Pédophilie dans l'Eglise : "évaluer l’impact d’un viol ou d’un attouchement sur une personne, ça ne se fait pas en cochant des cases"

Deux victimes de prêtres pédophiles témoignent sur les dispositifs de "réparation" mis en place après le rapport de la commission Sauvé. Inadéquats, indélicats, comme une épreuve supplémentaire, les questionnaires de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) choquent les victimes. Nanou et Piero, deux adultes abusés durant leur enfance, témoignent.

Nanou et Piero ont tous les deux les cheveux gris, des yeux clairs et une grande dignité. Ils partagent aussi une même souffrance. Enfant, ils ont tous deux été victimes de prédateurs appartenant à l'Eglise. Entre amertume, indignation et colère, ces deux victimes racontent leurs attentes déçues et leur combat pour obtenir réparation. Comme de nombreuses victimes, ils attendent toujours d'être indemnisés. 

Soins vétérinaires et "petite rente" 

En janvier dernier, Nanou Couturier avait été l'une des premières victimes en France à être entendue par la Commission nationale de réparation mise en place après les révélations du rapport Sauvé sur la pédophilie dans l'Eglise. Elle se souvient encore des propositions mises sur la table. Elle est encore scandalisée.

"Le jour même où on s'est rencontré, ils m'ont proposé des soins vétérinaires que l'Eglise paierait pour mon chien parce que j'ai une vie qui est un peu difficile. Et éventuellement de me verser une petite rente tous les mois", confie Nanou. "Et là, je me suis dit, ce n'est pas possible ! Et ensuite, ils demandent : combien voulez-vous ?", explique-t-elle dépitée. Mais comment estimé le préjudice subi ?

Nanou Couturier n'en peut plus de cette attente et de ces démarches sans fin. Des démarches dont elle dénonce le caractère intrusif et choquant. 

À partir du moment où j’ai été auditionnée pour la réparation, j’attends !  Eh bien non ! Il faut encore demander à l’instance un dossier, avec plein de questions qui sont indécentes posées par des gens qui ne sont pas habilités à poser ce genre de questions, réellement choquantes !

Nanou Couturier

Un traitement inhumain pour des victimes qui ont déjà payé le prix de l'omerta de l'Eglise pendant des décennies. 

Obscures commissions

Piero Brogi a été abusé quand il avait 9 ans. Son éventuelle réparation, c'est l'Inirr, la seconde instance née après le rapport Sauvé, qui doit en décider. Il commence lui aussi à trouver le temps long. Piero a pris contact avec cette commission et envoyé son dossier le 15 avril dernier. Et depuis? L'Inirr semble aux abonnés absents. "Aucune nouvelle, à part le mail automatique qui est envoyé plus ou moins à toutes les victimes. Il y a tout un discours sur l'action de l'Inirr, une explication et l'adresse d'une personne à contacter. Mais cette personne ne répond pas aux mails. Je l'ai contactée une semaine après et elle ne m'a pas répondu".

Absence de contacts, incompréhension du fonctionnement de ces commissions. Autant de points dénoncés par les victimes. Piero Brogi devait être recontacté par un "référent". Mais le temps passe et il n'a aucune nouvelle. Alors c'est lui qui a recontacté l'Inirr pour obtenir des informations sur son dossier. Au bout du fil, une personne qui ne connaissait pas son dossier ...

Victime n°585 ... veuillez patienter !

Piero Brogi a tout de même appris qu'il figurait en 585e position sur une liste. On lui a également indiqué qu'il serait contacté au second semestre 2023. Manque de moyens ou de volonté ? "Je trouve ça franchement très long. C'est bien ce qui est fait mais ça fait 9 ans que je crie dans le désert ! " explique-t-il. "Il faut mettre du personnel pour que les victimes soient entendues. Mais selon les dernières nouvelles que j'ai lu, seule une vingtaine ou une trentaine de personnes ont été entendues, c'est ridicule! (...) ça va finir quand ? En 2030 ?" s'interroge-t-il. Un an après le rapport de la Commission Sauvé, le nombre de victimes indemnisées semble bien dérisoire : une quarantaine de victimes ont effectivement touché une réparation financière.

De l'Inirr, j'attends d'être écouté et j'attends la réparation promise. On a pris mon témoignage en avril. Maintenant j'attends que les choses bougent !

Piero Brogi

"Chiffrer la détresse" 

Mais Piero Brogi s'interroge aussi sur le montant des indemnisations du préjudice moral et le barème des réparations. "Je trouve que ce chiffre de 60 000 euros n'est pas suffisant, ça me semble vraiment ridicule comme montant. Et surtout on ne comprend pas bien la méthode de calcul", explique-t-il. "On dit qu'il y a des points pour certaines choses. Mais évaluer l'impact qu'un viol ou un attouchement peut avoir sur une personne, ce n'est pas en 5 minutes et ce n'est pas en cochant des cases !"

Durant plus de 30 mois, la Commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé a recueilli les témoignages de plus de 6000 personnes abusées sexuellement dans leur enfance par des prêtres ou des laïcs. Le 5 octobre 2021, la commission a rendu un rapport explosif : près de 330 000 victimes depuis les années 50 en France. Le nombre de dossiers déposés auprès des deux commissions s'élève pour l'heure à 1500. Pour Nanou et Pierrot, abimés dans l'enfance et qui aujourd’hui encore livrent bataille pour se reconstruire, le chemin s'annonce encore semé d'embûches.

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