Témoignage. "Désormais, on accueille les plus pauvres des plus pauvres" : face à l'explosion de la pauvreté, des associations lancent un appel d'urgence

Publié le Écrit par Cécile Mathy et Jordan Guéant
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Deux mois après le cambriolage dont il a été victime, le Secours Populaire de l'Isère en appelle aux pouvoirs publics "pour continuer son activité de solidarité". Réunis sur le plateau de France 3 Alpes, les représentants d'associations et de collectivités locales demandent à l'Etat d'assumer ses obligations envers les plus démunis.

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Il n'y a jamais eu autant de personnes pauvres dans notre pays depuis plus de 25 ans : 14,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, d'après une étude publiée par l'INSEE en novembre dernier. Ces chiffres datent de 2021, avant la guerre en Ukraine et l'inflation. Ils pourraient donc être encore plus importants.

Partout, les associations caritatives sont débordées par un afflux de personnes en précarité. Cet hiver, "pour la première fois en 39 ans", les Restos du Cœur ont dû relever leur barème et dire "non" à des habitués se trouvant désormais au-delà du seuil de revenus (voir notre reportage ci-dessous réalisé à Cluses en novembre 2023).

"Les mesures qu'on a prises, qui ont été des mesures assez dramatiques pour nos personnes accueillies, nous ont permis de freiner l'augmentation du nombre de bénéficiaires. Désormais, on accueille les plus pauvres des plus pauvres", indique Brigitte Cotte, vice-présidente des Restos du Cœur de l'Isère, dans l'émission "Dimanche en Politique" sur France 3 Alpes.

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Reportage du 8 novembre dernier aux Restos du coeur de Cluses, en Haute-Savoie. L'association a relevé son barême pour les bénéficiares cette année, faute de ressources suffisantes pour accueillir tout le monde ©France 3 Alpes / M. Feutry - B. Metral - G. Neyret

Le Secours Populaire dans l'incapacité d'assurer sa mission

À ses côtés, Nabil Chetouf dresse un constat similaire : "On a dépassé de 35 % le chiffre de hausse des familles parce qu'on pratique la solidarité inconditionnelle. On constate qu'on a beaucoup d'enfants qu'on n'avait pas, beaucoup de travailleurs pauvres, des retraités, des femmes seules, des étudiants. Cela concerne beaucoup de strates de la société qu'on n'avait pas avant et qui viennent nous voir", précise le secrétaire général du Secours Populaire de l'Isère.

Désormais, on accueille les plus pauvres des plus pauvres.

Brigitte Cotte

vice-présidente des Restos du Cœur de l'Isère

La situation est d'autant plus critique pour le Secours Populaire de l'Isère que l'association a été victime d'un cambriolage dans son dépôt d'Echirolles, deux jours avant Noël. Ému aux larmes, Nabil Chetouf avait vu une année de collecte ainsi disparaître (voir notre reportage ci-dessous réalisé le 23 décembre 2023).

768 000 euros de préjudice

Deux mois plus tard, la situation ne s'est pas améliorée. Malgré les gestes de solidarité et les initiatives pour aider l'association, "les dégâts sont considérables parce que l'estimation comptable aujourd'hui est de 768 000 euros de préjudice", dit-il.

"L'activité n'a pas repris. Je lance un appel d'urgence aux pouvoirs publics pour qu'on se mette autour d'une table et qu'on trouve une solution pérenne pour le Secours Populaire. À l'heure où je vous parle, on est en 'stand-by' au niveau de ce qui est matériel et logistique car on n'a pas de locaux adaptés. On a des sociétés de transport qui nous stockent du matériel, mais ça ne va pas durer longtemps. Je lance vraiment un appel d'urgence pour continuer notre activité de solidarité", témoigne Nabil Chetouf.

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Le Secours Populaire été cambriolé le 23 décembre 2023 à Echirolles ©France 3 Alpes - J. Guéant - F. Ceroni

3 000 personnes mal logées ou à la rue à Grenoble

Sur le plateau, les élus de Grenoble, Echirolles ou d'Annecy parlent, eux aussi, de "jamais-vu" dans l'accompagnement des personnes en précarité.

"À Grenoble, par exemple, c'est 3 000 personnes qui sont domiciliées au Centre communal d'action sociale. Ils ont une adresse administrative au CCAS pour recevoir du courrier. 3 000 personnes sont comptabilisées comme étant mal logées ou à la rue, dont 250 enfants", révèle Nicolas Kada, adjoint au maire EELV de Grenoble en charge de la coordination de l'action sociale.

Du jamais-vu dans les Centres communaux d'action sociale

À Annecy, ils sont 2 400 à avoir recours aux services du CCAS pour disposer d'une adresse. Et 10 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, d'après l'adjointe au maire en charge de l'action sociale.

"Annecy est une ville riche puisque le niveau de revenu médian est supérieur de 5 000 euros par an à la moyenne nationale. Mais on a une ville un peu championne des inégalités, avec une multitude de petits boulots mal rémunérés, et avec une pression incroyable sur le logement et des prix extrêmement élevés", indique Bénédicte Serrate (divers).

Le nouveau profil des travailleurs pauvres 

À Echirolles, troisième commune de l'Isère, Sylvette Rochas, adjointe (PCF) à la maire en charge des Solidarités estime que "le public des travailleurs pauvres a changé".

"Au sein de ma collectivité, j'ai découvert qu'il y avait des personnes qui avaient la prime d'activité, donc qui étaient éligibles au RSA. Ce sont souvent des [agents de la fonction publique de] catégorie C, des parents solos, mais dans la fonction publique, on a des travailleurs pauvres. Ça questionne quand même", dit-elle.

Les élus locaux pointent tous du doigt le désengagement de l'Etat. Du reste, Grenoble ainsi que d'autres villes de France "a déposé un recours contre l'Etat pour constater les carences" en matière d'hébergement d'urgence "et demander à l'Etat de payer ce qu'il doit aux collectivités, pour ce que l'on fait à sa place", indique Nicolas Kada.

Un recours contre l'Etat sur l'hébergement d'urgence

Dans une tribune, les maires à l'initiative de cette démarche devant la justice disaient ouvrir des gymnases, des écoles ou des centres d'accueil. Ils insistaient sur le fait que leurs "actions ne [pouvaient] se substituer, ni pallier un système national défaillant, irrespectueux des droits humains fondamentaux". Ils souhaitaient ainsi "trouver des solutions opérationnelles, efficaces, pérennes" et appelaient l'Etat à "refonder le système d'hébergement d'urgence, avec les collectivités et les associations".

Et la conjoncture ne semble pas s'améliorer pour les collectivités locales. "Dans les dix milliards de réductions de budget que prévoit l'Etat (pour réduire le déficit public, ndlr), on voit déjà que les principaux postes impactés, c'est l'Education nationale, c'est le ministère des Solidarités, le ministère de la Transition écologique, des ministères qui travaillent directement avec les associations", regrette Nicolas Kada.

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Nicolas Kada, adjoint au maire EELV de Grenoble en charge de la coordination de l'action sociale, invité de Jordan Guéant dans l'émission Dimanche en Politique ©France 3 Alpes / J. Guéant

Supprimer la TVA pour les associations caritatives

Pour Nabil Chetouf, des mesures concrètes peuvent être prises rapidement pour aider les associations, notamment supprimer la TVA qu'elles doivent payer sur les denrées alimentaires.

Le secrétaire général du Secours Populaire de l'Isère préconise également de maintenir le système de la dotation européenne SEAA (soutien européen à l'aide alimentaire). Grâce à un fonds européen, l'Etat achète des denrées alimentaires et les redistribue aux associations homologuées en France que sont la Croix-Rouge, les Restos du Coeur, le Secours Populaire et la Banque alimentaire. Mais ce système pourrait être remis en cause d'après Nabil Chetouf en 2027.

L'État pourrait alors décider de ne plus se charger de la négociation et de l'achat des produits et de distribuer une enveloppe pécuniaire à chaque association.

Conserver le système d'achat groupé de denrées alimentaires

"L'État peut faire des appels d'offres et redistribuer aux associations. Vu l'augmentation des prix depuis la guerre en Ukraine, il y a des produits que l'Etat a été dans l'incapacité d'acheter", explique-t-il. "C'est nous, les associations, qui sommes reparties négocier avec les fournisseurs, avec les grossistes", dit-il. 

Une situation qu'il n'a pas envie de voir se reproduire. Si chaque association est amenée à négocier de son côté, tous les ans, les denrées pourraient se faire de plus en plus coûteuses et donc rares pour les bénéficiaires. Un point qui est loin d'être anecdotique quand on sait que l'association distribue 800 tonnes de marchandises par an en Isère.

Pour retrouver l'intégralité des échanges sur ces enjeux, rendez-vous à 11h10 ce dimanche sur l'antenne de France 3 Alpes, en replay, sur la page de l'émission "Dimanche en Politique".

  • Dimanche en politique, "Précarité, comment être plus solidaires ?", ce dimanche 25 février à 11h10 sur l'antenne de France 3 Alpes.

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