Témoignage. VIDÉO. "Autour de moi, trois personnes sont mortes en soirées", les ravages du GBL, décapant automobile détourné en drogue

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Du décapant de jantes pour voiture détourné pour ses vertus aphrodisiaques ©France TV / Alexandra Marie Ertiani / Sandie Goldstein
Publié le Écrit par Alexandra Marie Ertiani

ENQUÊTE. La rédaction de France 3 Rhône-Alpes, alertée par plusieurs professionnels de santé et associations a réussi en 36 heures à se faire livrer l'équivalent de 250 doses de GBL, un décapant détourné pour ses effets aphrodisiaques. Notre objectif : démontrer qu'il est trop facile de s'en procurer et prévenir des risques chez un public de plus en plus jeune.

Ethan a 26 ans, nous l'avions rencontré il y a un an, dans le centre de santé sexuelle communautaire Le Griffon à Lyon, après un rendez-vous en addictologie. Perdu, il venait de vivre une période de trois ans,plongé dans la fête à outrance et une consommation de drogue qu'il ne maîtrisait plus. Plusieurs boulots perdus, des relations compliquées...il était visiblement épuisé mais avait amorcé une démarche pour tenter de refaire surface. L'accélération de la prise de drogue pour lui est passée par les soirées Chem's, entendez Chemsex, contraction anglaise de Chemicals sexuality, sexualité sous drogue. 

Une recherche de plaisir et d'évasion boostés par les substances chimiques conçues pour développer la libido, les sensations et les performances sexuelles.

"Ce que je trouve désolant c'est que je croise des personnes de plus en plus jeunes. Ils ont 17, 18, 19 ans et ils n'ont rien connu d'autre. Je ne veux pas diaboliser ni faire la morale mais je pense qu'il faut être au minimum conscient des risques et j'en rattrape plein qui ne prennent pas les précautions nécessaires". 

Parmi les produits utilisés en soirées, le GBL est très prisé. Un liquide qui se boit dans un jus de fruit, et quelques gouttes peuvent procurer un effet euphorisant, un millilitre amène dans un état de désinhibition intense et un millilitre de trop peut plonger dans le coma voire tuer la personne qui l'ingère.

"On tient des carnets, où on note notre conso explique Ethan, on met des alarmes pour se souvenir de la dernière prise", car ces soirées peuvent durer plusieurs jours et plusieurs nuits, et les prises de drogues sont donc répétées. 

Le récit d'Ethan fait froid dans le dos quand il raconte qu'il a déjà bu la dose de trop et s'est réveillé 18 heures plus tard dans un lit d'hôpital en train de se faire extuber. En janvier dernier, un homme de 35 ans est mort dans son appartement des suites d'une soirée chemsex à Lyon. Un drame porté à la connaissance du grand public mais ce n'est que rarement le cas. Difficile donc d'avoir des chiffres précis. Ethan vient quant à lui d'apprendre que trois hommes croisés ces derniers mois en soirées sont morts dans ces conditions. 

"Il y a trop de morts, et en même temps on connaît les risques mais on continue. Je ne veux pas diaboliser car moi aussi j'y prends du plaisir, je ne veux pas être hypocrite, mais il y a un minimum de précaution à prendre"

C'est également l'avis du Dr Philippe Lack, chef de service au CSAPA (Centre de Soins d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie) de l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. "Il faut donner des informations précises sans donner un mode d'emploi" explique-t-il dans une logique de réduction des risques. Pas plus d'1ml par dose, plusieurs heures entre les prises, pas d'association avec d'autres produits, surtout pas d'alcool, ne pas conduire, chacun son verre ...

"Il y a aussi la question de veiller sur les autres. Quelqu'un peut faire un arrêt cardio respiratoire sans que personne ne s'en rende compte. Il y a des décès dans des circonstances très variées et il faudrait pouvoir les analyser. IL faudrait des données plus précises. Ce produit crée une dépendance physique et le sevrage doit être accompagné". 

La personne qui utilise du GBL met sa vie en danger et peut s'exposer à des risques d'agression ou de viol"

Dr Philippe Lack, chef du Centre d'Addictologie à l'hôpital de la Croix-Rousse à Lyon

Vente libre déguisée 

Dans le GBL, la molécule qui intéresse particulièrement les consommateurs est le GHB, plus difficile à trouver car classé dans la liste des produits stupéfiants. Le GBL, une fois ingéré se transforme en GHB et procure donc les mêmes effets. Il s'agit d'un décapant automobile puissant dont la vente est interdite aux particuliers en France au-delà d'une concentration de 10% dans un même contenant. 

Mais lors des échanges que nous avons eus avec plusieurs usagers, des associations et des professionnels de santé, tous s'accordaient pour dire que ce produit est facile à obtenir. Pour le vérifier nous avons décidé d'essayer de nous en procurer et avons constaté que plusieurs sites de commerces basés notamment aux Pays bas et en Allemagne permettent de s'en procurer facilement. Des sites qui se présentent comme des professionnels de l'industrie ou de l'automobile, et qui proposent des quantités pouvant aller jusqu'à des 5 ou 10 litres. 

Avec un budget de 70 euros, transport compris, nous avons commandé 250 ml de produit livré en 36 heures à la rédaction. L'équivalent de 250 doses. En plus de l'accessibilité, ce produit est donc bien moins cher que tous les autres et attire donc un public de plus en plus jeune. 

"Nous avons été contactés récemment par des infirmières de collège, en Auvergne" explique Steve Mudry, chargé de prévention en addictologie à l'Enipse, association de réduction des risques. "Des jeunes ont fait référence à des pratiques et des produits liés au chemsex." 

Les usagers de ce type de produits peuvent être reçus dans n'importe quel centre d'addictologie près de chez eux, plusieurs associations de référence, comme Enispe, ou Aides propose des consultations gratuites et anonymes. " L'important c'est de sortir de l'isolement" explique le Dr Philippe Lack. "Nous pouvons faire plein de choses pour les patients. Ceux qui demandent une prise en charge évoluent bien". Équilibre physique, psychique, sexualité et risque de MST constituent pour un public de plus en plus large un réel problème de santé publique sur lequel plusieurs associations alertent et demandent davantage de moyens pour agir. 

NDLR : le GBL que nous nous sommes procuré pour réaliser cette enquête a été déposé en déchetterie dans les espaces réservés aux produits toxiques et dangereux. 

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