L'APAAM, Association Passerelle d'Accueil et d'Accompagnement des Migrants, oeuvre à Lyon depuis 2016. Depuis trois ans, elle a pris sous sa coupe une famille albanaise. Les deux parents, handicapés, vivent sous la menace d'une expulsion. C'est pourtant "une famille remarquable".
OQTF, Obligation de quitter le territoire français. Elle a été notifiée en avril 2021 aux parents d'une famille albanaise prise en charge à Lyon. C'est la deuxième en l'espace de cinq ans. Et "c'est l'angoisse à chaque fois qu'ils reçoivent un courrier de la préfecture", raconte le président de l'association qui les accompagne. Jean-François Debeugny dresse le portrait de la famille arrivée en 2013 via l'Italie. "Le père est handicapé à plus de 80%. La mère souffre aussi de handicap mais travaille énormément. Et il y a les deux garçons âgés de 16 et 18 ans. Seul l'aîné dispose d'une carte de séjour pour une durée d'un an." Lors de notre conversation, le président de l'APAAM, utilise à plusieurs reprises cet unique qualificatif : "c'est une famille remarquable".
"Venus en France pour donner un avenir aux enfants"
À son arrivée à Lyon, la famille albanaise est accueillie par des particuliers. Un couple l'installe dans une caravane avec sanitaires dans son propre jardin. Puis, l'association présidée par Jean-François Debeugny prend le relais. Comme son nom l'indique, l’Association Passerelle pour l’Accueil et l’Accompagnement des Migrants veut offrir un soutien dans la durée à des familles sans-papiers. Objectif : les accompagner vers l'autonomie. "La maman a expliqué vouloir venir en France pour donner un bagage intellectuel, un avenir à ses enfants. Elle est en passe de réussir".
L'aîné des enfants vient d'avoir 18 ans, de passer son bac. Il est fraichement inscrit en BTS alternance. Le second, 16 ans, passe en classe de 2nde. "Des derniers de la classe il y a trois ans, ils font désormais partie des premiers". Les deux garçons ne sont pas sous la menace de l'Obligation de quitter le territoire français. Le plus grand a obtenu une carte de séjour d'une durée d'un an en septembre 2020. Il voit désormais son avenir en France. Arrivé à l'âge de 8 ans, le plus jeune n'est pas tenu de repartir en Albanie, dont il ne connait d'ailleurs quasiment plus la langue. Mais peut-on pour autant les séparer de leurs parents ?
Le handicap, motif du renvoi du père ?
Le père de famille est handicapé à plus de 80%. Et c'est son fils aîné qui assume le rôle d'aidant. "Il l'assiste dans les démarches de tous les jours. Toilette, habillage, sortie... Son père est incapable de faire quoi que ce soit par lui-même", précise Jean-François Debeugny. "Le renvoyer dans son pays, c'est ajouter du handicap à son handicap".
Le président d'association n'est pas loin de penser que la situation du père est un argument tout trouvé pour ne pas lui accorder de papiers. "Aujourd'hui son handicap ne coûte rien à la France, mais représente potentiellement un coût", explique Jean-François Debeugny. Avoir des papiers, être régularisé rend en effet possible les demandes d'aides et allocations.
On ne doit pas choisir les migrants que l'on veut. En fonction de ce qu'ils peuvent rapporter comme argent. Et renvoyer ceux qui pourraient nous coûter cher.
Lettres et pétitions ont été adressées au Préfet et à l'épouse du président de la République. Pas de réponse à la date du 18 juin 2021. "Je demande juste de l'humanité", insiste le président d'association dont le choix assumé est d'aider et soutenir des familles sans-papiers, qui de facto se retrouvent à la rue et ne peuvent prétendre à aucune aide. Face à l'OQTF, deux recours sont possibles : une contestation de la mesure devant la Justice et un appel à la bienveillance du Préfet.
Sans-papiers : un parcours de plus en plus difficile
Le graal pour tout migrant arrivé en France, c'est d'obtenir des papiers. Sa régularisation. Mais la tâche est ardue pour des personnes qui ne maîtrisent pas les rouages de l'administration française. D'autant plus que "la France accorde de moins en moins d'autorisations de séjour." Une politique suivie depuis plusieurs années déjà, selon Jean-François Debeugny.
Il y a des populations comme les Albanais dont on ne veut pas.
Le responsable de l'association s'explique. "Il y a des pays que la France juge sécurisés et d'autres non." L'Albanie, par exemple, est un pays corrompu mais qui a un potentiel de ressources pour ses ressortissants. Économiquement, ce n'est pas un des plus pauvres de la planète, poursuit Jean-François Debeugny. Résultat, la tendance actuelle est "de ne pas apporter son soutien à des gens qui peuvent rester chez eux." Et c'est tout ce qui fait la différence entre un migrant et un réfugié.
Migrant : un statut juridiquement peu protégé
Les réfugiés se trouvent hors de leur pays d’origine en raison d’une crainte de persécution, de conflit, de violence ou d’autres circonstances qui ont gravement bouleversé l’ordre public et qui, en conséquence, exigent une "protection internationale", précise sur son site l'UNHCR.
Déclaration universelle des Droits de l’Homme et Convention de 1951 leur confèrent un statut juridique basé notamment sur le principe de non-refoulement. "Les réfugiés ne doivent pas être expulsés ou renvoyés vers des situations où leur vie ou leur liberté serait menacée". Autrement dit, pas de "retour forcé" possible. Contrairement aux migrants. Quel espoir alors pour cette famille albanaise installée à Lyon ?
Je ne vois pas en quoi, on pourrait lui refuser quoi que ce soit.
Dans l'attente d'une réponse de la préfecture du Rhône, le responsable de l’Association Passerelle pour l’Accueil et l’Accompagnement des Migrants se veut optimiste. Même s'il pourrait penser que les autorités jouent la montre et attendent les vacances pour faire retomber la mobilisation des communautés scolaires entourant les deux enfants albanais. La famille se bat depuis huit ans déjà. "Peut-on passer toute une vie sans-papiers, sans être reconnus ?", interroge Jean-François Debeugny. "Non, selon moi, ce n'est pas acceptable", conclut-il en faisant une dernière fois l'éloge de cette famille "remarquable".