"Nous sommes les héritiers de l'abbé Pierre", Juliette, du Collectif "Jamais Sans Toit", appelle au secours

Ce 1ᵉʳ février 2024, le collectif lyonnais "Jamais Sans toit" célèbre à sa manière le message de l'abbé Pierre. Tout juste 70 ans après l'appel de l'hiver 54, des citoyens se mobilisent plus que jamais pour des familles à la rue. Les bénévoles revendiquent l'héritage de l'abbé à la pèlerine.

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Sur l'affiche qui annonce la prochaine action solidaire du collectif Jamais Sans Toit, une illustration montre l'abbé Pierre en version "guitare héros". "C'est une personnalité plutôt rock and roll, l'abbé Pierre", avance Juliette Murtin. La jeune femme de 38 ans est professeur de français dans un collège de l'agglomération lyonnaise. Elle milite depuis trois ans au sein de ce réseau de bénévoles. Comment la jeune femme se retrouve-t-elle dans l'engagement de l'abbé à la pèlerine et dans son cri de révolte ? 

1954 - 2024 : même combat ?

" Mes amis, au secours ! Le 1ᵉʳ février 1954, il y a 70 ans, L'Abbé Pierre poussait sur les ondes un cri d'alarme.  Le vibrant appel de l'Abbé Pierre à la solidarité a permis d'éveiller les consciences sur la question des sans-abris, de faire la lumière sur ces situations dramatiques trop souvent dérobées au regard du reste de la population", écrit le collectif qui n'hésite pas à reprendre le cri de l'abbé Pierre. Mais 70 ans plus tard, la situation n'a hélas pas disparu. Au contraire, selon Jamais Sans Toit.

"La situation n’a jamais été aussi dramatique. L’extrême pauvreté a explosé, et une vague de sans-abrisme déferle sur le pays", déplore le collectif dans son communiqué. Le collectif s'inquiète du nombre croissant d'enfants sans toit dans la seule ville de Lyon, " 2 fois plus important que l’an dernier à la même date et 7 fois plus qu’il y a deux ans". Selon les militants lyonnais, plus d’un tiers des 208 écoles maternelles et élémentaires de la ville auraient dans leurs rangs des enfants dans cette situation.

La lutte contre "le sans-abrisme", les militants de ce collectif en ont fait leur cheval de bataille depuis dix ans. Derrière ce barbarisme se cache une réalité de terrain difficile et "inacceptable" pour Juliette. Des familles avec parfois de très jeunes enfants sont aujourd'hui à la rue, sans solutions. D'autant plus inacceptable et intolérable en 2024 que la France se classe parmi les premières puissances mondiales. À l'hiver 1954, alors que le pays peinait encore à se relever de la guerre, et que le froid faisait des victimes, l'abbé Pierre diffusait son appel à la solidarité sur les ondes de Radio Luxembourg, provoquant un séisme émotionnel, mettant en lumière des situations tragiques, méconnues ou ignorées. Certains se reconnaissent aujourd'hui encore dans cet appel à "une insurrection de la bonté". Plus que jamais d'actualité.

Devoir de citoyen

La prise de conscience de Juliette, c'est tout simplement à l'école qu'elle a eu lieu. "À l'origine, je me suis engagée parce qu'un enfant de la classe de mon fils dormait dehors. Il neigeait, c'était au mois de décembre. Au début, j'ai pris la famille chez moi et très vite, il fallait qu'une solution politique soit apportée. J'ai découvert le collectif et lancé l'occupation de l'école de mon enfant", explique sommairement Juliette.

Impossible de rester indifférente. Son engagement récent a des accents de sincérité. La détresse des familles à la rue la touche. La trentenaire dépense aujourd'hui beaucoup d'énergie pour leur venir en aide. "C'est un sacrifice permanent", assure la jeune femme. Au sein du collectif, les bénévoles assurent une présence non-stop auprès des familles lors des occupations d'écoles. Ces militants dorment dans les écoles, le plus souvent au détriment de leur foyer. Même si les bénévoles se relaient, l'engagement est chronophage.

On est toute une armée à travailler dans l'ombre et à militer pour ces familles démunies. On le fait parce qu'il n'y a pas le choix. Personne ne prend en charge ces familles.

Juliette Murtin

"Certaines familles sont vraiment laissées pour compte et abandonnées des pouvoirs publics". Pour la jeune enseignante, mère de famille aussi, c'est un devoir de citoyen de leur venir en aide. 

L'héritage de l'abbé Pierre

"On est d'une certaine façon des héritiers de l'Abbé Pierre. On met en œuvre une certaine désobéissance civile (...) notre action passe par des occupations d'écoles qui sont illégales. On s'est installé dans une école désaffectée il y a deux semaines. On a installé 112 personnes (...) On assure, 24 heures sur 24, la gestion sanitaire du lieu, le ravitaillement et toutes les formalités pour ces familles".  Au-delà de l'appel du 1ᵉʳ février 1954, c'est une forme de désobéissance civile qui s'exprime dans le message de l'abbé Pierre selon Juliette. Cette dernière n'est pas sans savoir que le collectif se met bel et bien dans l'illégalité en occupant des écoles. 

"L'Abbé Pierre, c'est l'héritier de Thoreau qui théorisait la désobéissance civile au 19ᵉ siècle, en disant qu'il était moins souhaitable de respecter les lois écrites que le bien moral. L'abbé Pierre, c'est ce qu'il fait quand il dit qu'il faut braver toutes les lois pour venir en aide à celui qui n'a rien", explique-t-elle. 

La charité, ça n'est pas seulement avoir des paroles de compassion ou donner quelque chose, c'est surtout agir contre l'injustice. C'est ce que nous nous efforçons de faire au sein du collectif.

Juliette Murtin

Si le collectif revendique l'action, les bénévoles comme Juliette se retrouvent aussi dans la philosophie du légendaire curé. "Je pense qu'on est effectivement les héritiers de l'Abbé Pierre aujourd'hui. Il disait : il y a une loi avant toutes les lois. Pour venir en aide à un humain privé de pain, privé de toit et privé de soins, il faut braver toutes les lois et c'est ce qu'on est obligé de faire bien souvent, nous aussi," explique Juliette qui n'hésite pas à citer la formule du fondateur de la communauté d'Emmaüs. 

"Inaction des pouvoirs publics"

Au sein de la Métropole de Lyon, le collectif Jamais Sans Toit agit auprès des élèves sans domicile et leurs familles. Des actions qui passent par des occupations d'écoles. Depuis sa création il y a dix ans,  le collectif Jamais Sans Toit revendique plus de 160 occupations d’établissements scolaires. Elles ont permis à près de 700 enfants de trouver un refuge temporaire, " le temps que les pouvoirs publics assument leur mission de mise à l’abri". 

Ça n'est pas le froid qui tue, c'est l'inaction des pouvoirs publics.

Juliette Murtin

Mais selon la jeune femme, ce fléau du "sans-abrisme" touche un public très large : "on a des personnes qui ont des papiers, d'autres qui sont en situation irrégulière, mais qui travaillent et qui sont extrêmement intégrés à la société (...) on ne prend pas en compte leur situation administrative. La loi dit que c'est la situation de détresse qui doit primer", insiste la porte-parole.

Les bénévoles n'ont de cesse de pointer une "inaction des services de l’État". Cet hiver, 300 places d'hébergement d'urgence supplémentaires ont pourtant été ouvertes par la préfecture du Rhône. Insuffisant selon le collectif. Outre les mises à l'abri dans les écoles, le but du collectif est également de faire entrer ces familles dans le dispositif d'hébergement d'urgence. Or, selon le collectif, de nombreuses familles sont toujours dans l’attente "d'un diagnostic social" qui permettrait une prise en charge. "Pour l’heure, c’est la générosité citoyenne et associative (parents d’élèves, enseignants, habitants et commerçants du quartier) qui assure l’essentiel du ravitaillement, de la logistique et de la gestion sanitaire dans les écoles occupées", déplore le collectif.

Sur l'affiche qui annonce leur prochaine action militante, le collectif lyonnais Jamais Sans Toit se réclame du message de l'abbé Pierre. 

À l'occasion du 70ᵉ anniversaire de l'appel de l'Abbé Pierre, le collectif Jamais Sans Toit lance une énième action solidaire. Un moment festif et revendicatif à "l’hôtel Montel", dans le 9ᵉ arrondissement de Lyon, qui abrite depuis le 12 janvier une centaine de personnes, dont 64 enfants. Preuve s'il en était besoin des liens qui unissent le collectif et le message de l'Abbé Pierre, la communauté Emmaüs de Bourgoin-Jallieu va fournir le repas prévu à l'école Montel le 1er février.

Suivez nos deux éditions spéciales jeudi 1ᵉʳ février à partir de 18h58 sur France 3 et en replay sur France.tv.

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