Huit activistes écologistes ont comparu ce mardi 18 juin devant le tribunal judiciaire de Lyon pour s'être introduits le 2 mars dernier sur le site de l'usine Arkema pour dénoncer la pollution aux PFAS. 3 à 6 mois de prison avec sursis ont été requis. Compte-rendu de l'audience.
Ils sont ingénieurs, doctorant en biologie, cadre dans la protection de l’environnement, journaliste d'une revue sur l'écologie... À la barre du tribunal correctionnel de Lyon, le CV des huit militants qui comparaissent mardi 18 juin est impressionnant. Leur tort ? S’être introduits le 2 mars avec 300 activistes vêtus de blouses blanches sur le site de l’usine Arkema d'Oullins-Pierre-Bénite, pour dénoncer la pollution massive aux PFAS de l'industriel. 3 à 6 mois de prison avec sursis ont été requis.
Lors l'action, coordonnée par Extinction Rébellion et Youth for Climate, une banderole "habitants contaminés, Arkema doit payer" a été déployée sur la façade d'Arkema. Mais dans le sillage de la manifestation, plusieurs dégradations ont été commises sur ce site classé Seveso, comme le découpage de grillages, des tags, ou encore des vitres brisées.
Les huit militants présents à la barre comparaissaient donc pour "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations" et cinq d’entre eux pour "dégradations lourdes". Trois des prévenus avaient été interpellés sur un parking à l'extérieur du site par trois policiers en civils, tandis que les cinq autres l'avaient été après avoir accroché la banderole.
"Ce n’est pas le procès d’Arkema"
Au cours d’une audience qui aura duré sept longues heures, les débats ont beaucoup tourné autour des enjeux de la pollution massive aux PFAS provoquée par Arkema dans le sud de Lyon. "Aujourd’hui ce n’est pas le procès d’Arkema" a d’ailleurs tenu à rappeler Maitre Graulle, l’avocate d'Arkema qui est partie civile dans l'affaire.
Mais pour ces huit militants au profil scientifique, qui ont entre 23 et 43 ans, la participation à cette action de désobéissance civile est apparue comme un moyen de mettre le sujet alarmant des polluants éternels au cœur du débat public. "On veut utiliser l’enceinte judiciaire pour faire passer un message, est-ce bien le lieu ?" a donc tenu à interroger la Présidente Brigitte Vernay. "Tous les lieux sont bons pour faire passer le message" a répondu Maxence (les prénoms ont été modifiés), doctorant en biologie.
Le groupe Arkema est accusé d’avoir rejeté pendant des décennies des PFAS dans l’eau et dans l’air, ces substances per- et polyfluoroalkylées, surnommées "polluants éternels" en raison de leur persistance dans les organismes vivants et les écosystèmes. Des faits mis en lumière par plusieurs enquêtes journalistiques, notamment celles de notre journaliste Emilie Rosso, qui a plusieurs fois été citée durant l’audience. Les PFAS sont désormais visées par une interdiction au niveau européen.
"Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on prend un risque juridique"
Un à un, les prévenus se sont avancés à la barre pour raconter le déroulement de la journée du 2 mars. Malgré des métiers où ils s’investissent dans les problématiques écologiques, ils ont eu besoin d’agir de manière plus concrète, en participant à des actions de désobéissance civile. "Il y a beaucoup de manières institutionnelles de lutter mais, aujourd’hui, Arkema a toujours le droit de rejeter des PFAS alors que tous les jours, des habitants sont intoxiqués, donc l’idée est d’aller plus loin" justifie Estelle, venue de Nantes.
Mais ils sont unanimes : ils n’ont pas commis les dégradations qui ont pu être observées sur le site."Je n’aurai jamais commis de dégradations, car je n’aurai jamais risqué de perdre la garde de ma fille" exprime Lucie, militante dans la région."Dans toutes les maisons à Pierre-Bénite, il y a des cancers. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on prend un risque juridique" appuie Julia.
Un risque de taille, notamment pour Maxence, le doctorant en biologie, qui est également accusé d’avoir été violent avec un des policiers qui tentait d’interpeller un activiste. Une version démentie par l’intéressé, ainsi que par Lucie, témoin de la scène, qu’elle a d’ailleurs filmé avec son téléphone. Mais son portable a ensuite été détruit par les forces de l’ordre, sans pouvoir fournir de preuve à l’audience.
"Madame la Juge, vous êtes contaminée au PFAS"
Au fil du procès, quatre témoins se sont succédés à la barre, apportant chacun leur expertise et leur histoire. Parmi eux, Anne Grosperrin, vice-présidente de la Métropole de Lyon. "C’est un scandale sanitaire majeur. Vous-même, Madame la juge vous êtes contaminée au PFAS" déclare-t-elle à la barre, avant d'ajouter : "Face à une telle entreprise où se trouve l’intérêt général et où se trouve la violence ?". En mars dernier, la Métropole de Lyon a d’ailleurs assigné en justice Arkema.
Des déclarations très fortes, suivis par le témoignage poignant de deux habitants de Oullins-Pierre-Bénite. "Mon lait maternel a été contaminé. On nous a dit de ne plus consommer les légumes du jardin, or les légumes retiennent peu la pollution donc ça vous donne une idée du niveau de contamination" se désole Stéphanie Escofier.
Jean-Paul Massonat, qui habite à 700 mètres de l’usine, est positif à sept PFAS sur les neuf qui ont été testés dans son sang. Pour l'un d'entre eux, le taux était de 114 fois la dose autorisée. "Les prévenus n’ont pas respecté le droit de propriété, mais une fois les grillages remis et la banderole repliée, tout redevient normal. Moi, c’est tous les jours que les rejets d’Arkema franchissent ma propriété pour infecter mes légumes, mes œufs, dans l'eau du robinet" s'indigne-t-il.
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Réaction de Julia, l’une des 8 militantes écologistes, à la sortie de l’audience.
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Un dossier politique
Les huit militants ont été défendus par quatre avocats, qui ont chacun axé leur plaidoirie sur un chef d’accusation précis. "Dans ce dossier, tout est politique, et ce n’est pas un gros mot de le dire" souligne Maître Bouquin, rappelant au passage le bénéfice record d’Arkema en 2022, qui se chiffrait à 11 milliards d’euros. Maître Forray, de son côté, insiste sur le rôle de cette action de désobéissance civile pour alerter l’opinion publique. "Avant, je ne savais pas ce qu’étaient les PFAS. Une poêle Tefal (composée de fluropolymère), si on m’avait dit de la lécher, je la léchais !" affirme-t-il, tout en précisant qu’aucun élément du dossier ne permet de caractériser une infraction de la part des prévenus. La défense plaide la liberté d'expression d'une manifestation pacifique, et l'état de nécessité. Depuis les révélations du scandale en 2022, Arkema poursuit ses activités. L'état de nécessité perdurera donc tant que le groupe industriel ne cessera pas ses rejets.
Au moment de ses réquisitions, le procureur Eric Jallet souligne le profil "réfléchi et éduqué" des huit activistes. Mais martèle : "Ce n’est pas en se mettant en haut d’une tour et en causant 48 000 euros de dommages que l’on rend les gens plus intelligents". Il requiert 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende pour Maxence, 3 mois avec sursis et 500 euros d’amende pour Lucie et Estelle, et 4 mois avec sursis et 500 euros d’amende pour les cinq accrocheurs de banderole.
Le délibéré sera rendu le vendredi 5 juillet à 9h30.