 2027. Alors il ne comprend pas pourquoi la trentaine de personnes hébergées doivent quitter les lieux et perdre tout ce qu’elles ont pu rassembler, frigo, matelas, vêtements.
"On va se retrouver à la rue. On n'a pas de solution. Il y a un bébé de trois mois ici, des enfants ... On est très très inquiets car on va se retrouver dehors. On ne comprend pas. Si on part d'ici on ne va rien prendre, à part nos papiers, même nos vêtements... les bagageries sont pleines, on a nulle part où les déposer."
Un retour à la rue annoncé du fait de la fin de la trêve hivernale. "À partir du 1er avril, on peut être dehors" précise Ousseini. "On a cherché à contacter la SNCF, à les rencontrer, mais on n'a pas de réponses à nos mails. On a vu avec un élu de la mairie qui va essayer de voir ce qu'il peut faire, mais on n'a pas eu de retour. À Rennes j'ai des amis qui ont pu conventionner leur squat le temps où l'immeuble est inoccupé. Ici on a gagné une année après un procès qui nous a accordé un temps pendant la trêve hivernale mais c'est fini."
Des délais plus courts d'expulsion
La loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite prévoit en effet la réduction à un an du sursis que peut prononcer le juge de l’exécution ou le juge de l’expulsion après avoir ordonné l’expulsion de l’occupant, contre trois ans auparavant.
"Avec cette loi les locataires peuvent être expulsés beaucoup plus rapidement et ça va être une catastrophe" estime Pierre Delivet de l'association Droit au Logement. "En plus, avec l'inflation, l'augmentation des prix du gaz etc... on ne sait pas comment les gens vont s'en sortir et on craint des milliers d'expulsions sur le Rhône dans les semaines et les mois à venir".
Bernard Merlin, référent du Collectif Intersquatt 69, ajoute : "auparavant, le juge faisait l'équilibre entre l'urgence pour le propriétaire de récupérer ses biens, ce qui est légitime a priori, et la nécessité pour les personnes qui occupaient ce lieu, parce qu’elles ont besoin d'un toit. Mais on craint que les habitants ne puissent plus faire valoir leur situation sociale".
Occupation des lieux vacants
Plusieurs associations ont organisé une manifestation à Lyon qui a réuni environ 300 personnes le samedi 30 mars 2024. Un appel à se faire entendre "en fanfare". Au milieu des instruments, les voix portent et demandent "plus de logements sociaux !" et un moratoire pour éviter aux expulsés de se retrouver sans solution de relogement. Les 300 militants protestent contre la loi Kasbarian-Berger.
"Une solution : la réquisition des lieux vacants" exigent plusieurs collectifs de défense du droit au logement. La possibilité d'obtenir un doit de résidence temporaire encadré par une association dans des locaux vides a cependant été pérennisée par la loi Kasbarian. Selon le rapporteur de la loi, André Reichardt, "depuis la création du dispositif en 2009, environ 1 000 bâtiments ont fait l’objet d’une convention d’occupation temporaire de locaux, permettant d’héberger près de 10 000 personnes".
Des conventionnements sont en cours avec la métropole de Lyon et les villes de Lyon et Villeurbanne, reconnaissent les associations. Mais pour les collectifs, cela est loin d’être suffisant. "On a six squats soient 250 personnes qui concrètement vont se retrouver à la rue à Lyon et qu'on amène à des situations de déchéance sociale" estime Bernard Merlin. Plusieurs associations alertent donc sur la probable multiplication des campements extérieurs dans les semaines à venir.
En France entre 2008 et 2022, plus de 400 000 personnes ont déposé un dossier pour faire valoir leur droit au logement opposable, selon les chiffres officiels du gouvernement, dont près de 28 542 en Auvergne Rhône-Alpes.