"C'est nous qui punissons." La nouvelle exposition du Musée des Confluences, à Lyon, plonge le visiteur dans l'univers carcéral, notamment des objets de détenus, récupérés dans les cellules ou fabriqués dans le cadre d'ateliers artistiques.
A Lyon, l'exposition intitulée "Prison, au-delà des murs" a ouvert ses portes au public le 18 octobre au Musée des Confluences. Elle est visible jusqu'au 26 juillet 2020.
Paradoxe pénitentiaire
C'est la première fois que l'institution, ouverte fin 2014 à l'extrémité de la presqu'île, "aborde de front pareil sujet de société", souligne Marianne Rigaud-Roy, responsable du projet. "Le sujet nous a ammené pour la première fois un sujet de société qui a une profondeur historique et des enjeux contemporains très forts," explique-t-elle.
Pourquoi enferme-t-on ? Comment (sur)vivre entre quatre murs ? Des questions auxquelles l'exposition tente de répondre avec la rigueur scientifique et l'approche transversale qui font l'ADN du musée.
"L'idée de l'exposition était de questionner la réalité de la prison à travers ses trois missions : protéger la société, punir l'individu, tout en préparant la réinsertion de l'individu. C'est ce paradoxe pénitentiaire qui traverse toute l'exposition," précise Marianne Rigaud-Roy.
Une vingtaine d'experts ont été consultés et 160 objets, issus de collections pénitentiaires en France et en Europe, se mêlent à des peintures, dessins, photos, vidéos et installations.
L'#exposition Prison, au-delà des murs se penche sur notre système pénitentiaire et sur le quotidien des détenus. https://t.co/C2NN2Ggsk1 #expoprison #lyon pic.twitter.com/PzY2iCi6WH
— musée Confluences (@mdc_confluences) October 14, 2019
La scénographie, signée du Suisse Tristan Kobler, s'articule autour de trois grandes cellules aux barreaux oranges mais aux portes sans serrure.
Plongée dans l'univers carcéral
On entre dans la première par un sas où résonnent les bruits de la prison: un enregistrement de voix qui se perdent au milieu des claquements, des cliquetis, des cris, des sifflets, des huées.
Des photos du Français Grégoire Korganow, de l'Italien Valerio Bispuri ou une peinture de Chamizo (lui-même ancien "taulard") montrent ensuite des fragments de vie de détenus, entre promiscuité et solitude, selon que l'on partage une cellule ou que l'on est à l'isolement.
Le quotidien carcéral est fait aussi d'angoisses, d'addictions, de violences. Dans une vitrine, des armes de fortune - une fourchette détournée en griffe, une poignée de placard transformée en poing américain, un poignard dissimulé dans un crucifix - entourent le trousseau de clés du surveillant et l'oeilleton du cachot.
Plus loin, ce sont des pipes à eau bricolées dans un bidon en plastique ou une canette de soda. Parmi les objets présentés, certains ont été confisqués à des détenus et récupérés dans les cellules. Des objets présentés ont été fabriqués par des détenus dans le cadre d'ateliers artistiques.
Dans le "carcéroscope" de l'artiste Marion Lachaise, des femmes racontent leurs existences claquemurées. "Il faut vivre, même enfermé", dit l'une d'elles.
La vie derrière les barreaux
La seconde cellule montre précisément comment le détenu reste "humain", autant que faire se peut. Cela passe par l'exercice physique - dans une prison de Naples, un condamné soulève une haltère faite de bouteilles d'eau - et le tatouage dont le culte ne date pas d'hier: des clichés de la préfecture de police de Paris recensent déjà de beaux spécimens en 1912.
Derrière les murs, on tue aussi le temps dans des ateliers d'art et de travail, dont témoignent un bouquet de fleurs artificielles venu d'une geôle grecque, un peigne en bois fabriqué sous les verrous au Liban, un jeu d'échecs taillé dans du savon derrière des barreaux allemands.
Echappatoires, évasion et alternatives à l'enfermement
La survie est aussi synonyme de résistance, thème de la dernière cellule de l'exposition dont les grilles se doublent d'une architecture de bois chaotique.
Dire "non!", c'est braver les interdits en cachant une disquette dans un livre découpé, un chargeur de téléphone dans une briquette de lait. C'est se mutiner ou réussir à s'évader à la neuvième tentative, tel ce voleur qui, à l'aide d'une clé finement ciselée dans une cuillère - conservée depuis 1949 par le musée pénitentiaire de Horsens au Danemark - déroba des outils dans le grenier de sa prison et creusa un tunnel de 18 mètres pendant un an.
Face aux échappatoires les plus extrêmes comme les scarifications, les grèves de la faim ou les suicides, l'exposition évoque enfin les alternatives à l'enfermement, à travers des extraits de documentaires sur la justice restaurative ou des rencontres entre détenus et victimes.
Illusion d'optique et théâtre
Dans un dernier espace, conçu par le Théâtre Nouvelle Génération de Lyon, le visiteur poursuit son expérience de la détention par une illusion d'optique qui le transporte en cellule et au parloir. En achevant de brouiller les frontières entre extérieur et intérieur.
"On a proposé au TNG d'imaginer et de concevoir un petit parcours qui forme trois espaces différents dans lesquels le visiteur va s'immerger soit dans la cellule, soit au parloir, soit dans un espace ouvert qui mêle les deux, " explique Marianne Rigaud-Roy, responsable du projet d'exposition, "l'idée était de travailler à la frontière du réel et de l'imaginaire par cet effet de théâtre optique". Un effet qui permet "d'inscrire des comédiens dans un décors réel et de travailler sur Apparition / Disparition à partir de textes de théâtre".
Inspiré par la proximité géographique des anciennes geôles de Perrache, l'exposition a été coproduite avec le Musée international de la Croix-Rouge de Genève et le Deutsches Hygiene-Museum de Dresde.