Le procès de la veuve noire s'est achevé tard dans la soirée ce vendredi 4 novembre à Lyon avec le verdict : douze ans de réclusion criminelle pour celle que l'on a surnommée "la veuve noire". Pendant trois jours les témoins se sont succédé à la barre. Rose Filippazzo était accusée du meurtre de son mari, un acte qu'elle a tenté d'expliquer sur fond de violences conjugales. Retour sur un procès hors norme.
Rose Filippazzo, 50 ans, a été condamnée vendredi à douze ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de Lyon, reconnue coupable du meurtre de son mari.
Le jury a pris en compte l'altération de son discernement, diagnostiquée par deux experts psychiatres, et a donc décidé de retenir l'atténuation de sa responsabilité pénale.
C'est toujours difficile de voir partir son client pour des années de prison. Au delà de dix années, ça fait beaucoup. L'altération du discernement a été retenue, c'est une bonne chose, même si j'aurais souhaité d'avantage.
Me Janine Bonaggiunta, avocate de l'accusée
La cour a également prononcé trois ans de suivi socio-judiciaire, une interdiction de porter une arme pour une durée de quinze ans, ainsi qu'une peine complémentaire de privation des droits civiques d'une durée de dix ans.
L'avocat général avait quelques heures plus tôt requis seize ans de prison, rejetant les arguments de la défense qui invoquait l'emprise et les violences de son mari sur l'accusée.
Pour le magistrat, aucune circonstance atténuante ne pouvait être retenue pour la quinquagénaire qui a tué Michel Zirafa, son mari, d'une balle dans la tête pendant son sommeil, le 16 septembre 2018 à Thurins (Rhône).
C'est une peine qui sera toujours insuffisante compte tenu de ce qu'il s'est passé. Pour autant, on est sur une peine juste, cohérente et qui prend en compte la complexité des relations du couple, où tout n'était pas sain
Me Marie Harmony- Belloni, avocate du père de la victime
Des témoignages accablants
Lors de l'audience devant les assises du Rhône, Les deux filles de Rose Filippazzo et Michel Zirafa ont livré leur très attendu témoignage. L’occasion de revenir sur les souvenirs de leur enfance, mais aussi de donner des éléments sur la relation de leurs parents.
Mon père pouvait couvrir ma mère de cadeaux, mais c’était une prison dorée.
Sandrine, 29 ans, l'aînée du couple à la barre
"Je vais la tuer"
"Mon père pouvait couvrir ma mère de cadeaux, mais c’était une prison dorée", lance Sandrine Zirafa. Cette femme de 29 ans nuance le portrait de son père, tué en septembre 2018. Un homme qui se montrait généreux en public, mais qui voulait garder une forte influence sur son épouse, Rose Filippazzo. L’aînée reprend : "Il m’a dit un jour : si elle ne m’obéit pas, je vais la tuer'".
Le récit de Lisa, la cadette de 20 ans, dresse aussi le visage d’un homme, redouté à son domicile. "Il me faisait très peur. C’est malheureux à dire mais quand j’ai appris qu’il était mort, j’ai eu un poids en moins", énonce alors la plus jeune des filles. Lors de l’audience, elle déclare d’emblée qu’elle ne souhaite plus porter le nom de Zirafa. On la nommera désormais Lisa Filippazzo. Un témoignage-clef et fort, d’après Maître Janine Bonaggiunta, qui défend l’accusée : "Il y a un accent de sincérité chez cette jeune fille, qui a vingt ans. Elle a relu les écrits de sa mère, qui lui ont ravivé beaucoup de souvenirs."
Des épisodes de violence
A la barre, les anecdotes des deux jeunes femmes dessinent en creux le caractère de leur père. Lisa raconte, par exemple, que son père voulait tuer son chien avec un poignard alors qu’elle était enfant. Sandrine et Lisa se remémorent aussi des épisodes de violence. L’avocate de Rose Filipazzo le souligne : "Elles ont été témoins de scènes absolument horribles. Une nuit, dans une chambre d’hôtel où la petite était à côté d’eux, qu’elle était supposée dormir dans la chambre de ses parents, où elle a assisté aux coups que le père a donnés à sa femme parce qu’elle était enceinte."
Lorsque la relation entre leur père et leur mère est évoquée, les filles livrent un récit semblable à celui de leur mère, accusée. "Elles confirment la relation toxique, elles confirment les violences, reprend Me Janine Bonaggiunta. Et elles ont bien dit que si ces derniers temps, leur mère s’opposait et cassait des objets éventuels, ça n’était jamais la même violence, ce n’était jamais des coups contre le père. En revanche, elles ont soulevé le fait que la mère avait des bleus, que la mère avait des marques sur le visage et sur le cou d’étranglement, et sur le corps."
"Une histoire réécrite"
Des récits qui abasourdissent les parties civiles. Maître Marie Harmony-Belloni, qui représente le père de Michel Zirafa, l’explique : "Les témoignages étaient extrêmement lourds. Lourds pour mon client aussi qui a entendu ses petites filles avoir des propos très durs, très sévères envers leur père. Ce qui est compliqué, c’est qu’il y a eu une évolution dans le positionnement de ces deux jeunes filles." L’avocate évoque un "basculement après l’incarcération de leur mère". Selon elle, les filles ont adopté le récit de leur mère a posteriori : "Il y a les récits rédigés dans le cadre de l’incarcération de Madame Filippazzo, où elle réécrit l’histoire. Et dans cette histoire qu’elle réécrit, elle plonge leurs filles."
"Ce sont des filles qui ont souffert énormément, qui étaient dans le silence"
Maître Janine Bonaggiunta
"Quatre ans plus tard, on murit, on réfléchit. Elles peuvent enfin parler, donc elles y vont, elles n’ont rien à perdre.", réplique Me Janine Bonaggiunta. D’après l’avocate, s’il y a une évolution dans les récits, c’est aussi parce qu’il n’y a plus l’emprise de leur père. "Ce sont des filles qui ont souffert énormément, qui étaient dans le silence, dans le mutisme, parce que leur père ne voulait pas qu’elles parlent, ajoute-t-elle. J’ai le sentiment qu’elles ont passé leur vie, leur enfance dans une chambre, ne pouvant pas parler, ne pouvant pas participer à quoi que ce soit, et dans l’indifférence du père. Il n’était absolument pas proche d’elles. Toutes les deux l’ont dit, et encore plus Sandrine, l’aînée."
Me Marie Harmony-Belloni conclut : "La situation qui est évidente, en tout cas, la réalité, c’est que le couple a atteint à une relation toxique qui était compliquée pour les deux et souffrante pour les deux."
"Elle a voulu tuer"
L'avocat général, Thierry Luchetta avait requis 16 ans de réclusion criminelle contre l'accusée, assortis de sept ans de suivi sociaux judiciaires et injonction de soins. "Elle a volontairement donné la mort, elle a pris soin d'emporter l'arme et de la jeter dans un canal. Elle a voulu tuer, c'est un geste irrémédiable", déclare ainsi le magistrat dans son réquisitoire. Et de conclure : "Une femme qui tue son mari ou son compagnon, c'est aussi grave qu'un homme qui tue son épouse ou sa compagne. Il n'y a pas lieu de faire de différence."
L'avocate de l'accusée, Me Janine Bonaggiunta, invoquait de "fortes circonstances atténuantes". Elle ne pense pas faire appel de la décision de justice.
Rose Filippazzo, accusée du meurtre de son époux Michel Zirafa, a donc finalement été condamnée à 12 ans de réclusion criminelle.