Fondateur de l'association Ulysse 3.1, Lionel Rard est un militant ardent contre la pollution de l'environnement. En menant des actions concrètes pour nettoyer les cours d'eau des multiples objets qui y sont jetés, il tente de convaincre de l'urgence de changer de comportements. Rencontre sur le plateau de "Vous êtes formidables" sur France 3
« J’aime à répéter que nous avons deux vies, et que la deuxième commence lorsque l’on s’aperçoit qu’on en a qu’une seule. C’est ce qui m’est arrivé en découvrant un grand massacre de dauphins près des îles Féroé. Sous gouverne de culture, avec l’argument d’entretenir une tradition, des centaines de grands dauphins –des globicéphales- sont rabattus par les féringiens sur les plages, juste pour le plaisir », explique avec effroi Lionel.
Avec humour, il appelle cela « ma crise écolo de la quarantaine »… Lionel Rard, fondateur de l’association Odysseus 3.1, avoue que cette vision a été un moment-charnière dans sa vie. « Cela m’a complètement révolté et j’ai souhaité m’engager. Cela a été mon déclencheur. L’envie d’être acteur tout de suite.»
Ça tombe bien, son truc, c’est la plongée. « J’ai fait beaucoup de sport et j’avais toujours la plongée de moi. Elle s’est révélée être un vrai outil. Je suis passé d’une pratique de loisirs à professionnelle. » Et il fonde, dans la foulée, son association Odysseus 3.1 en 2018, pour mener une action concrète, pour agir, et alerter.
Toujours avec un brin d’humour. Odysseus… C’était le nom du vaisseau spatial d’Ulysse 31, dans un dessin-animé dont beaucoup se souviennent, lorsqu’il était diffusé sur Fr3 dans les années 80. Tous les soirs, vers 20 heures, son héros avait notamment pour compagnon un petit robot, nommé Nono…
Et voici Lionel équipé de son propre vaisseau –son association- pour sauver la planète. En commençant par scruter le fonds des cours d’eau. « Notre but est de protéger la nature en général et l’eau en particulier. L’homme veut trouver de l’eau dans l’espace… alors que cette eau est là, sous nos yeux, et à protéger. On fait ça tous les mois. Mercredi, samedi, et dimanche prochain, des opérations sont déjà prévues. Ce sera dans le Rhône, dans le bassin du Grand large, pour nettoyer. »
L’association est désormais connue. Des images de nettoyage, de récupération d’objets les plus inattendus… comme des vélos, des trottinettes, et bien pire… circulent sur les réseaux sociaux, dans les journaux. Elles sont l’œuvre d’une équipe motivée. « Un vrai melting-pot. Cela va du chômeur au chef d’entreprise, en passant par des enseignants. On a des jeunes, et des gens plus expérimentés. Et on a été rejoints par des scientifiques, qui ont créé un conseil, pour pouvoir établir le lien entre la science et les citoyens, en vulgarisant au maximum », décrit notre interlocuteur.
Odysseus 3.1 est également désormais de deux patrouilleurs : l’Arioste, basé à Lyon et l’Arisoste 2, aux abords de Marseille. « Cela nous permet d’effectuer des repérages des zones polluées ; On embarque et on repère les secteurs à nettoyer. On emmène nos bénévoles et notre équipe de plongeurs, pour passer à l’action. Parfois, on embarque aussi du public, notamment des scolaires, que l’on veut sensibiliser à nos actions » explique Lionel. « On a vraiment l’ambition de travailler sur toute la longueur du Rhône, depuis sa source au col de la Furca, en Suisse, jusqu’à son embouchure à Marseille. »
Malheureusement, la plupart du temps, la pêche est bonne. « Il y a un endroit dans le Rhône, au niveau du pont Lafayette, à Lyon, où se trouve un tombant de quinze mètres de profondeur. On y trouve une concentration de Vélo V (les vélos gratuits de l’agglomération lyonnaise), et même de multiples déchets. Cela va de la batterie à des ustensiles de cuisine. »
Mais pourquoi ces objets se sont-ils retrouvés piégés à cet endroit ? « Les gens jettent volontairement ces choses dans l’eau. On retrouve même des éléments de chantier de particuliers… des lavabos, des systèmes de robinetterie… C’est sans doute plus facile de jeter cela plutôt que d’aller à la déchetterie », raconte notre plongeur.
Son association lutte aussi contre la prolifération des plastiques. Un combat que l’on pourrait imaginer perdu d’avance. « Je réponds avec franchise : c'est oui » répond tristement notre spécialiste. « Sachant qu’il y a un trou dans le bateau et qu’il faut quand même écoper. L’espoir de trouver une solution est ce qui anime l’être humain. Connaissez-vous le trillion ? Cela correspond à un milliard de milliards. Un institut de recherche international a estimé qu’il y avait 24,4 trillions de microparticules de plastiques dans nos océans. Elles mesurent moins de 5 millimètres. Tous les jours, dans nos fleuves et nos mers, on rejette 30 à 40 000 tonnes de plastique. »
Ces plastiques sont d’abord des macrodéchets, qui sont réduits sous l’effet des courants et du soleil. « Selon cet institut, il sera impossible de débarrasser les océans de ces particule. » On cherche tout de même des solutions. « On essaye notamment de mettre au point des petits poissons –en plastique, c’est juste fou- capables de venir manger ces particules », explique Lionel.
Je me lève le matin pour agir, être acteur du changement. Donner du sens à sa vie est ce que l’on a de mieux à faire
D’où vient ce formidable défenseur de la planète ? Lionel Rard a grandi entre Chambéry et Champagny-en-Vanoise. « Il y a 100 kilomètres d’écart entre ces deux communes en Savoie. L’une, capitale savoyarde, comprend plus 40 000 habitants et l’autre, petit village au bout d’une vallée, seulement 600. Et moi, j’ai la chance d’avoir cette double culture », témoigne-t-il avec enthousiasme. D’un père charpentier et d’une mère enseignante –ce qui en dit long sur son avenir-, Lionel a vite été un fondu de sport. Escalade, ski, foot, surf, tennis… entre autres ! « Je voulais devenir champion du monde en tout et je l’ai été… en rien » , rit-il.
Il part ensuite étudier le sport à Grenoble, mais s’égare. « J’ai eu le bonheur de découvrir la guitare, les filles et la console de jeu », reconnaît-il. Mais il se recadre lui-même en devenant moniteur de ski pour l’Armée de l’air. « Je suis passé de mes dreadlocks oranges à une coupe plus courte et des réveils à défiler sur la place d’Armes, avant d’aller partir skier du côté de Méribel », explique Lionel.
Ce couteau-suisse enchaine ensuite les jobs, rachète une entreprise dans l’immobilier. « Je me lève le matin pour agir, être acteur du changement. Donner du sens à sa vie est ce que l’on a de mieux à faire. Trouver un toit à des gens m’a tellement plu. Et, maintenant, livrer des combats avec d’autres… Quel bonheur ! »
De Nelson Mandela à Jacques-Yves Cousteau
Il se reconnaît en la personne de Nelson Mandela. « Il a bercé mon adolescence. Dans les années 90, j’ai 16 ans. Et j’apprends qu’un homme est enfermé depuis 25 ans parce qu’il n’a pas la même couleur de peau… et que cet homme ait pu devenir président de l’Afrique du sud, sans effusion de sang. Il y avait 25 millions de personnes noires, et 25 millions de blancs. Et il a réussi à éviter un massacre. Chapeau !» résume-t-il.
Cet admirateur du Commandant Cousteau reprend volontiers l’une de ses maximes « On ne comprend bien que ce que l’on aime…» et il y ajoute « et encore mieux ce que l’on comprend ! ». Il a d’ailleurs repris ses études. « Je repars dans trois semaines à l’Université de la Rochelle, pour décrocher un diplôme universitaire en plongée et écologie sous-marine. C’est un process très logique. Ce besoin de comprendre ce que l’on va protéger. Et pour pouvoir expliquer, échanger, je trouve hyper important de savoir de quoi on parle, tout simplement… »
Ulcéré par l’indifférence devant les effets climatiques, il s’insurge, en particulier, contre l’utilisation de l’eau potable dans les toilettes. « Imaginer faire pipi ou caca dans de l’eau potable. Il faut être fou ! » rétorque-t-il aussitôt. « L’eau potable ne représente que 3% de la totalité, le reste étant de l’eau salée. Si on exclut les glaciers ou les nappes phréatiques, il reste l’eau que l’on voit… C’est seulement 0.04 %. Imaginez la préciosité de cette molécule d’eau ! Et homo sapiens va faire pipi dedans, chez lui, tranquillement, sans se poser la moindre question. Heureusement, il y a une vraie prise de conscience actuelle. On commence seulement à développer des systèmes pour éviter ce genre d’aberration.»
Il s’efforce de transmettre ses valeurs à ses trois filles au quotidien. Et d’être en accord avec lui-même. Au point… de manger très peu de viande, et plus du tout de poisson. « Quand on sait comment ils sont élevés, ce qu’il y a dedans, on se demande si on va les consommer pour s’alimenter ou s’empoisonner. Dans les centres et les batteries d’élevage, il faut imaginer les pesticides et les antibiotiques qui leurs sont distribués. S’imaginer la mer, au point où elle est polluée. Un poisson, lorsqu’il arrive en bout de chaine alimentaire, il a ingurgité, déjà, des objets pollués »
Traverser Lyon, sous l'eau, pour la première fois
Parmi ses multiples aventures démonstratrices, Lionel Rard a traversé Lyon… sous l’eau, en un peu plus de 3 heures, avec trois coéquipiers. « Douze ponts, et sept kilomètres », précise-t-il. « On a été les premiers à le faire. On est partis de la Cité internationale pour remonter jusqu’à la Confluence. Nous avions un double-objectif. A la fois le côté sportif, et mettre en place une équipe scientifique qui a effectué des prélèvements d’étude sur les pollutions micro plastiques dans les sédiments du Rhône. »
L’écologie c’est quoi ?
Un investissement personnel qui a failli lui coûter très cher. Lionel vient de subir deux mois de convalescence, après 4 jours en réanimation, après avoir contracté une leptospirose –une maladie des rongeurs qui se transmet dans l’eau. « Je suis très content d’être aujourd’hui en face de vous pour en parler », soupire-t-il.
Malgré ses déboires, Lionel Rard reste confiant sur l’avenir. Les antagonismes entre écologistes et anti ne l’effrayent pas. « La dualité du peuple français est une marque de fabrique. Mais cette scission vient d’une prise de conscience. On voit ces jeunes qui expliquent qu’ils souhaitent agir. L’écologie c’est quoi ? C’est changer nos habitudes. C’est être imparfait aussi, mais, au moins, essayer. J’espère que, petit à petit, si on le fait intelligemment, on parviendra à gommer cette frontière qui s’est installée. »
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